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FLE, FLM, FLS, DNL, clivage et partage ?

Confondu avec le français langue étrangère (FLE) ou référé au français langue maternelle (FLM), le français langue seconde (FLS), ce nouvel arrivant dans le paysage didactique en France, a mis du temps à avoir une légitimité (2000)[[Le français langue seconde, MEN, CNDP, 2000.]]. Une réflexion didactique s’impose aujourd’hui car le français ne peut être raisonnablement considéré comme la langue maternelle de tous les élèves mais la langue des apprentissages scolaires. La maitriser c’est réussir scolairement et par la suite socialement. On postule dans cet article, que l’organisation des situations d’enseignement-apprentissage dans les classes des nouveaux arrivants ne peut se faire que, d’une part, dans une organisation pédagogique de type classe d’initiation (CLIN), classe d’accueil (CLA) ou dispositif d’accueil et d’intégration (DAI) ; d’autre part, dans une organisation didactique tenant compte du FLE comme socle, du FLS comme étape transitoire préparatoire et enfin du FLM à la fois pour apprendre LE français et apprendre EN français[[Davin-Chnane F. & Faïta D. (2003), « Enseigner En français et enseigner Le français en ZEP », Recherches & Formation n° 44, 93-101, INRP]].

Des enseignants à la recherche de l’efficacité

Le socle[[Décret n° 2006-830 du 11 juillet 2006 http://media.education.gouv.fr/file/46/7/5467.pdf ]] de connaissances et de compétences met en tête des 7 compétences scolaires la maîtrise de la langue française à la fois comme outil et comme objet d’apprentissage. Car « la maîtrise de la langue française est la base de toute l’éducation. (p. 11). Par conséquent, l’enseignant des élèves allophones est dans un double objectif : former les élèves à communiquer et à exercer leur « métier d’élève » par l’acquisition des pratiques langagières scolaires. Ces pratiques ont, certes, été acquises dans la langue d’origine mais l’élève doit les transposer dans un nouveau système qui ne relève ni de la même culture ni des mêmes références éducatives. Autrement dit, il doit reconstruire le langage courant dans une nouvelle langue et reconstruire celui de chaque discipline avec des codages sémiotiques spécifiques et des outils didactiques nouveaux. Car, les attentes institutionnelles exigent de savoir parler mais aussi savoir lire, écrire, compter, raisonner, expliquer, décrire, argumenter, résumer, observer, comparer,… C’est dans sa langue à lui que l’enseignant va dire « ce qu’il faut faire ou ne pas faire, donne [r] la clé de la compréhension de l’espace et de l’organisation, explique [r] la langue et le monde scolaire » [[M. Verdelhan (2002) Le français de scolarisation, pour une didactique réaliste, Paris, PUF.]]. Cette asymétrie dans l’interaction en classe, engendre une situation où se côtoient tous les jours un enseignant garant des savoirs à transmettre et un élève qui doit s’inscrire dans le discours du premier pour acquérir des connaissances. De ce fait, enseigner dans une classe d’accueil et arriver à faire circuler un langage scolaire adapté aux niveaux des élèves est coûteux pour un enseignant, en général, comme l’exprime cette enseignante : « Il est évident que quand je m’adresse à mes élèves. J’ai un français qui est transformé au départ. J’utilise des phrases minimales au début de l’année, un vocabulaire très simple. J’évite les abstractions dans les premiers temps. J’utilise un français TRES TRES facile et je le complexifie tout au long de l’année au 2° trimestre. C’est vrai que je parle une autre langue que la mienne » [[Chnane-Davin F. (2001) mémoire de DEA, La communication orale des élèves primo-arrivants. Université de Provence.]].
De plus, face aux cloisonnements disciplinaires, au manque de formation spécifique, à l’absence de prescriptions et de programme adaptés, chaque enseignant réinvente son métier et se fixe des objectifs linguistiques et/ou scolaires en cherchant l’efficacité et l’équité comme le dit cette enseignante « Il y a des choses qu’on ne peut pas faire. Cette tension dans le temps entre… la volonté d’aller vite il y a tellement de choses à leur apprendre et en même temps le besoin de leur laisser le temps de… d’entrer dans l’écrit, dans l’apprentissage. Je dois faire des coupes sombres dans les apprentissages systématiques »[[Culture d’enseignement culture d’apprentissage. Projet AUF-FIPF coordonné pour la France par F. Chnane-Davin.]].

Un cadre didactique et méthodologique[[Davin-Chnane F., (2008a) « Les dispositifs d’accueil et leurs orientations didactiques », in JL. Chiss (dir.), Immigration , école et didactique du français. Collection « Didactique des langues », Editions Didier, Paris. ]]

Pour apporter une aide à l’enseignant et lui faciliter sa tâche de « bricolage », l’organisation pédagogique de la scolarisation des nouveaux arrivants ne peut se passer d’un projet d’établissement dans lequel sont impliquées l’équipe éducative et l’équipe pédagogique. Le dispositif d’accueil et d’intégration (DAI)[[Cf. le n° 153 juin 2008 de la revue Diversité (ville-école-intégration) intitulé Le principe de l’hospitalité, CNDP]] est un meilleur exemple pour créer un espace didactique favorable. Les élèves ne sont pas dans des classes fermées mais dans des classes FLS de leur âge et circulent facilement selon la progression (ou la régression) à la fois dans la nouvelle langue et dans les disciplines scolaires. Les emplois du temps et les enseignements sont organisés par rapport aux besoins langagiers des élèves dans une approche qualitative.
Sur le plan didactique, en s’interrogeant sur ces besoins langagiers des nouveaux arrivés on se rend compte qu’il s’agit à la fois de besoins langagiers communicatifs, disciplinaires et enfin culturels. Or, ni le FLE seul ni le FLM seul ne peuvent y répondre. Et le français langue seconde alors ? Non plus. Souvent la représentation qu’ont les enseignants du FLS, est celle d’une discipline. Il ne l’est pas, à la rigueur c’est une théorie didactique avec des implications méthodologiques. On peut alors considérer que les grandes lignes[[Chnane- Davin F. (2008b), Didactique du français langue seconde en France. Le cas de la discipline « français ». Thèse de Doctorat de l’Université de Provence – Aix-Marseille I (mention Sciences de l’Éducation ; Systèmes d’apprentissage – Systèmes d’évaluation), soutenue en 2005, Aix en Provence, France. Diffusée par Thèse à la carte, Université de Lille.]] de cette méthodologie s’inspirent à la fois du FLE, du FLM et des disciplines non linguistiques (DNL) ayant comme objectifs :
– Acquisition de la langue parlée, indispensable pour toute communication sociale et scolaire ;
– Acquisition des formes des discours pour comprendre et produire des énoncés ;
– Acquisition des outils de la langue, à mobiliser lors de toute production orale et écrite ;
– Entrée dans l’interdisciplinarité pour penser et étudier dans toutes les disciplines ;
– Entrée dans l’interculturalité pour penser son identité culturelle en rapport avec celle de l’autre ;

Ces grandes lignes ne peuvent être réalisables que s’il y a un partage entre le FLE, le FLS, le FLM et les DNL en termes de passerelles et d’élargissement disciplinaires[[B. Cervoni, F.Chnane-Davin et M.Pinto-Ferrera,(2005) Entrée en matière, la méthode pour adolescents nouvellement arrivés. Hachette.]]. Il s’agit de :
Passerelles didactiques entre les disciplines[[Davin-Chnane F. (2004), « Le français langue seconde en France : Appel à l’interdidacticité », Études de Linguistique Appliquée n° 133, 67-77, Didier Érudition.]] pour construire des situations d’enseignement apprentissage[[«Vers une didactique du français ? » Langue française n° 82]] s’inspirant du FLE pour construire les bases de la communication scolaire et sociale ; du FLM et DNL pour faire entrer l’élève dans la langue de scolarisation ; des approches didactiques en FLS à l’étranger (Afrique, Canada) pour organiser son dispositif didactique.
Passerelles méthodologiques en croisant l’approche communicative en FLE (comprendre et produire de l’oral, interagir avec les francophones) ; l’approche théorique dont l’objectif est d’instruire, raconter, décrire, argumenter (produire de l’écrit) en FLM ; et l’adaptation de certaines approches méthodologiques pratiquées en FLS, langue d’information et de communication scolaire à l’étranger.
Passerelles culturelles où se côtoient à la fois la culture anthropologique (cf. méthodes FLE) que l’élève découvre et la culture normative (FLM) imposée par l’école dont l’objectif est la formation du citoyen dans une culture commune. Ces passerelles culturelles si elles ne sont pas fondées sur une approche interculturelle risquent de nuire à l’identité culturelle de l’élève et provoquer des blocages voire du rejet. En croisant une culture d’origine, une culture d’accueil, une culture francophone et une culture universelle à travers des œuvres écrites ou traduites en français, l’élève se construit une compétence culturelle solide.
Scolariser des élèves nouvellement arrivés est donc un travail fait « d’adaptations et de victoires remportées sur les difficultés » (Vygotski, 1997)[[Vygotski L. (1997) Pensées et langage. La Dispute, réédition.]]. Ces difficultés sont de plusieurs types : à la fois institutionnelles liées à une absence de politique linguistique elle-même tributaire d’une politique de l’immigration ; pédagogiques en l’absence d’une mutualisation des dispositifs d’accueil au niveau national ; didactiques dues à la rupture entre FLE et FLM et dues aussi à la confusion, encore aujourd’hui, des situations de FLE et de FLS par manque de formation et d’information. Les enseignants se trouvent seuls dans un combat difficile à mener dans une école qui impose une langue et une culture commune et ne reconnait pas le plurilinguisme des élèves. Le répertoire langagier maternel de ces derniers n’est plus valable au moment où il franchit le seuil de l’établissement. Ils se retrouvent dans un « état transitoire entre deux monolinguismes » (Deprez, 2003, p. 37)[[Deprez C. (2003) « Evolution du bilinguisme familial en France », Le français aujourd’hui n°143, pp. 35-43.]] et deux monoculturalismes parallèles.

Fatima Chnane-Davin, IUFM, Aix-Marseille Universités.