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Faire la classe

Une classe, un cours sont des lieux habités par la présence singulière d’un maître. Faire la classe au quotidien c’est dire « je », c’est marquer cet espace si particulier qui chaque année se remplit puis se vide de ses occupants temporaires. Les élèves ne font que passer devant ce point fixe d’où le maître les regarde et les voit dans leur constante jeunesse. Et l’enseignant va créer pour eux un étrange territoire, à la fois concret et virtuel qui ne ressemblera à aucun autre et que ses élèves longtemps après identifieront encore et qu’ils ne confondront jamais avec celui d’un autre. Nous avons tous ainsi en mémoire de ces singularités de l’espace et du temps dont nous nous souvenons avec émotion : c’était le cours de monsieur…, la classe de madame…
C’est cette singularité-là que nous avons voulu explorer dans ce dossier. Non pas seulement d’un point de vue descriptif et pour aller voir comment c’est, comment ça fonctionne et ça vit une classe. Mais aussi avec une problématique forte : pouvoir dire aux 150 000 nouveaux enseignants qui vont venir nous rejoindre d’ici peu, comment faire pour tenir la route dans cette épreuve de fond qu’est une vie de prof… Comment être un pédagogue au long cours et tenir la distance d’une vie entière d’enseignement ? Comment naviguer ainsi de classe en classe, de jour en jour et d’année en année sans craquer, en restant motivé et créatif jusqu’au bout ? Mais aussi comment surmonter les difficultés d’une si longue traversée : le stress, la fatigue, les conditions de travail pas toujours au top, les conflits, la tentation d’emprunter des lignes de fuites, d’abandonner pour faire autre chose, ailleurs ?
Nous avons ici fait essentiellement appel à ceux et à celles qui sont en classe au quotidien pour qu’ils nous disent comment ils s’y prennent pour y demeurer avec plaisir, tendresse ou fureur, avec peines et problèmes, avec courage, constance, avec passion ou scepticisme, avec leurs élans, leurs désespoirs et leurs rebonds.
Et nous n’avons pas été déçus.
Si la pédagogie et la didactique ressortissent bien des sciences humaines de l’éducation, tous les témoignages que vous allez lire montrent qu’il y a dans le métier « un noyau d’infracassable nuit », comme disait André Breton d’autre chose, noyau irréductible qui fait que le métier s’incarne de façon vivante et relève de l’art personnel et de l’artisanat. Chaque maître doit trouver sa manière et il n’aura pas de remplaçant à son poste, même si administrativement on peut croire le contraire.
Une première approche du phénomène classe permettra de voir qu’elle n’a pas toujours existé, même si elle nous paraît aujourd’hui comme allant de soi et « naturelle ». On y verra aussi qu’elle n’est pas un isolat dans l’école ou l’établissement, et que le maître ne rencontrera pas seulement des élèves. Il y trouvera des collectifs de travail bien identifiés, certains mêmes très officiels comme l’équipe pédagogique, l’équipe éducative, le conseil d’enseignement, etc., et d’autres, tout aussi importants, qui se créent au gré des projets et de la présence sur place de personnalités qui osent prendre des initiatives. Ce rôle de catalyseur pilote pouvant d’ailleurs non seulement échoir aux enseignants mais aussi aux autres membres de l’équipe éducative : chef d’établissement, adjoint, CPE, documentaliste, inspecteurs, etc. On parlera également de l’impact des collectifs invisibles que nul ne peut manquer de rencontrer là où il enseigne.
Suit alors une série de témoignages à la première personne où affleurent l’émotion et les présences singulières des professeurs et des élèves, acteurs principaux de cette scène jouée et vécue dans les classes au long des jours. On y verra comment le visage et le souvenir d’un élève – Sébastien – peuvent laisser une trace vive dans la mémoire d’un professeur de français. On y entendra les interrogations existentielles qui ne manquent pas de nous assaillir sur le sens même de notre présence en ces lieux : Qu’est-ce qu’on fait ensemble dans cette classe ? Comment peut-on être si près et si éloignés en même temps du corps de nos élèves, de leurs vies personnelles, de ces êtres qu’il faut apprivoiser comme autant de Petits Princes ?… On y dira aussi la tentation (légitime ?) de faire autre chose ou d’être un peu déchargé de l’obligation constante d’entrer en classe comme on entre en scène pour jouer la 400e du même spectacle.
Mais arrive toujours ce moment si particulier où on ferme la porte de sa classe et où on se retranche pour une heure ou deux, ou une journée, avec ses élèves. Et c’est la cérémonie si particulière du cours qui peut nous conduire, immobiles, très loin… Afin que tout ce temps passé avec eux, dans un tête à tête que rien ne saurait remplacer soit une belle aventure génératrice du plaisir d’enseigner, des praticiens nous donnent des conseils pour motiver les élèves, pour les mettre au travail, pour générer le silence nécessaire à la réflexion et aux échanges, pour utiliser ce premier instrument de travail qu’est notre voix, pour construire des séquences pédagogiques sous la forme attractive des situations problème, pour piloter des groupes difficiles comme « ceux de la perf », la classe de perfectionnement. On se permettra enfin de révéler quelques secrets de fabrication pour un enseignement qui soit tout à la fois efficace et économe de l’énergie créatrice des maîtres par la pratique de ce qu’on pourrait appeler le « judo pédagogique »…
Notons pour finir que ces témoignages et ces conseils viennent prolonger tout ce que les Cahiers pédagogiques publient depuis plus de cinquante ans : notre but, depuis 1945, n’est-t-il pas en effet de réfléchir et d’échanger avec les enseignants pour faire toujours mieux la classe au quotidien ?

Florence Lenoble, professeur d’histoire en collège, Limoux.
Raoul Pantanella, professeur honoraire de lettres.