Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Intervenir auprès d’élèves allophones en collège

Depuis dix-huit mois, j’exerce un nouveau métier dont je ne soupçonnais même pas l’existence : l’accueil et l’intégration des élèves nouveaux arrivants sur le sol français. Après avoir débuté dans l’enseignement relativement jeune, successivement institutrice en école maternelle puis en école primaire, j’encadre maintenant un nouveau public : les nouveaux arrivants inscrits en classes ordinaires dans quelques collèges nantais.

Essayer de ne pas créer de rupture

Ce poste créé à Nantes en 2003 revêt une forme itinérante : je me déplace sur sept collèges nantais dont trois en ZEP. Ce qui donne quelques heures ici et là pour améliorer les apprentissages en renforçant la maîtrise linguistique du français de scolarisation mais aussi pour dialoguer avec les élèves afin de trouver des stratégies adaptées à leur cursus. Parfois aussi j’endosse un rôle d’avocat auprès des professeurs ordinaires déstabilisés par ces élèves hors norme : il faut alors prôner la patience, la compréhension voire l’indulgence, tout en prenant en compte leurs légitimes inquiétudes car intégrer ne suffit pas, ces élèves doivent apprendre et suivre le programme proposé. Pour cela quelques aménagements sont nécessaires comme par exemple la présence autorisée d’un dictionnaire, la réalisation d’évaluations adaptées… mais en même temps tout ne peut être adapté, et c’est justement cette limite dont ils doivent s’accommoder.

Les élèves que je rencontre ont entre onze et seize ans, ils sont réunis par petits groupes et dans la mesure du possible, en fonction de leurs besoins. La difficulté est que leur dissémination dans les classes avec des emplois du temps différents aboutit plutôt à un regroupement où cohabitent alternativement des temps d’apprentissage collectifs et des temps individuels avec objectifs spécifiques pour chacun.
Ces rendez-vous quotidiens ont l’avantage de ne pas créer de rupture supplémentaire : l’élève se voit pris en considération dans son milieu de vie par un dispositif visible qui ne semble pas trop artificiel. Ainsi il est extrait quelques heures de son emploi du temps avec un maximum de quatre heures pour les non-francophones, et le reste du temps il chemine avec ses camarades de classe dans le dédale de son emploi du temps face à une multitude de professeurs. L’implication amicale ou organisée d’un camarade qui le parraine facilite aussi son bien-être et du même coup ses apprentissages.

Une situation inconfortable, mais riche

L’objet essentiel des ateliers linguistiques que je mène est le Français comme langue de scolarisation, c’est-à-dire dans un premier temps le décodage des consignes écrites ou orales (par exemple l’appropriation des mots-clés d’une leçon ou encore les outils linguistiques de base pour appréhender l’étude scolaire). Mon expérience de professeur du premier degré m’est très utile ainsi que mes compétences d’enseignante en maternelle avec les traditionnels moments de langage inspirés des méthodes de Laurence Lentin ou encore la découverte dirigée d’un texte par son analyse visuelle avec prise d’indice. Mon nouveau poste me semble porteur de recherche mais aucune formation à une quelconque spécialisation n’existe actuellement.

Intervenir sur différents collèges est une donnée particulière qui peut sembler contraignante mais qui permet d’avoir une vue plus large des difficultés réelles ou supposées de ce type d’élèves par la comparaison des situations. L’aide, si on doit employer ce mot, est aussi grandement apportée par les autres acteurs que sont le documentaliste, l’assistante sociale, l’infirmière, le conseiller d’orientation ou encore « la vie scolaire » en général. Je remarque que le terme le plus souvent employé pour désigner ce type d’aide c’est « soutien », comme si l’on voulait signifier que des structures supplémentaires sont nécessaires pour que l’édifice tienne debout.

En fin de semaine, l’équipe appelée « pôle allophone de Nantes » et composée de quatre professeurs des écoles et d’un professeur de lettres du secondaire, se réunit pour diverses tâches : concertation, élaboration de documents de travail ou encore pour exposer, débattre et tenter de résoudre les différents problèmes. Cela structure et charpente vraiment nos objectifs.

Des élèves qui « sèment le trouble » ?

Il est vrai que des tensions sur le terrain apparaissent : l’élève étranger peut gêner car il ne peut pas suivre le programme d’emblée malgré ses efforts et par conséquent il interroge fortement l’enseignement. Son orientation sème le trouble, parfois l’élève qui vient d’arriver n’a aucune idée sur son projet personnel, il a du mal à trouver des stages ou même à décrire ses centres d’intérêts. De plus sa maîtrise imparfaite du français, surtout pour un grand adolescent, réduit ses possibilités d’accéder au lycée. Et s’il réussit à y accéder, l’enjeu sera de maintenir et garder l’énergie nécessaire pour pouvoir y rester.
Cela m’amène à constater que l’important dans les rencontres quotidiennes est d’encourager, d’impulser la conquête de l’autonomie, aider ces élèves à acquérir une certaine combativité. Nous sommes heureusement dans un pays qui, comparé à d’autres, prône l’égalité et son mode d’intégration reflète cet idéal. Nous appartenons à un type de culture qui adhère à une définition de l’homme universel, a priori nous croyons à l’égalité des hommes des races et des sexes. Ce trait culturel national qui fonde nos valeurs se retrouve aussi dans nos lois scolaires. Ainsi nous ne laissons pas de côté les élèves en difficulté, et nous tentons par de multiples moyens de les ramener dans « la norme » afin qu’ils aient les mêmes chances. Souvent certains élèves étrangers sont étonnés par le déploiement des moyens mis en place pour les aider, ils ne comprennent pas pourquoi on ne les laisse pas tranquilles.
Il y aura bien un moment où cesseront ces temps privilégiés de travail en petits groupes et d’individualisation et il faut les y préparer. D’autres relais existent comme l’aide aux devoirs dans les collèges ou dans des centres socioculturels.

Je pense que cette mission est utile même si l’efficacité sur le long terme n’est pas encore vérifiée. En tout cas, les élèves impliqués se sentent moins isolés.

Isabelle Geremia, Professeur des écoles à Nantes, Mission itinérante auprès des collégiens allophones scolarisés dans les classes ordinaires.