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Fédératrice, humaniste et responsable

Comment survivre en tant que discipline dans ce monde de brutes ?

Nous sommes à la croisée des chemins (ou au fond de l’ornière ?) :
– Nous étrennons un programme de 6ème conçu sans perspective sur la durée du collège,
– Nous savons que ce programme est mort-né car remis en cause par le socle commun dès la rentrée 2009
– Il est envisagé de rassembler Physique et Technologie en 6ème et 5ème dans un programme qui se situerait dans le prolongement du programme « Sciences et Technologie » du primaire teinté « main à la pâte »
– Le travail en groupe à effectif réduit est de plus en plus remis en question dans les inspections académiques et nous en sommes réduits à faire remarquer la taille insuffisante des salles de classe pour les voir maintenus.
– Le bras droit de l’Education Nationale ignore ce que fait son bras gauche, dans une démarche perverse de désagrégation rampante derrière des préambules ronflants aussitôt contredits par des moyens calamiteux (le syndrome de « Tintin au pays des soviets »)

Une Technologie fédératrice

Et pourtant. La Technologie n’est pas instrumentalisée quand des projets de thèmes de convergence entre les matières scientifiques se font jour. Les mathématiques peuvent être instrumentalisées car elles peuvent se trouver cantonnées dans un domaine limité. Au contraire la Technologie ne peut pas l’être par les autres matières, car c’est elle qui les utilise. Je dis à mes élèves que nous sommes des pickpockets car la technologie est toujours en demande de plus de sciences pour élaborer ses produits et services, surtout quand elle construit des objets qui vont servir à d’autres disciplines. Les sciences dures, mais aussi les sciences humaines sont les terreaux dans lesquels nous puisons.
Il faut avoir suivi le développement d’un nouveau produit dans l’industrie pour comprendre comment les autres sciences sont « convoquées » en cas de besoin.
Ne le dites surtout pas, pour ne pas faire de jaloux. En effet nous souffrons d’un véritable retournement, purement intellectuel, analogue à celui que les hommes utilisent quand ils parlent du sexe faible. Soyons humbles ou feignons l’humilité pour jouir tranquillement de notre chance. On comprend mieux pourquoi dans certaines académies la Technologie n’a pas été invitée à ces thèmes de convergence. Beaucoup ont peur de la capacité de phagocytose dont nous sommes capables ; nous sommes un passage obligé pour la matérialisation de leurs idées et certains pensent que la Technologie aurait beau jeu de tirer la couverture à soi au moment de l’exposition des travaux. Il nous faudra donc être modestes et redevables de nos emprunts pour être acceptés dans la cour des belles sciences.
Laissons ces sciences « nobles » être des matières à concours, à examens, à compétition et bâtissons un espace de coopération, de création, de construction de produit mais surtout de soi. La preuve de notre enseignement est palpable, laissons spéculer !
Faire et laisser dire sans complexe d’aucune sorte, sinon de supériorité. Nos réalisations sont le fruit d’un travail complet, de l’esprit, de tous nos sens et du corps (l’intelligence de la main). C’est pour cela que nous sommes à la convergence de l’E.P.S. et de la Musique d’une part et des autres matières d’autre part, quand nous parlons des élèves en conseil de classe. Nous explorons, voyons vivre et s’exprimer tout l’être devant nos yeux.
Les paragraphes précédents montrent comment on peut tisser fort loin le principe de genre. La technologie pourrait devenir le creuset de matérialisation des savoirs si un jour le collège quitte sa nature de « petit lycée ».
Je pousserais la provocation jusqu’à dire que « La technologie est la mère des disciplines puisqu’elle est la plus proche des besoins et matérialise leurs solutions ».

Une technologie humaniste

Beaucoup se plaignent des problèmes humains et relationnels qui interfèrent dans notre enseignement. Plus les moyens de communication sont performants, moins il y a de relations directes et frontales et c’est ce qui choque les voyageurs de retour des pays « en voie de sous-développement technologique » tant l’écart se creuse. L’influence de la mise à distance – télé-communication – est sournoise et évacue tout le non-verbal. Nous devons absolument rester une discipline de relations humaines.
Où va-t-on développer la conscience que la technologie actuelle atomise les humains, que l’enjeu de l’enseignement est d’apprendre à vivre, à élaborer ensemble ? Il ne faut pas que la technologie rate ce coche sous prétexte de modernité qui, dans bien des cas, sert simplement les intérêts de ce qui pousse à la consommation pour combler un vide existentiel.

L’écueil est de taille tant les difficultés sont nombreuses :
– Une absence de vécu professionnel en dehors de l’Education Nationale pour la majorité des professeurs de Technologie entraînant une fascination pour le monde de l’entreprise avec ses peurs et ses méconnaissances des problématiques sous-jacentes.
– une fascination pour la technique qui est assimilée au progrès (soudures CMS, dernière version d’un logiciel, virtualisation des supports et des ressources), sans se poser la question de ce que cela apporte dans la démarche pédagogique.
– Une perception de la modernité vécue par nombre d’entre nous comme une valeur alors qu’elle n’est que mirage au regard des enjeux du monde actuel. Ce mirage est celui de la croissance économique qui se moque de l’épanouissement des humains et de la pérennité de la Planète. Conserver l’équilibre ne nécessite pas forcément d’appuyer plus fort sur les pédales d’un engin qu’on ne maîtrise pas.

Cette révolution culturelle chez les professeurs est pourtant nécessaire car nous enseignons d’abord ce que nous sommes, surtout au collège.

Une Technologie responsable

Dans notre société, la pauvreté n’est pas autant le fait d’une absence d’objets matériels que la dépossession du savoir, de la dignité, de la capacité à agir sur sa vie, sur le désir. Pour la combattre, il faut mettre l’intelligence en pratique. La technologie doit aussi être conçue pour tous les élèves et en particulier pour la majorité qui n’en fera plus après le collège, et pour qui cela aurait pu être la dernière chance de découvrir, à leur mesure, les démarches de projet.

Nous pouvons nous appuyer sur deux axes forts pour développer les compétences humaines dont nous aurons besoin :

– Le domaine d’action de la démarche d’amélioration continue (qualité) doit être exploré car elle replace le sujet au centre, dans une démarche de construction de soi, sur la durée (d’une vie). Elle s’applique à la mise en place des processus d’apprentissage mais aussi aux projets personnels, scolaire et professionnel de l’élève (et du professeur) et en ce sens elle est une arme véritablement efficace contre l’exclusion des élèves peu ou pas aidés par leurs parents.
– La démarche Qualité nous enseigne que nous ne pouvons pas changer durablement un système dont nous n’avons pas la maîtrise. Pour autant, il ne faut pas oublier que nous maîtrisons encore dans une large mesure ce qui se passe dans notre classe et que notre enseignement doit être le véhicule des valeurs auxquelles nous croyons et qui doivent être le ferment de notre pédagogie (la fin est dans les moyens). Cette démarche, profondément humaine, a déjà été tentée avec succès en France et à l’étranger (voir encart). Il ne tient qu’à nous de nous en saisir si l’on sait se départir de réticences liées à la dérive vers une optimisation de l’exploitation au travail dont elle a été l’objet.

– Nous devons très sérieusement prendre la mesure des études et des propositions d’Edgar Morin sur les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur. Edgar Morin y a réfléchi avec des personnalités du monde entier et le résultat se trouve dans un livre décapant car il prend le contre pied de beaucoup de nos certitudes sur le primat des disciplines telles que nous les enseignons. (voir encart)

En conclusion
Cette recherche ne sera pas menée par les responsables des programmes, il n’est pas sûr que nous parvenions à quelque chose de miraculeux mais le but est le chemin que l’on prend pour y parvenir.
Sommes-nous à l’aube d’une révolution culturelle où le programme de chaque matière serait élaboré en collaboration avec les autres dans les conseils pédagogiques sur la base d’un socle commun visité par Edgar Morin ?
Chercher dans cette direction va immanquablement changer notre regard sur notre rôle d’éducateur, dont une des spécificités est la Technologie.

Marc Bautrait, professeur de Technologie.


Les 14 points de E.W. Deming
De Edward W.Deming, le père de la Qualité, nous ne nous souvenons que de sa roue sans en avoir toujours compris toute la force. La qualité a mauvaise presse car dans ses dérives elle est devenue le moyen pour optimiser l’exploitation au travail. La dérive saute aux yeux quand on lit ses 14 règles de conduite d’une démarche Qualité. Les voici. Elles surprendront plus d’un entrepreneur entiché de Qualité.

Ces recommandations s’adressent en premier lieu aux dirigeants

  1. Gardez le cap de votre mission en améliorant constamment les produits et les services
  2. Adoptez la nouvelle philosophie de management et conduisez le changement d’une main ferme
  3. Faites en sorte que la qualité des produits ne demande qu’un minimum de contrôles. Intégrez la qualité dès la conception
  4. Abandonnez la règle des achats au plus bas prix. Cherchez plutôt à réduire le coût total. Réduisez au minimum le nombre de fournisseurs par article, en établissant avec eux des relations à long terme de loyauté et de confiance
  5. Améliorez constamment tous les processus de planification, de production et de service, ce qui entraînera une réduction des coûts
  6. Instituez une formation permanente pour tout le personnel de l’entreprise
  7. Instituez une forme moderne d’autorité (le leadership) ayant pour but de faciliter le travail des hommes et des machines
  8. Faites disparaître la crainte, pour que chacun puisse contribuer au succès de l’entreprise
  9. Renversez les barrières entre les services. Le travail en équipe évitera les problèmes qui peuvent apparaître au cours de l’élaboration et de l’utilisation des produits
  10. Supprimez les exhortations, les slogans et les objectifs qui demandent aux employés d’atteindre le « zéro défaut » et d’augmenter la productivité
  11. Supprimez les quotas de production, la méthode dite « direction par objectifs » (DPO) et toute forme de management par les chiffres
  12. Supprimez les obstacles qui empêchent les employés, les ingénieurs et les cadres d’être fiers de leur travail
  13. Instituez un vigoureux programme d’éducation et d’amélioration personnelle
  14. Mettez en oeuvre toutes les forces de l’entreprise pour accomplir la transformation
    Bien sûr la quasi-totalité de ces points peut s’appliquer à l’éducation si l’on remplace le mot produit par « processus d’apprentissage ». La démarche Qualité, appliquée à l’École, est une méthode générale pouvant servir de catalyseur à l’optimisation du système d’enseignement. En cela c’est une « méta-méthode » qui ne supprime pas les autres.
    Lire « La qualité à l’école » de Michèle Bailly, Catherine Cabanes et Jean-Marie Gogue aux Editions Economica. Ce livre relate une expérience menée en école primaire à Versailles. L’accent est mis sur la question du sens de l’école, de l’étude des processus d’apprentissage, du bon usage des notes, de la transformation du collège et des enseignants.

Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur

Edgar Morin, éditions du Seuil (2000)
Voici les titres des 7 chapitres de l’ouvrage que l’on peut trouver sur le site :
http://www.agora21.org/unesco/7savoirs/7savoirs01.html
1- Les cécités de la connaissance : l’erreur et l’illusion
2-Les principes d’une connaissance pertinente
3- Enseigner la condition humaine
4- Enseigner l’identité terrienne
5- Affronter les incertitudes
6- Enseigner la compréhension
7- L’éthique du genre humain