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Formation continue dans l’Éducation nationale : il reste beaucoup à faire

On craint parfois une « privatisation » de la formation des enseignants faute d’une offre suffisante et satisfaisante de la part de l’institution. Au sens propre, on peut considérer qu’elle a lieu, puisque près de la moitié des enseignants (44 % dans le premier degré et 47 % dans le second degré) disent s’être formés en dehors des formations de l’Éducation nationale (selon une enquête du Cnesco en 2021). Le Cnesco évoque « un écosystème en parallèle ».

Mais il s’agit principalement de formations proposées par des associations (universités, mouvements pédagogiques comme le CRAP-Cahiers pédagogiques, associations disciplinaires, syndicats…), et très peu par des entreprises lucratives (qui sont plutôt recherchées pour des formations sur la gestion du stress ou la communication efficace). L’essentiel de ces formations parallèles est donc assuré par des pairs.

C’est qu’en France, la formation continue des personnels de l’Éducation nationale est « au milieu du gué », selon l’expression de Nathalie Mons, responsable du Cnesco, professeure du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) titulaire de la chaire d’évaluation des politiques publiques d’éducation. Ledit Cnesco, désormais rattaché au CNAM, a rendu public aujourd’hui un rapport sur la « formation continue des personnels de l’école française », issu de deux ans de travail et d’enquête. Il s’appuie notamment sur une enquête menée auprès de 2 000 enseignants des premier et second degrés sur leurs parcours de formation, et sur une conférence de comparaison internationale organisée en novembre dernier, coprésidée par Olivier Maulini, professeur à l’université de Genève, et Régis Malet, professeur à l’université de Bordeaux et à l’Institut universitaire de France.

Plus de formations

Le rapport souligne l’important accroissement quantitatif de la formation continue depuis 2014, avec le lancement d’un grand plan de formation en mathématiques des enseignants du premier degré, et en 2015 avec les formations en éducation prioritaire et particulièrement en REP + (réseaux d’éducation prioritaire renforcés). Depuis, d’autres grands plans sont venus renforcer le nombre de formations proposées ou imposées aux enseignants, puisque, bizarrerie française, la formation continue est obligatoire pour les enseignants du premier degré, avec un quota horaire de dix-huit heures annuelles inscrites dans leur temps de service, mais pas pour les enseignants du premier degré.

Et il ne s’agit pas seulement de « façade », le Cnesco en constate les effets sur le terrain et retrouve cette mobilisation dans les différentes enquêtes menées ou étudiées.

De fait, 71 % des enseignants du premier degré ont participé à une formation en présentiel (selon l’enquête Talis 2018). Il y a notamment une forte progression de l’entrée en formation en mathématiques, puisqu’en 2015, la moitié des élèves avaient un enseignant n’ayant pas été formé en mathématiques récemment, taux descendu à un quart en 2019. Aujourd’hui seuls 5 % des enseignants du primaire disent être passés entre les mailles du filet de la formation (enquête du Cnesco, 2021). C’est moins net au collège, où seul un enseignant sur deux déclare avoir participé à des activités en présentiel contre 76 % dans l’OCDE (enquête Talis 2018). Et ils n’ont eu que 3,5 jours de formation en moyenne contre huit dans l’OCDE.

La formation des cadres est en revanche très nettement plus développée. 76 % des directeurs d’école et 79 % des chefs d’établissement dans le second degré ont eu accès à des actions de formation continue de l’Éducation nationale en 2017-2018 (bilan social du ministère de l’Éducation nationale 2019-2020). Le Cnesco souligne que la participation à de la formation continue est « quasi-universelle » (97 %) pour les inspecteurs du premier degré et « très élevée » (86 %) pour ceux du second degré (même source). Enfin, les inspecteurs bénéficient du nombre de jours de formation les plus élevés (8-10 jours). Ce qui amène le Cnesco à parler d’une « formation élitiste », touchant plus les cadres que les personnels devant les élèves.

Ainsi, affirme Nathalie Mons, « après plusieurs décennies de formation lacunaire, où les budgets dédiés ont servi de variable d’ajustement, il n’y a plus d’immobilisme institutionnel aujourd’hui » sur la formation continue.

Peu d’efficacité

Pour autant, le rapport pointe que ces formations ont des « effets limités ».
D’abord, les enseignants eux-mêmes le disent : « 38 % des professeurs des écoles français considèrent que leur participation à des formations continues n’a pas eu d’impact positif sur leurs pratiques pédagogiques » (contre 9% en Angleterre, 16% en Espagne, 19% en Suède, selon l’enquête Talis de 2018). De plus, le « sentiment d’efficacité » des enseignants français est « faible et en retrait » par rapport à leurs collègues européens.

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Le Cnesco pointe les cinq critères d’une formation efficace, issus des travaux de recherche internationaux. Les formations efficaces ou fécondes portent sur des contenus ancrés dans les questions vives des métiers et les besoins des personnels (portant sur les apprentissages des élèves, la gestion de classe, l’organisation du travail, la diversité des élèves et les besoins particuliers). De plus, les actions de formation les plus probantes sont inscrites dans la durée et dans l’exercice ordinaire du métier, alternant des temps décrochés de la pratique et des phases de mise en pratique réflexive.

Il convient aussi de combiner formations individuelle et collective, s’articulant avec une coopération dans le travail. Il faut également développer des liens forts avec la recherche en éducation, notamment au travers de la recherche-action ou de la recherche-formation, avec un accompagnement des équipes de praticiens par des équipes de recherche. Enfin, la formation des enseignants doit être accompagnée par des formateurs spécialisés, des « experts », formés eux-mêmes à l’accompagnement des équipes, à la reconnaissance du travail qui s’opère déjà et au questionnement des pratiques. Le rapport précise que l’« on peut étendre cette condition aux différents acteurs impliqués dans l’accompagnement des personnels, tout au long de leur carrière ».

Des formations peu adéquates

Or, pour chacun de ces points, la formation continue de l’Éducation nationale pêche… L’adéquation des formations avec les besoins des enseignants ne se retrouve pas systématiquement, du fait sans doute de la très faible consultation institutionnelle des enseignants sur l’offre de formation, qui se construit donc avec peu d’échange. Il y a de fait très peu de dialogue entre les enseignants et l’encadrement autour des besoins de formation, comme le montre le graphique ci dessous.

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Les contenus des formations sont en outre très largement imposés dans le primaire.

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Par ailleurs, pour ce qui est de la durée, les formations sont très souvent organisées « sous forme de “grand messe“, de cours ex-cathedra, sur un ou deux jours », observe Nathalie Mons, et seuls 27 % des enseignants disent que leurs formations prévoyaient des activités de suivi sur le terrain (52 % dans les autres pays de l’OCDE selon l’enquête Talis). Les personnels « sont souvent isolés » dans des formations assez peu collectives : 27 % seulement des enseignants de collège sont engagés dans des réseaux de formation, contre 40 % dans l’OCDE, (Talis 2018).

La politique de formation est également « faiblement incitative », car la formation continue débouche très peu sur un diplôme : au cours des douze derniers mois précédant l’enquête, 8 % des enseignants de collège ont suivi des formations qualifiantes contre 15 % dans l’OCDE (enquête Talis). Ce qui est somme toute logique puisque l’Éducation nationale forme elle-même et ne peut pas délivrer de diplôme. De même, la formation continue est très peu prise en compte dans la carrière : une participation à la formation continue peut avoir une incidence positive sur le déroulement de leur carrière pour 6 % des enseignants de collège en France, contre 18 % pour la moyenne européenne (enquête Talis).

Dans ses préconisations (voir encadré ci-dessous), le Cnesco défend que « les compétences développées en formation continue ont vocation à être partagées dans les établissements (par exemple au sein d’équipes disciplinaires ou interdisciplinaires, ou par du tutorat). Ces missions seraient adossées à des indemnités de missions particulières (IMP). »

Enfin, le Cnesco pointe un manque d’évaluation de la formation continue. Particulièrement dans le premier degré, où, on l’a dit, la formation est souvent imposée et très peu évaluée, et où on demande trop peu aux personnels ce qu’ils pensent de la qualité de la formation suivie.

Dans le temps de service ?

Au passage, on relèvera que le Cnesco ne se positionne pas de manière tranchée quant à l’intégration ou non de la formation continue dans le temps de service. Les préconisations intègrent la nécessité de « renforcer les brigades de remplacement des enseignants dans le 1er degré pour leur permettre un départ en formation », sur le temps de service donc, assez logiquement concernant un corps dont la formation continue est inscrite dans l’horaire de service annuel.

Plus globalement, le Cnesco préconise que chaque personnel bénéficie d’un crédit-temps dédié à la formation continue, « ou un équivalent sous forme d’indemnités » lorsqu’il s’agit de formations courtes. Et pour les formations longues ou les bifurcations vers une autre carrière, il recommande des « crédits-temps pluriannuels », validés par la hiérarchie et « intégrant des modalités diverses (décharges de service, congés pour études ou trimestres sabbatiques) ».

Sans doute le manque d’adéquation entre les attentes et l’offre est-il la raison, ou du moins l’une des raisons pour lesquelles les enseignants sont nombreux à faire la démarche de se former en dehors de l’institution (et sur leur temps libre le plus souvent). De fait, l’enquête menée par le Cnesco a interrogé les enseignants sur ces formations hors institution. C’est généralement le contenu qui les a attirés, et ils les jugent satisfaisantes parce qu’elles traitent des points qui sont plus en lien avec leurs besoins.

Régis Malet insiste sur les effets positifs de la formation des enseignants sur le bienêtre des élèves et le climat de l’école ou de l’établissement, lorsque l’enseignant ne sent plus esseulé. « Tout le système bénéficie d’une formation renforcée, à commencer par les élèves dans leurs apprentissages. »

Olivier Maulini insiste pour sa part sur les axes qui se dessinent dans les politiques de formation continue à l’international, malgré les différences culturelles régionales ou nationales, comme l’obligation de formation, très répandue, et l’articulation des formations initiale et continue. « C’est essentiel: ce que l’on a déjà appris va influencer ce que l’on va apprendre. On ne profite vraiment de la formation continue qu’à partir du moment où la formation initiale est solide, et où l’on a la conviction ferme qu’on possède des compétences professionnelles et qu’on va pouvoir les développer. »
Au moment où la formation initiale et le recrutement des enseignants sont en chantier, le rapport du Cnesco peut donc être une lecture utile pour tous ceux qui y sont impliqués, au ministère ou ailleurs.

Cécile Blanchard

 

 

Face à ce « bilan mitigé », le Cnesco fait quinze préconisations phares du Cnesco – accompagnées d’exemples internationaux – autour de cinq axes principaux :

  • Inciter les personnels à s’engager dans la formation continue
    Préconisation 1 : Dédier du temps à la formation pour garantir un droit à la formation à chaque personnel mais aussi chaque établissement (sous la forme d’un crédit-temps attribué à chaque personnel et chaque établissement).
    Préconisation 2 : Prendre en compte les besoins des personnels en formation et les discuter au sein des conseils des établissements.
    Préconisation 3 : Construire un cadre de formation collective plus motivant qui permet de sortir les personnels de la solitude par la création de communautés apprenantes.
  • Créer un écosystème institutionnel favorable à la qualité des formations
    Préconisation 4 : Développer et former les RH dédiées à la formation continue.
    Préconisation 5 : Développer et professionnaliser le vivier de « formateurs maison ».
    Préconisation 6 : Développer des outils ergonomiques pour suivre le parcours de formation.
    Préconisation 7 : Mettre en place un système d’évaluation systématique des formations (évaluation interne, auto-évaluation et évaluation externe).
  • Enrichir la formation continue grâce à la recherche pour soutenir des communautés apprenantes
    Préconisation 8 : Promouvoir l’entrée dans les formations universitaires.
    Préconisation 9 : Développer des appels à projets de recherche par l’Agence nationale de la Recherche (ANR) d’équipes mixtes de chercheurs et de praticiens.
    Préconisation 10 : Organiser un plan national d’établissements apprenants/ou de communautés apprenantes.
  • Soutenir les publics les moins expérimentés par des accompagnements dédiés
    Préconisation 11 : Renforcer des politiques d’accompagnement des personnels à l’entrée dans les métiers de l’éducation, pour les étudiants sortant de formation initiale.
    Préconisation 12 : Développer des plans de formation personnalisés et des programmes de mentorat.
  • Valoriser la formation continue dans la carrière des personnels
    Préconisation 13 : Permettre à chaque personnel de suivre son parcours de formation.
    Préconisation 14 : Accorder lors des rendez-vous de carrière un temps obligatoire d’analyse aux actions de formation continue entreprises.
    Préconisation 15 : Amplifier le développement, dans tous les établissements, de la reconnaissance de missions collectives exercées par les enseignants.

 

Pour en savoir plus :
Le dossier du Cnesco sur la formation continue


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