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Gestion, pédagogie, culture, quel équilibre ?

L’état des lieux présenté dans le rapport est assez conforme à la diversité des CDI. Depuis 89, où la création du Capes a clairement institué le documentaliste dans un rôle d’enseignant, le CDI n’a cessé de voir ses fonctions s’étendre : lieu privilégié d’accès à l’autonomie pour les élèves, il est aussi en lien direct avec les nouvelles technologies de l’information, les nouveaux dispositifs pédagogiques (IDD, TPE, ECJS…). Cela n’a pas manqué de créer des difficultés croissantes elles aussi : manque de salles annexes, insuffisances de connexions Internet, fonds documentaires faibles, maintenance du matériel informatique aléatoire… Le rapport Durpaire a le mérite de mettre l’accent sur des questions importantes : quel temps passé par les élèves au CDI ? Quelle spécificité de l’enseignant documentaliste dans le travail pédagogique entrepris avec les enseignants de disciplines ? Quelles priorités se donner, entre tâches techniques, activités pédagogiques « traditionnelles » (incitations à la lecture-plaisir, accompagnement des élèves dans l’univers des livres et des documents) et tâches nouvelles liées aux nouveaux dispositifs pédagogiques ou aux équipements informatiques en perpétuelle évolution ? Quels liens avec le projet d’établissement ?
À côté de cela, le texte suscite un certain nombre de critiques et d’interrogations.

Le rôle pédagogique du documentaliste ?
Le CDI est envisagé principalement comme lieu, sous son angle matériel, et non par rapport aux élèves qu’il accueille. Selon les degrés d’enseignement, l’autonomie des élèves, toujours en construction, est plus ou moins développée : or, la plupart du temps, le documentaliste est seul, le nombre de postes n’ayant pas suivi – même de loin – l’accroissement des tâches liées au CDI. De manière générale, le rapport Durpaire semble faire l’impasse sur la manière dont les élèves s’emparent de l’information et se l’approprient et sur le rôle de l’enseignant documentaliste dans ce chemin vers la connaissance et la construction des savoirs. Il ne faut pas confondre l’accès aux ressources et la maîtrise d’une certaine méthodologie.
Des ressources, oui, mais pour quoi faire si le documentaliste ne consacre pas un temps important à l’aide personnalisée aux élèves dans l’appropriation de ces ressources ? Car la difficulté est encore plus grande quand les élèves, face à un document sélectionné, (livre ou document Internet) doivent le lire et le comprendre.
Scepticisme aussi sur l’évolution générale de la pédagogie. Il semble que les collègues des disciplines, pour de nombreuses raisons (horaires plancher, programmes, présence dans l’établissement diminuée du fait de services répartis sur deux établissements…), aient de moins en moins le temps d’accompagner leurs élèves dans les recherches documentaires et restitutions. La personne-ressource essentielle pour cela est le documentaliste. Mais si son temps est mangé par les questions de gestion et de veille documentaire, que reste-t-il de son rôle pédagogique ?

Évolution du métier ? Mais laquelle ?
Le rapport insiste sur la nécessité impérieuse de s’adapter aux nouvelles technologies (Internet, Intranet et nouveaux environnements numériques). Certes, une bonne gestion informatisée du CDI est essentielle : les documentalistes ont intégré de manière générale cette dimension à leur travail quotidien. Ils sont demandeurs en la matière de formations. Mais attention à ne pas devenir « des spécialistes de l’information et des conservateurs de documentation scolaire ». Le documentaliste n’est pas et ne doit pas devenir un informaticien. Son rôle n’est pas de maintenir la gestion d’un réseau. Ses interlocuteurs privilégiés ne sont ni le chef d’établissement, ni la communauté éducative, mais d’abord et avant tout les élèves. Si « le projet CDI devient un volet essentiel du projet d’établissement », les rôles et les compétences des différents acteurs doivent être mieux définis.
On peut s’inquiéter à partir de là, de la part très pauvre accordée dans ce rapport à la lecture et à la culture. Amener les élèves dans l’univers des livres, du collège au lycée en passant par le LP, nécessite du temps et des stratégies. Des collègues de LP expliquent comment cela passe par la lecture à haute voix. En collège, par des cercles de lecture, des sensibilisations dans les classes… et les collègues de lycée déplorent de ne pas avoir assez de temps à y consacrer, trop pris par les tâches de gestion.
Le CDI c’est aussi le lieu ouvert sur les événements culturels : théâtre, musique, projet artistique, culture scientifique, permettant une fructueuse collaboration avec les collègues disciplinaires. Qui, dans l’établissement, se chargera de cela si le documentaliste n’a plus le temps de le faire ?

Rester des passeurs de culture
Être partagé entre gestion, pédagogie, ouverture culturelle : c’est à la fois la tension et la richesse de ce métier. Il semble important que ces trois missions subsistent sans qu’aucune ne l’emporte exclusivement.
Le faire mieux, ce serait possible :
– en augmentant les postes en CDI ;
– en prévoyant un réel corps de personnel pour la maintenance du parc informatique et sa gestion qui est bien trop souvent en panne ;
– en développant une formation continue de qualité, au lieu de la réduire à une peau de chagrin ;
– en sensibilisant les collègues disciplinaires dès leur formation initiale à l’importance d’un travail autonome de l’élève (recherche documentaire, appropriation du document, restitution).

Il semble important d’éviter une dérive technicienne (résistons au tout informatique qui ne résoudra pas l’échec scolaire) et de rester au plus près des élèves pour les aider à devenir autonomes ; de présenter un projet documentaire plus élaboré dans les établissements afin de mettre en place une cohérence de l’équipe éducative ; de favoriser l’accès aux livres, aux œuvres elles-mêmes ; de rester des « passeurs de culture ».

Synthèse de débat établie par Claudie Jouvenot, documentaliste.