Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Haroun Tazieff : l’homme qui marchait sur les volcans

Tout commence donc par une marche sur les plateaux Ardéchois en compagnie du botaniste Christian Giroux qui explique la richesse de la biodiversité par le passé volcanique du lieu. Christine Hainaut le questionne. La beauté du paysage attise sa curiosité de scientifique contrariée. « J’ai toujours aimé les sciences mais je n’ai pas rencontré lors de ma scolarité d’enseignants qui ont réussi à mettre en valeur ce goût ».
christine_hainaut7-500.jpg
Tout d’abord danseuse, chorégraphe, professeur de danse diplômée d’état et responsable de deux studios de danse et d’une compagnie « des jeunes ballets de Cristal Studio », titulaire d’une licence STAPS et d’un brevet d’État Jeunesse et sports, elle a choisi de devenir professeure des écoles pour poser sa vie tout en restant dans le domaine éducatif. Son parcours mêle arts et apprentissages avec une ouverture constante vers de nouveaux horizons.

Aux côtés du botaniste, une idée se met en marche dans son esprit : ces paysages sont une richesse à explorer avec ses élèves. Lorsqu’elle apprend que Fréderic Lavachery, le fils d’Haroun Tazieff, vit tout à côté, elle décide de l’inviter dans sa classe pour parler des volcans mais aussi de son père. Cette rencontre nourrira un projet européen dans le cadre de Comenius et l’ambition de transformer les élèves d’une école située dans un quartier populaire en organisateurs d’un évènement phare du centenaire du volcanologue.

L’école Lancelot compte 148 élèves de 25 origines différentes pour qui 65 % des parents sont au chômage. Le projet « volcans et paysages », commencé en septembre 2011, fixe dans ses objectifs celui de rendre « des enfants heureux d’apprendre et fiers de leur école ». Et pour l’atteindre, les élèves sont acteurs de leurs apprentissages dans toutes les étapes, directement impliqués dans la réalisation des différents rendez-vous. Fréderic Lavachery accompagne de ses éclairages les découvertes qu’ils font sur le terrain.
hainaut-volcan.jpg
Pour la fête de la science en octobre 2012, ils participent à l’organisation d’ateliers sur les phénomènes éruptifs suivis par plus de 500 participants et à la réalisation d’un DVD. Ils partagent leurs découvertes avec des classes italienne, allemande, polonaise et belge en mettant en commun des fiches sur la volcanologie et en créant ensemble une exposition itinérante. Ils se sont mêmes rencontrés en Sicile sur l’Etna et en Allemagne sur l’Eiffel volcanique. « Au début, mettre en place le projet n’a pas été facile » confie Christine Hainaut. Mais les effets sur le plaisir d’apprendre et les comportements des élèves se font sentir rapidement. En mai 2012, le projet reçoit le prix Hippocrène de l’éducation à l’Europe au Parlement européen de Strasbourg puis en juin le prix du jury au Forum des enseignants innovants du café pédagogique. Il est ensuite intégré aux écoles associées de l’Unesco.

Ces trois reconnaissances aideront à ouvrir des portes pour réaliser ce que Fréderic Lavachery et l’enseignante ont imaginé peu après leur première rencontre : faire de l’école Lancelot et de Privas un lieu emblématique du centenaire d’Haroun Tazieff.
Petit à petit, des liens se tissent avec des collèges et lycées de la ville, avec la mairie, le parc naturel régional. Redonner tout son éclat à la richesse volcanique de la région, transformer l’image d’une école par l’ouverture vers l’Europe et vers la science, les objectifs et le sérieux du projet ont de quoi convaincre ; l’énergie et l’engagement de son initiatrice aussi.

En tout, ce sont près de 3 000 élèves qui ont été impliqués au-delà de la classe de CM1-CM2 de Christine Hainaut. Pour l’organisation des évènements du centenaire du 14 au 17 mai prochains, des étudiants en BTS tourisme du lycée Vincent d’Indy sont associés. « 2014 : une année éruptive » proposera un programme où les approches scientifiques et artistiques seront convoquées avec des conférences, des ateliers, une pièce de théâtre écrite spécialement par Fréderic Viguier, une promenade contée et des dédicaces d’ouvrages. L’évènement constitue la clôture du projet Comenius renforçant ainsi sa dimension européenne. Là encore, les élèves sont au cœur de l’action. « Les enfants construisent leur projet, donnent leurs idées. Le professeur n’est pas seul à décider, c’est une véritable co-construction » précise l’enseignante qui applique les principes de la pédagogie de projet. C’est sans nul doute cette portée éducative de l’initiative qui lui a valu d’être reconnue par l’Unesco. Et puis derrière, en filigrane, la figure d’Haroun Tazieff parraine la belle histoire. « Quand je lis sa vie, je suis fascinée. Il est devenu volcanologue à 38 ans. Tout ce qu’il a vécu avant cet âge là lui a servi à devenir un éminent volcanologue respecté ». Et ce « avant », ce long cheminement avec ses apprentissages acquis dans les embûches de la vie, Christine Hainaut aime à en partager les enseignements avec ses élèves dont le quotidien est parfois difficile. « Il était immigré, a du apprendre le français, s’est forgé dans le sport. Il s’est passionné pour la photographie d’insectes. Il a appris à vivre dans des conditions rudes. J’aimerais convaincre mes élèves qu’il faut prendre le maximum de cartes qui leur sont données car elles leur serviront. »
vollcan-de-pranles.jpg
La vie du volcanologue la fascine tant qu’elle a décidé de la raconter dans un album jeunesse illustré par l’aquarelliste Anne Douillet et des documents d’archive inédits. « Si Haroun Tazieff m’était conté… » paraitra pour la célébration du centenaire à Privas, il suivra toutes les manifestations du centenaire en France, les conférences et en particulier au festival d’Avignon.

Ce centenaire sera l’occasion de dire au revoir au projet Comenius, enfin à ce projet là. De retour de l’Unesco où les écoles associées étaient rassemblées le 24 janvier, elle a enrichi encore ses idées pour un nouveau projet cette fois dans un programme Erasmus +. « J’aimerais travailler sur le thème de la flore avec d’autres écoles européennes et canadiennes ». L’idée s’inscrit dans la thématique de l’agroécologie et dans le cadre de l’année de l’agriculture familiale. « À l’Unesco, j’ai vu des projets formidables comme celui où des élèves réfléchissent à ce qui pourrait améliorer la vie d’un village burkinabé. Cette année, ils ont conçu et construit un four solaire qu’ils vont aller installer. » Travailler le thème de l’agroécologie la réjouit. L’Ardèche recèle bien des ressources naturelles et humaines qui rendent les initiatives enthousiasmantes. « Je sais que Pierre Rabbi habite par ici. Je vais essayer de la contacter ». Ce n’est pas pour autant que sa passion des volcans et l’envie de la partager s’évanouiront. Touchée par la souffrance des enfants atteints de leucémie, elle a décidé d’organiser une journée délocalisée à l’hôpital Léon Bérard de Lyon, et de rappeler à chaque occasion l’importance du don du sang.

« Le sang c’est la vie pour l’homme, la lave c’est la vie de la terre ». Christine Hainaut a ainsi conclu la présentation de son projet à l’Unesco. Et la pédagogie, les apprentissages comme une émancipation, sont la vie de l’éducation serait-on tenté de compléter à la lumière de sa belle énergie. De son passé de chorégraphe et de professeure de danse, elle puise la certitude qu’éducation populaire et éducation nationale ont tout à gagner d’une certaine complicité. Et de son propre parcours, elle tisse un appétit d’apprendre, de partager et d’enseigner, de ne pas laisser la fatalité cloisonner les enfants à une vie toute tracée, quelque soit l’endroit où ils grandissent.

Monique Royer