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Formation initiale : qu’en disent les enseignants ?

À l’heure où se profile une réforme des ESPE (écoles supérieures du professorat et de l’éducation), que nous apprennent des recherches récentes sur les nouveaux enseignants et le regard qu’ils portent sur leur formation initiale ?

En 2014, à l’issue d’une enquête qualitative et qualitative, Pierre Périer dresse en sociologue le portrait des professeurs débutants de collège et de lycée qu’il a sondés dans les académies de Créteil, de Lyon et de Rennes, afin de cerner ce qu’il appelle « les épreuves de l’enseignement  » auxquelles ils se trouvent confrontés. Une partie de l’ouvrage est consacrée à l’analyse de leur formation initiale par les trente-quatre enseignants avec lesquels le sociologue a mené des entretiens au cours de leur année de stage, puis lorsqu’ils étaient néotitulaires.

L’écart entre théorie et pratique

L’analyse fine de leurs propos permet de faire ressortir les critiques, mais aussi les apports de la formation reçue reconnus par ces enseignants novices. Ainsi, les étudiants de ce qui était alors l’IUFM (institut universitaire de formation des maitres) se montrent généralement critiques sur leur formation, même si le stage en responsabilité est jugé favorablement. Les apports transversaux, au contraire, et en particulier les enseignements disciplinaires de sciences humaines et sociales, font l’objet de critiques fortes au nom de l’écart entre théorie et pratique, même si cette appellation générique peut être l’écho de sources de difficultés différentes selon que la critique porte sur le fait que ces enseignements apparaissent trop conceptuels, trop jargonnants ou trop peu opérationnels, par exemple. Sur les différentes acceptions du terme « théorique » dans l’opposition entre « théorique » et « pratique », on peut lire également Marc Daguzon et Roland Goigoux[[Marc Daguzon et Roland Goigoux, « Apprendre à faire classe. Les apprentissages professionnels des professeurs des écoles en formation par alternance », Revue française de pédagogie n° 181, 2012, p. 27-42.]].

Un motif de reproche récurrent vient en effet du fait que les jeunes enseignants regrettent la faiblesse de l’articulation entre ces enseignements et leurs préoccupations immédiates et concrètes. Souvent à la recherche de solutions face aux difficultés auxquelles ils se heurtent au quotidien lors de leur stage, ils regrettent, à ce moment de leur carrière, le manque de recettes (ou du moins de conseils) présentés à l’issue de ces enseignements.

L’impression générale des jeunes enseignants reste qu’on n’apprend réellement que sur le terrain, dans une approche devant nécessairement en rester au cas par cas : « Aucun sujet, hormis le savoir disciplinaire, ne semble pouvoir échapper à cette loi d’airain : la pratique vaut mieux que la théorie, et l’éclairage de spécialistes comme les moments de formation ne sont crédités de quelque utilité qu’à condition de déboucher sur des pistes concrètes et des exemples de ce qu’il semble opportun de faire ou de ne pas faire, de dire ou de taire. »

Pourtant, malgré ces critiques, la formation n’était pas jugée inutile par les stagiaires, et la pertinence de ces enseignements généraux se voit réévaluée plus favorablement au cours des premières années d’exercice.

La situation a-t-elle changé depuis lors ? En 2018, un ouvrage dirigé ­par Sylvain Broccolichi, Christophe ­Joigneaux et Stéphan Mierzejewski rend compte de différentes enquêtes menées auprès de professeurs des écoles débutants, suivis de leur année de formation jusqu’à leurs premières années d’exercice entre 2010 et 2017[[L’enquête, commencée alors que la formation initiale était assurée par les IUFM, a été poursuivie lorsqu’elle a été confiée aux ESPE.]]. Le constat de l’ouvrage est une fois de plus sévère, puisque la formation est encore jugée largement insuffisante par les enseignants novices.

Lors des premières années d’exercice, les chercheurs soulignent le poids de la précarité des premiers postes attribués aux jeunes enseignants, des contraintes temporelles auxquelles ils sont soumis et du manque de formation dans les difficultés rencontrées. Mais en ce qui concerne la formation initiale, c’est le manque de cohérence lors de l’année de formation qui est particulièrement regretté par les enseignants. Plusieurs d’entre eux témoignent ainsi de leur difficulté, voire de leur désarroi persistant depuis la création des ESPE, lorsqu’ils doivent faire leurs propres choix en empruntant aux conseils donnés à la fois par les conseillers pédagogiques, par les formateurs et formatrices des ESPE et par les collègues de terrain.

Ainsi, chercher une plus grande cohérence entre les références et les pratiques de ces acteurs de la formation initiale serait sans doute une voie fructueuse pour que les enseignants novices tirent un plus grand bénéfice de leurs années de formation.

Claire Joubaire
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyse de l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon)


Pour aller plus loin

Pierre Périer, Professeurs débutants. Les épreuves de l’enseignement, PUF, 2014.

Sylvain Broccolichi, Christophe Joigneaux, Stéphan Mierzejewski, Le parcours du débutant. Enquêtes sur les premières années d’enseignement à l’école primaire, Artois Presses Université, 2018.