Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

«Il s’agit de permettre aux élèves de “dire” leurs malaises ou leurs attentes.»

coordos-532.jpg

En quoi était-ce important de faire un dossier sur ce sujet de la justice et des injustices, pour vous ?

Marie-Christine Chycki : Comme le dossier le montre à travers les paroles d’élèves, le sentiment d’injustice à l’école est présent dès le plus jeune âge et perdure tout au long de la scolarité. À l’école on apprend, et aussi on se confronte aux autres. Dans le processus de socialisation des enfants, le temps passé à l’école est essentiel : ce n’est certes pas le seul lieu où s’expérimente la relation aux autres, mais c’est un lieu où cette relation peut et doit être pensée, où une pluralité de paroles peuvent se faire entendre, où l’on se compare aussi et où le sentiment d’injustice est peut-être le plus prompt à apparaître.

Émilie Pradel : Il me semblait important aussi de réfléchir sur ce sujet parce que, comme tout un chacun, j’ai pu vivre des expériences douloureuses liées à ce thème au collège, au lycée, à l’IUFM ou même encore aujourd’hui avec la hiérarchie. En tant qu’ancienne élève, je me rappelle ces sentiments de bienêtre et de confiance, lorsque certains professeurs s’appliquaient à instaurer un climat de justice au sein de la classe, et du sentiment d’inconfort lorsqu’on se sent jugé par l’enseignant ou les autres élèves. Dans ce dernier cas, surtout à l’adolescence, je n’avais plus qu’une envie : me révolter ou décrocher. Mais sûrement pas l’envie d’apprendre !

Devenue professeur des écoles, et ayant saisi le lien étroit entre sentiment de confiance et envie d’apprendre, je repense à ça à tout instant. Et je suis régulièrement surprise voire choquée de constater que cette idée ne traverse pas la tête de tout le monde.
Une autre motivation, bien plus personnelle, est celle d’être maman d’enfant dys. Depuis la maternelle et malgré la bienveillance indéniable de tous les enseignants qu’elle a pu avoir, le sentiment d’injustice domine tous les autres, quand ma fille parle de l’école. Ce dernier point pose question… Comment ça se passe ailleurs ? Comment agir pour faire évoluer l’institution ?

L’école vous semble-t-elle injuste pour les élèves ?

Émilie Pradel : Cette question est presque philosophique… Tout dépend des démarches utilisées en classe. À partir du moment où on attend de tous les élèves qu’ils arrivent au même point, en même temps, et ce malgré les différences de chacun, oui, c’est injuste. Mais l’expérience de ma fille montre que même avec des démarches différentes et une bienveillance certaine des enseignants, le sentiment d’injustice est toujours là. Le poids de l’institution ? De la société ? Ça m’attriste un peu de le dire, mais il me semble que oui, globalement, l’école est plutôt injuste pour les élèves.

Qu’est-ce qui ressort du dossier ?

Marie-Christine Chycki : Le dossier aborde le besoin de justice dans ses diverses dimensions. En premier lieu la dimension psychologique : « C’est pas juste ! » est sans doute une des paroles les plus entendues dans les nombreuses interactions entre élèves et adultes. « La croyance en un monde juste » (Monzani) est constitutive de l’être humain et joue un rôle essentiel dans la construction identitaire des jeunes. Les évaluations PISA pointent le fait qu’en France, le sentiment d’injustice est plus exacerbé qu’ailleurs. Les conséquences en sont dramatiques tant sur le climat scolaire avec son lot de violences, que sur les apprentissages : comment apprendre dans un climat d’insécurité ?

Le dossier apporte des témoignages précieux sur la façon dont la confiance peut être restaurée : il ne s’agit jamais de recettes ou de solutions clé en mains, mais bien d’une démarche que l’on peut s’approprier dès lors que l’on s’accorde sur ce postulat : tout enfant peut apprendre.
La dimension didactique est présente : comment évaluer ? Cette question – récurrente dans notre réflexion aux Cahiers pédagogiques – est apparue très vite comme essentielle. La note peut-elle être « juste » ?

Expliciter les critères permettant de passer de l’égalité formelle – tout le monde fait le même devoir au même rythme- à l’équité – donner le temps à chacun d’atteindre les objectifs communs, distinguer avec rigueur l’évaluation d’un travail du jugement de la personne : les praticiens témoignent là aussi de leurs pratiques.

La dimension juridique complète l’ensemble : lorsqu’il y a transgression, la justice au sens légal doit s’exercer. Les sanctions sont nécessaires : posant des limites, elles contribuent à la construction de l’individu. Mais là aussi, il importe d’expliciter, d’associer l’élève à la réparation, de lui donner un cadre où il puisse mesurer les torts qu’il a commis sans jamais oublier cependant qu’il est mineur- quand c’est le cas. Sur le plan du droit, d’énormes progrès sont encore à faire : si les textes officiels poussent vers cette justice « restauratrice », ils ne sont pas souvent mis en pratique.

Y a-t-il une surprise, une réussite particulière que vous voudriez souligner ?

Marie-Christine Chycki : Dans chacun des aspects du dossiers, une idée force est sans cesse réaffirmée : le besoin d’expliciter, de clarifier. Il s’agit de permettre aux élèves de « dire » leurs malaises ou leurs attentes.
Cela suppose d’instituer des lieux et des temps de parole en dehors du temps prévu pour les apprentissages. C’est possible : les « ateliers de réflexion et de réparation » mis en place par l’équipe de l’école Oran à Paris et dont fait état aussi Christelle Nayrolles dans son article sur notre site, en témoignent et c’est une des réussites qu’il m’importe de souligner. Dans ces dispositifs, la priorité est bien donnée à la transmission des savoirs, aux apprentissages des élèves, qui restent en classe au lieu de squatter le bureau du directeur ou des CPE, n’en déplaise aux polémistes campés sur leur posture d’intransigeance. Les nouveaux dispositifs d’accompagnement personnalisé pourraient en partie être dévolus à cet usage.

Émilie Pradel : Les textes que nous avons reçus concernant la communication non-violente ou la pédagogie institutionnelle m’ont ouvert de nouvelles perspectives et m’ont redonné de l’espoir, ce n’est pas rien ! Je suis en train de changer ma manière d’enseigner et les auteurs des textes présents dans ce dossier n’y sont pas pour rien !

Propos recueillis par Cécile Blanchard