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« Je me moque des intentions pédagogiques ! »

Les enseignants de français connaissent bien l’œuvre multiforme de Christian Grenier, souvent bien apprécié des élèves, entre littérature policière, transpositions de mythologies, romans intimistes et le genre qui l’a fait connaître : la science-fiction. L’auteur est un des pionniers de la diffusion de la littérature jeunesse et a toujours eu beaucoup de sympathie pour les mouvements d’éducation populaire. Il s’intéresse plus que jamais à ce qu’on pourrait appeler l’éco-science-fiction et nous en parle ici avec une passion teintée d’un pessimisme raisonnée qui n’empêche pas l’action !
La littérature de jeunesse aborde aujourd’hui les questions écologiques. Pour votre part, je crois qu’il ne s’agit pas d’un engagement récent, et surtout pas « pour coller à l’air du temps ». Que signifie cet intérêt et à quelles conditions peut-il être fécond et concilier les exigences « militantes » et celles de la littérature ?

À mes yeux, l’un des objectifs de la littérature est de se faire l’écho des grands problèmes de notre temps. La littérature de jeunesse aborde aujourd’hui tous les thèmes. Les questions écologiques (qui étaient déjà au centre de mes premiers romans comme Cheyennes 6112 ou Le soleil va mourir) et notamment le changement climatique sont devenus des questions majeures, qui concernent en priorité les jeunes. Hélas, les adultes et les responsables politiques leur ont donné des modèles qui correspondent très mal aux exigences des sociétés futures !

Plutôt que de militantisme, j’évoquerais une attitude responsable et citoyenne. En littérature comme ailleurs, je refuse de faire l’impasse sur l’avenir de notre planète !

Mais voilà : dans notre économie de marché, publier des récits qui mettent ces graves problèmes en perspective est moins simple qu’il n’y paraît. Devenue un secteur commercial comme un autre, l’édition veut publier « ce qui va se vendre ». Ou plutôt ce qu’on croit que les lecteurs attendent. Soumis aux impératifs des contrôleurs financiers, les directeurs littéraires constatent que l’attente des jeunes lecteurs est peu portée vers les problèmes d’environnement ! Aussi, on privilégie l’heroic fantasy, les trilogies et les récits d’évasion pure ; ou des récits traditionnels susceptibles d’entrer dans la prescription.

Mon dernier roman évoquant l’avenir de la planète, Écoland, fait un score très modeste. Mes romans policiers se vendent dix ou vingt fois mieux. Certains récits prescrits, se situant au Moyen Âge ou dans l’Égypte ancienne, font des scores cent fois supérieurs ! La plupart des auteurs, comme les éditeurs, cherchent en priorité à vendre. À l’image des jeunes lecteurs, ils boudent donc certains sujets.
Je me bats depuis trente-cinq ans pour promouvoir cette littérature. En vain.

Quand vous écrivez des récits à thème écologique, qu’est-ce qui vous anime ?

La nécessité de faire prendre conscience de l’urgence de la situation ; le besoin de faire réagir le lecteur, de le faire réfléchir sur la vanité et la nuisance d’un système pervers qui privilégie le jeu de la consommation/production… un système qui, au sein de notre économie de marché, favorise en réalité un très petit nombre. Il se peut que nous vivions plus heureux avec des ordinateurs sophistiqués, des 4×4, des écrans plasma… Mais si ces progrès favorisent l’individualisme, s’ils se font au prix de la destruction programmée de la planète, alors peut-être faut-il se poser deux questions : celle du bonheur et celle de la survie de l’humanité.

La littérature a-t-elle à avoir des intentions pédagogiques ? Intégrez-vous l’idée de faire réfléchir les jeunes ?

Je me moque des intentions pédagogiques ! Quand je débats avec ma famille et mes amis, j’évoque les mêmes problèmes que ceux qui nourrissent mes récits. Quand Molière écrivait Tartuffe, Zola Germinal, Hugo Les Misérables ou Dickens David Copperfield, avaient-ils des « intentions pédagogiques » ? Cherchaient-ils à « faire réfléchir » le public ou les lecteurs ? Un auteur est porteur de convictions, d’angoisses, d’espoirs… il les transmet, parfois malgré lui, et en ayant souvent moins qu’on ne le soupçonne l’idée d’un public précis !

Et si les intentions pédagogiques étaient dans la tête des enseignants ?

Ne pensez-vous pas que des visions du futur plus noires que vertes pourraient d’une certaine façon décourager et peut-être pousser à la passivité (puisqu’il n’y aurait plus rien à faire) ? Tout le problème aussi du message du texte, de la visée instructive (dans la lignée de Jules Verne). Comment vous situez-vous là ?

Autrefois, mes « visions du futur » étaient vertes. Si elles tournent au noir, c’est parce que les travers de nos sociétés que je dénonçais, il y a trente ou quarante ans, au lieu d’être rectifiés, se sont accentués : la « grande pollution » de Cheyennes 6112 (1974) est là, comme sont là les dérives totalitaires de Face au Grand Jeu (1975) et les problèmes environnementaux du Soleil va mourir (1977).

À la lecture de mon dernier manuscrit, un thriller sur fond de changement climatique, l’éditeur de mes romans policiers m’a en effet demandé d’être plus optimiste « pour ne pas décourager le lecteur ». Une attitude qui me rappelle celle des autorités du Titanic : elles avaient demandé à l’orchestre de continuer à jouer pendant que le bateau coulait. Il y a toujours quelque chose à faire. Ne serait-ce que mettre les chaloupes à la mer. Mais construire un navire plus sûr et veiller au grain pendant le trajet aurait évité la catastrophe. En ce moment, l’iceberg est en vue. Et le navire Terre va très vite… mais à bord, on se dispute à propos du confort des cabines et on vote pour le programme du concert du soir.

Les « visées instructives » de Jules Verne étaient conformes à l’idée que se faisait Hetzel de la littérature destinée aux jeunes de la deuxième moitié du XIXe siècle : on truffait les récits d’informations astronomiques et géographiques conformes aux découvertes du temps. Il n’y avait pas, alors, de collections documentaires, et l’attente des lecteurs dans ces domaines était très grande.

Je me situe moins dans la lignée de Jules Verne que dans celle de mon temps, tout simplement. Si l’on trouve dans mes récits des ordinateurs et des technologies de pointe, ce n’est pas parce que mes lecteurs en réclament, c’est parce que notre quotidien en est plein. Or, ces nouvelles technologies modifient nos comportements et transforment notre milieu. Profondément. Je réfléchis et je témoigne. Parce que je suis préoccupé.

Comment utiliser votre œuvre en classe, et en particulier ce type de récits ?

Je n’ai aucune réponse à cette question, réellement !
Longtemps, j’ai été prof, et j’ai utilisé toutes les littératures (la SF, le policier, la littérature jeunesse, ainsi que les classiques, le théâtre, la littérature générale, bien sûr !) pour faire partager mon amour de la lecture, pour faire écrire mes élèves et les faire réfléchir sur le monde et les hommes.
Aujourd’hui, écrivain à plein temps, je refuse de réfléchir sur un mode d’emploi quelconque de mes propres textes.

Avez-vous des échanges, particulièrement sur ces thèmes d’environnement et d’avenir de la planète, avec des jeunes, avec des profs ?

Oui, très nombreux, à la fois en direct, au cours des rencontres ou des débats avec des classes, ou encore par mail. Mais la plupart du temps, c’est moi qui provoque échange et débat quand on me pose la question « Pourquoi écrivez-vous de la SF ? (ou pourquoi aimez-vous la SF ?) ». Habituellement, je réponds que je me moque de la SF et que j’aime… ma femme, mes enfants, la littérature en général, mais pas la SF en particulier !

Je cite souvent Woody Allen qui un jour a déclaré : « Le futur m’intéresse parce que c’est là que j’ai l’intention de passer mes prochaines années… »

Ces échanges peuvent se résumer par une question et une constatation. La question posée le plus souvent par les jeunes est : « Qu’est-ce qu’on peut faire ? »

Et la constatation… c’est que, malgré leur générosité et leurs craintes de l’avenir, très peu sont prêts à changer leur mode de vie et de consommation ! Le développement durable reste une notion théorique et lointaine ; et ils ignorent celui de décroissance douce. Après cela, on sera moins étonné que des ouvrages évoquant les problèmes environnementaux fassent de faibles scores.

Si vous aviez quatre ou cinq titres à conseiller, ce serait quoi ?

Difficile, car même les ouvrages récents ne sont pas toujours réédités !

Les ainés pourront faire le tour de la question avec l’excellent recueil de nouvelles (préfacé par Joël de Rosnay) Demain la Terre (Mango, collection « Autres Mondes ») et ils seront captivés par l’édifiant roman d’Alain Grousset et Paco Porter Les Brigades vertes (Flammarion, « Tribal »).

Aux plus jeunes, on peut recommander le désormais classique Les Mange-Forêts de Kim Aldany ou La dernière pluie de Jean-Pierre Andrevon (Nathan-Poche), ainsi que La menace de Vylchymyk de Philippe Barbeau(Magnard, collection « Les Fantastiques »).

Les enseignants eux-mêmes pourraient lire avec profit La Terre chauffe-t-elle ? de Gérard Lambert (EDP Sciences), Marée montante de Mark Lynas (au Diable Vauvert) ou Le procès de la mondialisation, un excellent ouvrage collectif paru chez Fayard et publié sous la direction de Edward Goldsmith et Jerry Mender.

Comment travaillez-vous sur des fictions écologiques ? Documentation ? Conseils d’experts ? Plus généralement, quelle place peut, doit occuper l’exactitude scientifique, la vraisemblance, dans la fiction ?

Mes ouvrages récents traitant de l’environnement sont réalistes ; leur action se déroule soit aujourd’hui, soit dans un futur très proche. Comme nous ne sommes plus dans le domaine de la métaphore ou du conte, l’exactitude scientifique et la vraisemblance sont à mes yeux de rigueur. Les jeunes lecteurs sont d’ailleurs exigeants !

Habituellement, je consacre beaucoup plus de temps à la documentation qu’à la rédaction. Je rencontre bien sûr des experts, qui parfois sont des amis ! Daniel Collobert a soigneusement relu mon manuscrit d’Écoland et le climatologue Gérard Lambert m’a été d’une aide précieuse pour la rédaction de mon « thriller écologique » à paraître en mars 2008. Dans Écoland, les gaz de compost, les tuiles de silicium amorphe, les éoliennes ou les volants d’inertie sont des technologies dont les applications ont déjà fait leurs preuves !

Et dans Cinq degrés de trop, la description des conséquences futures du changement climatique (exode des populations, nouvelles maladies, extension des déserts) sont – hélas – conformes à tout ce que j’ai lu sur le sujet !

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk, en août 2007.

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