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Faire du français : mission possible

Ce dossier prend acte de la difficulté d’enseigner une discipline écartelée entre, d’une part, le souci de la transmission de savoirs culturels difficiles (les œuvres littéraires et artistiques du patrimoine français, européen et mondial, rien de moins !) ainsi que l’étude rigoureuse de la langue qui enrichit le rapport au monde, aux autres, à soi, et, d’autre part, la rencontre nécessaire avec les élèves tels qu’ils sont, dans leur culture (d’origine, de milieu, d’âge) et leur langage, à l’intérieur d’une école qui a ses propres traditions plus ou moins figées.
Bien des élèves, par leur attitude d’ennui, de désintérêt, voire de rejet, manifestent leur sentiment d’être exclus d’un certain usage de la langue, de l’écrit, du livre. Loin de « renoncer aux exigences », il s’agit donc de s’interroger en toute lucidité, sans fausse culpabilité, sur ce qui, dans les pratiques d’enseignement du français, fait obstacle – l’enseignant qui « fait du français » se positionnant moins comme un « sauveur des lettres » que comme un modeste contributeur parmi d’autres à l’éducation de la jeunesse. En effet, si l’expression du découragement prend souvent des formes globalisantes, c’est dans l’appréciation éclairée de ce qui se passe dans la classe que nous pourrons avoir prise sur les apprentissages, renouveler nos pratiques avec pertinence.

La première partie propose quelques éléments de diagnostic sur ce qui exclut, puis des pistes pour ne pas exclure, souci qui se décline de différentes manières selon la sensibilité des enseignants : démocratiser les pratiques et éviter l’élitisme, en particulier la connivence culturelle ; différencier les apprentissages, avec une attention particulière pour les élèves « à besoins spécifiques » ; donner du sens aux activités en tenant compte de la culture initiale de chacun.

La deuxième partie illustre la conviction que difficulté n’est pas impuissance, et c’est peut-être dans le désir profondément enraciné de transmettre quelque chose de l’émerveillement et de la richesse des œuvres littéraires que se manifeste le plus ouvertement la créativité, mêlée d’optimisme, de ténacité et de réalisme, de l’enseignant de français. L’injonction de faire lire des livres à tous les élèves qui aboutit si souvent au dégout de la lecture, s’allège un instant, pour laisser la place à un partage de plaisir.

Parce qu’enseigner réclame aussi des savoir-faire, la troisième partie s’intéresse au versant technique des activités d’écriture, où la complexité des compétences mises en jeu atteint son comble : mise au travail des élèves, en particulier en groupes, évaluation qui motive, amélioration des productions. C’est aussi le délicat moment où les élèves demandent le plus d’individualisation et un accompagnement bien dosé, sous peine de découragement, d’abandon, de blocage.

Nous nous sommes intéressés ensuite à l’apprentissage de l’oral, parce qu’il nous semble être au cœur des pratiques démocratisantes du français comme des tensions du métier. L’exercice de la parole est indispensable pour que chacun s’intègre au groupe classe, prenne sa place, quelles que soient ses difficultés.

Les textes de la dernière partie présentent des apprentissages au long cours, ambitieux, qui intègrent de nombreuses facettes de l’enseignement du français, et font appel à divers champs culturels comme le cinéma ou le théâtre.
Quelques angles morts cependant : un seul article, d’une professeure de mathématiques, s’appuie sur le socle commun, ce qui montre sans doute la difficulté persistante à ce que « la maitrise de la langue française » soit effectivement l’affaire de tous. Peu de contributions prennent à bras le corps l’enseignement systématique de la grammaire, du lexique, de l’orthographe. Peut-être la mise en œuvre des nouveaux programmes sera-t-elle l’occasion de reprendre ces questions… Enfin, pourra-t-on éviter de remettre en cause d’autres barrières comme le cadre de l’heure de cours, des disciplines, du primat du papier et du stylo ?

Analyses et témoignages de ce dossier montrent comment, à partir des obstacles précis observés dans la classe, s’élaborent des pratiques forcément singulières, forcément stimulantes. Que chacun en fasse son miel !

Agnès Berthe
Professeure de français en collège à Thorigny (Seine-et-Marne)
Nathalie Bineau
Professeure de français en lycée à Parthenay (Deux-Sèvres)