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Europe et religions, les enjeux du XXIe siècle

La fille aînée de l’Église se veut aussi le sanctuaire de la vraie laïcité. Revisiter cette affirmation indisposera certains, mais une laïcité qui ne se laisserait pas interpeller ne serait qu’un de ces dogmatismes qu’elle combat. Un combat qui doit constater que les uns croient sans appartenir à une religion quelconque, que les autres y appartiennent sans toujours croire à ce qui en est l’essentiel, que le christianisme est « peut-être en train de devenir un phénomène minoritaire dans les sociétés occidentales », y compris en France, et que les croyances religieuses ne disparaissent pas, elles se recomposent, au profit des parasciences ou de sectes douteuses. À côté des religions qui évoluent – ce qu’on ne prend pas assez en compte – beaucoup se composent « un religieux à la carte », tandis qu’on voit renaître les intégrismes. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la laïcité dans l’Europe d’aujourd’hui. Si on la définit par la neutralité confessionnelle de l’État, la liberté de religion et de non-religion, l’autonomie de la conscience individuelle, le libre examen et le débat contradictoire, elle « peut s’incarner dans différents régimes des cultes et n’est pas incompatible avec la reconnaissance d’un certain rôle public des religions », comme le montrent plusieurs pays d’Europe.

On lira avec intérêt une typologie des différents régimes scolaires : dans la plupart des pays, il y a une approche pluraliste et le souci de former, par l‘apprentissage de la discussion critique, un citoyen responsable moralement et socialement. Ira-t-on jusqu’à dire avec l’auteur qu’en Allemagne l’instruction religieuse dans les écoles publiques n’est pas seulement un service que l’État rend aux églises, mais aussi un service que les églises rendent à l’État ? Le rapprochement avec la question du statut spécifique d’Alsace-Moselle sera discuté. En tout cas, le souci qui se développe en France, après plus d’un siècle de neutralité plutôt négative, d’un enseignement sur les religions à l’école publique « constitue une manifestation tangible de la réussite même de la laïcité ».

Au-delà de l’école, J.P.Willaime développe ce paradoxe : la perte de pouvoir des institutions religieuses permet (appelle ?) « une recomposition du rôle de la religion dans l’espace public », « une étape supplémentaire dans la laïcisation de l’État, une laïcisation qui s’inscrit dans un mouvement de désacralisation du politique et de dépositivisation de la science ». Défis : « construire un pluralisme faisant sens et ne pas se contenter de nourrir un relativisme juxtaposant les diverses opinions en présence », « rompre avec ce type d’approches rationalistes qui, au prétexte que les religions seraient des illusions ou des manifestations de l’aliénation et du retard culturel de leurs adeptes, empêchent une analyse sereine et approfondie des religions comme systèmes symboliques historiques, traversés par toutes sortes de débats et d‘évolutions ».

On fera le lien avec la difficulté à reconnaître concrètement la liberté d’expression religieuse, si débattue au printemps 2004. « Dérives républicanistes » comme il y a des dérives sectaires ? Communautarisme ? « Paradoxalement, une laïcité d’abstention contribue à la communautarisation du sens et des identités alors qu’une laïcité de reconnaissance contribuerait à la vitalité du débat démocratique » : « le religieux n’est pas réductible à l’individuel ».

Les débats récents ont montré que la laïcité de combat n’avait pas disparu. La « laïcisation de la laïcité » n’est pas terminée, qui la définira « plutôt comme le cadre régulateur d’un pluralisme des visions du monde que comme un contre-système d’emprise par rapport aux religions ». Mais le livre affirme : « la France est en fait plus européenne qu’on ne le pense. L’Europe est aussi plus laïque qu’on ne le croit… Autrement dit, l’Europe peut permettre à la laïcité française de se décrisper par rapport au fait religieux et de rompre avec ses connotations antireligieuses. »

Jacques Georges