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Individualisation, personnalisation, diversification : des voies d’avenir pour changer l’école ?

Ces termes reviennent fréquemment dans les réponses que les candidats à l’élection présidentielle ont faites aux questions de la FCPE, du SGEN, du SNES et de la FSU. Nicolas Sarkozy en fait un enjeu individuel : il souhaite « valoriser l’intelligence de chaque enfant », « en tirer le meilleur […] par des moyens pédagogiques adaptés à chaque type d’enfants », et pour cela « que l’on puisse individualiser les parcours au collège afin que chaque enfant sorte, à son rythme, qualifié du collège ». Si les candidats de gauche évoquent eux aussi la nécessité de permettre une « multiplicité des situations éducatives » (Marie-George Buffet) ou une « pluralité des formes d’apprentissage » (Dominique Voynet), c’est sans renoncer à un objectif qui doit rester commun à tous : « l’école doit encore mieux diversifier les chemins qui mènent à la connaissance pour pouvoir offrir à tous une culture commune » (Ségolène Royal).

Cette volonté de prendre en compte chaque individu dans sa spécificité correspond bien à des évolutions sociales analysées par des sociologues comme François de Singly[[ Article à lire sur notre site ]] ou François Dubet[[ Article à lire sur notre site ]]. On peut la comprendre aussi comme une tentative de répondre à la « panne » du système éducatif que l’on constate depuis le milieu des années 90. Dans la période de massification du système scolaire, ce sont les établissements scolaires, collèges, lycées, puis universités, qu’on a multipliés pour offrir une même « situation éducative » (programmes, emploi du temps et cursus identiques) à l’ensemble d’une génération. Pour gérer les flux d’élèves, l’administration a généralisé un enseignement « à la chaîne », qui a certes permis d’accroître considérablement leur niveau d’instruction et de qualification, mais qui se révèle terriblement incapable de prendre en compte les différences. Pour tous ceux qui sortent défectueux ou en tout cas en dehors des normes de production de la chaîne éducative, on ne peut guère proposer que l’atelier de retouches (tous les dispositifs d’aide), un nouveau passage dans la chaîne (le redoublement), ou l’éviction tel quel sur une voie de garage.

Vouloir concilier enseignement de masse et individualisation des parcours d’apprentissage est un défi considérable[[Pour matière à réflexion,
on pourra consulter le n°23 (mai 2006) de la revue XYZep.]]. S’adapter aux besoins et aux rythmes des élèves, cela peut signifier se contenter de spécialiser chacun dans ce qu’il sait déjà faire pour « en tirer le meilleur », renoncer à l’ouverture culturelle et aux exigences intellectuelles pour ceux que leur environnement familial n’a pas préparés à la culture scolaire : « vous voyez bien que ce n’est pas pour eux… » Le risque est alors grand de limiter la « réussite de tous les élèves » à l’accomplissement par chacun de son destin social.
Il n’est pas sûr que ces tensions, ces risques de dérive soient vraiment pointés. Le recours à des « répétiteurs » pourrait être une bien pauvre réponse de la gauche, alors qu’il conviendrait de reprendre vraiment le dossier de la pédagogie différenciée. Le CRAP-Cahiers pédagogiques a, pensons-nous, pas mal de choses à dire sur le sujet. On peut aussi se reporter à tout ce que nous disons dans le hors série en ligne Les PPRE et notre numéro à venir (aux lendemains des élections) Enseigner en classe hétérogène (n° 455).

Pour que « l’individualisation des parcours » ne soit pas synonyme de tri social, il est indispensable de mener certes un travail éducatif au plus près des besoins individuels, mais dans un cadre collectif qui associe des individus différents selon leurs parcours, leurs compétences acquises ou à acquérir, leurs goûts et leurs appétences, leur âge, leur sexe, leurs milieux sociaux et culturels d’origine. C’est un vieux dilemme des pédagogues : comment inventer des dispositifs qui permettent à chacun d’apprendre en évitant le double écueil de la spécialisation et de la division du travail ? Ce sont de tels dispositifs qu’il faut imaginer et mettre en oeuvre à présent à l’échelle de l’ensemble du système éducatif, espérons que les responsables politiques des années à venir se montreront à la hauteur.

Le Crap-Cahiers pédagogiques