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Existe-t-il une politique des ressources humaines à l’Éducation nationale ?

Ils ou elles sont rectrices,  inspecteurs, chefs d’établissement, enseignantes-chercheuses, entrepreneurs, conseillères et se penchent sur l’épineuse question des ressources humaines à l’Éducation Nationale. Ce numéro 163 de la revue trimestrielle de Administration et éducation, prolongement du 41e colloque de l’association française des administrateurs de l’éducation montre la nécessité, aujourd’hui, d’une telle réflexion en rassemblant des contributions qui, par la diversité des approches et des points de vue exprimés, mettent au travail la question sans en réduire la complexité. L’ouvrage permet d’abord de tracer un aperçu de la situation du système éducatif français du point de vue des ressources humaines, laquelle se caractérise par le constat partagé d’une crise qui, en France comme dans  de nombreux pays, concerne deux aspects essentiels : crise de la qualité du service public éducatif qui ne parvient pas à réduire les inégalités de réussite selon le milieu social d’origine et crise de l’attractivité des métiers de l’éducation. Robert Rakocevic détaille dans son article les spécificités des pays européens en matière de difficultés de recrutement et de qualité professionnelle des enseignants et en analyse certaines causes. Cependant, Pierre Perier nous invite à nuancer  l’ampleur de la crise en précisant que le métier conserve une valeur en soi, ce dont témoigne également la recherche présentée par Sylvain Broccolichi et Jean Kurdziel qui ont étudié visions et pratiques de jeunes enseignants suivis pendant plusieurs années. Ces auteurs montrent en effet une forte adhésion aux objectifs de l’école actuelle, mais celle-ci s’érode ensuite par la confrontation avec les difficultés du métier. Plusieurs contributeurs pointent des conditions d’exercice susceptibles d’engendrer la souffrance au travail pour les enseignants comme pour les cadres. Isabelle Klépal rend compte d’un atelier réunissant divers acteurs du système éducatif qui ont eu l’occasion de s’exprimer à l’issue de la présentation par Maryse Trichet-Biette d’une réflexion développée dans son article Cadre à l’Éducation Nationale, un métier à risques. Les facteurs de risque du burn out chez les cadres rejoignent ceux des enseignants : surcharge de travail, notamment dues à la multiplication des tâches bureaucratiques, manque de contrôle sur le travail, conflit entre les valeurs personnelles et les exigences de l’emploi, difficile gestion du temps, manque de soutien hiérarchique ou entre collègues, faible reconnaissance, perte du sens, démotivation. Plusieurs contributeurs voient dans ce constat un des effets produits par le New Public Management  en tant qu’il introduit, dans la fonction publique, les principes d’une gestion néo-libérale empruntée au monde de l’entreprise privée. Ainsi, retraçant sur le temps long l’évolution du statut de fonctionnaire, Anthony Taillefait apporte un regard critique sur cette évolution qui aboutit selon lui à une déshumanisation des agents devenus capital humain, ressources humaines. Néanmoins, et c’est ce qui est intéressant dans cet ouvrage, d’autres auteurs analysent de manière plus positive le passage d’une logique de carrière à une logique de parcours nécessaire au développement professionnel des personnels, car d’une part les changements sociétaux nécessitent une adaptation à la complexité croissante du métier et d’autre part le manque de perspective et la mobilité géographique contrainte sont également des causes de la désaffection des métiers de l’éducation. En ce qui concerne la mobilité, la recherche menée par Camille Terrier, Julien Combe et Olivier Tercieux tente de répondre à la problématique ; ils présentent un algorithme alternatif à celui actuellement utilisé pour les mutations visant à améliorer le taux de satisfaction des vœux des fonctionnaires tout en évitant de pénaliser les académies défavorisées. De fait, les résultats de la recherche sur cet algorithme incluant le principe de l’échange mutuellement améliorant sont prometteurs. À un autre niveau, la difficulté du recrutement est également envisagée à partir d’un questionnement sur le concours et l’évaluation. À cet égard, l’article de Léa Palet sur le référentiel de compétences des métiers du professorat examine de manière critique la révolution RH relative à la détermination de la valeur professionnelle, elle pointe notamment le manque d’objectivité et de lisibilité des critères déterminant cette valeur et les limites d’un système visant à inciter les enseignants à l’engagement et au développement professionnels. Alain Boissinot quant à lui affronte avec exigence la problématique des concours en en rappelant  les fondements historiques et leur défaut majeur : ils entretiennent la confusion entre la formation et la validation (qui relèverait de l’université) et la fonction d’attribution des postes (qui relèverait de l’administration). L’analyse des conséquences de cette logique invite à esquisser un pas de côté lorsqu’il s’agit d’examiner un fonctionnement qui paraît évident pour la plupart des fonctionnaires. Cette réflexion est prolongée dans l’ouvrage par la retranscription d’une discussion entre des représentants d’autres organisations, hors Éducation Nationale, en France ou à l’étranger qui expriment des points de vue divergents.

Un autre volet important de ce numéro est consacré à la formation ; plusieurs contributeurs s’entendent à observer à la fois le besoin de formation continue et l’insuffisance de cette formation. Ange Ansour précise qu’aucun consensus n’est dégagé sur la nature et les causes du phénomène mais elle constate aussi qu’il manque un état des lieux exhaustif des acteurs publics et privés  de la formation continue. Monica Gather Thurler  considère que la recherche d’alternatives est rendue nécessaire par l’échec des méthodes classiques de pilotage, et en particulier de la gestion par les données et les résultats dont l’accumulation n’a pas permis de déboucher sur une analyse des problèmes. Elle propose un modèle d’action, la roue motrice intégrant une analyse des motifs de résistances au changement et une proposition d’action pour faire de l’inconfort une source de développement. L’intérêt du dispositif proposé réside dans la prise en compte réelle des acteurs, de leur analyse de la situation et de leurs besoins. De même, Roger Fougères qui défend la nécessité de la formation par la recherche oppose à la méthode du top down régulièrement utilisée (les recommandations issues de la recherche sont diffusées de manière descendante) la méthode bottom up selon laquelle les enseignants participent à la recherche. Il rend compte d’une expérimentation de cette méthode. D’autres contributeurs notent la nécessité de la prise en compte des besoins de formation tels qu’ils sont définis par les acteurs de terrain eux-mêmes et de la valorisation des réseaux permettant d’accompagner les personnels sans en passer par la hiérarchie. Dans leur article, S. Broccolichi et J.Kurdziel notent en effet que les jeunes enseignants qui échappent à l’érosion de leurs ambitions ont souvent bénéficié d’un cadre particulier : s’ils n’ont pas cédé au découragement – disent-ils – c’est aussi grâce aux accompagnements qui les ont aidés à analyser les difficultés rencontrées et à tirer leçon de leurs expériences.

La gestion des ressources humaines est-elle l’affaire des dirigeants de tous niveaux ou  est-elle une affaire qui nous concerne au plus près ? C’est à cette question impliquant une réflexion de philosophie politique que nous convie la lecture de ce numéro.

Isabel Pannier