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Entre les murs : vivement octobre !

On ne verra qu’à la rentrée le film de Laurent Cantet tiré du roman de François Bégaudeau Entre les murs (qui vient de paraître en poche), film qui vient de recevoir la Palme d’Or de Cannes.
Nous sommes nombreux au CRAP-Cahiers pédagogiques à avoir lu et apprécié la chronique savoureuse, douce-amère et très juste d’un collège d’un quartier défavorisé de Paris. Nous sommes certains, après avoir lu d’ailleurs dans plusieurs numéros du Monde de l’éducation une autre chronique : celle du tournage du film, que celui-ci nous montrera un visage de l’école autrement plus intéressant que celui qui ressortait de Etre et avoir, film certes attachant et réussi, mais présentant une vision suranné de l’école.
Le ministre vient de rendre hommage au film qui « constitue un très bel hommage rendu à tous les enseignants de France qui, malgré des conditions de travail parfois difficiles, font preuve d’un dévouement et d’un vérite exceptionnels qui doivent être salués ». Très bien, mais ce qui ressort du film n’est sans doute nullement l’échec d’une école soi-disant minée par le « pédagogisme » et qui donne trop la parole aux élèves, nullement une apologie du retour des blouses grises et de l’obéissance au maître qui sait tout. Pas plus qu’il n’est un éloge un peu fade de « l’admirable travail des enseignants ». Ce n’est sûrement pas « un film à thèse » et tant mieux !
Il faut lire ce qu’écrit Bégaudeau, avec la modestie qui est le propre d’un bon enseignant, tout le contraire de la morgue de ceux qui ne vont pas manquer de honnir le film (comme ils le font du livre sur des blogs). En particulier dans un dossier des Cahiers pédagogiques (n°445) où il a proposé une belle contribution (« le meilleur du pire des ZEP ») qui se conclut ainsi :
Il y a cependant une marque des élèves de ZEP, qui à mes yeux les discrimine positivement. Appelons cela leur frontalité. Là encore, il faut se rappeler l’ambiance morne qui régnait dans nos classes bourgeoises, où les mots d’ordre, pour tacites, n’en étaient pas moins strictement appliqués. Surtout ne pas participer. Surtout ne jamais lever le doigt. Même si on savait la réponse, a fortiori si on la savait. C’eût été afficher, et se nier comme rebelle en l’affichant, ce que nul n’ignorait, à savoir qu’entre les profs et nous existait une fondamentale connivence sociale par rapport à quoi on ne se démarquait que superficiellement, et par exemple en n’instituant aucune relation orale avec eux. En ZEP, tout le contraire. Les élèves ne ressentent pas le besoin de se distinguer d’un système qui de toute évidence (c’est fou ce qu’ils ont intégré cette conviction) n’a pas été conçu pour eux. Alors c’est souvent une forêt de doigts levés qui accueille les questions posées à la cantonade par l’enseignant, pour peu qu’elles ne soient pas complètement absconses. Parfois, la parole ne prend même pas la précaution d’en passer par le rituel immémorial du doigt. Ça donne des répliques inopinées, des interférences, des parasites, des dialogues de sourd, et pour tout dire un joyeux bordel. Et de fait, cette loquacité débridée relève de ce qu’un euphémisme ironique aime à appeler la « spontanéité » des élèves. C’est vrai : c’est le même élève « spontané » qui sauve votre cours de l’exposé unilatéral et un jour vous tutoie ou vous signifie qu’il se bat les couilles de vos réprimandes. Tout fonctionne en interface. C’est le prix à payer de la frontalité que de la voir, de loin en loin, se muer en affrontement. On ne peut pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. On ne peut pas désirer l’animation et réprouver l’agitation, priser l’énergie et déplorer l’électricité.
On peut suivre aussi avec intérêt les interventions de François Bégaudeau dans une remarquable vidéo produite par Cap Canal sur les débuts dans l’enseignement.

Nous reparlerons du film cet automne et dores et déjà nous félicitions chaleureusement le réalisateur, l’acteur principal (qui est François Bégaudeau) et les 25 élèves de quatrième, si sérieux et de belle allure, dans leur sympathique diversité, sur la scène du Grand Palais des Festivals.