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Entre concept flou et présupposé opératoire

Né au début du siècle, le concept de transfert trouve toujours bon accueil dans les discours à portée éducative. Désignant à l’origine l’interférence d’un second apprentissage par rapport au premier, il s’est développé et enrichi au fil des années. La dernière décennie a d’ailleurs été féconde en publications (voir bibliographie). Pour autant, aucune étude ne semble avoir définitivement réglé la question. Philippe Meirieu lançait en 1998 qu’« il serait tout fait indécent de prétendre […] pouvoir mettre un terme définitif aux débats sur le transfert des connaissances » [[Ph. Meirieu, « Le transfert de connaissances, un objet énigmatique », Éducations, n° 15, mars-avril 1995. ]]. Quelques années plus tard, il semble que les discussions se fassent moins vives, que cet espace soit devenu moins polémique. Serait-ce le signe d’un affermissement… ou s’agit-il d’un endormissement ?
Tout d’abord quelques spécialistes s’engagent et répondenttrès clairement. À chacun de comparer ! Ensuite, divers praticiens s’expriment. Transparaissent des doutes et des certitudes, des représentations et des convictions. Ces contributions aident à préciser les contours de l’objet transfert. Elles évoluent entre concept flou, notion stabilisable et présupposé opératoire.
Certains auteurs placent en effet l’accent sur la dimension encore floue, peu accessible du concept, frisant même l’idée d’une imposture intellectuelle. Ces contributions ne sont cependant pas majoritaires… malgré un appel à contribution largement ouvert sur la dimension critique.
D’autres mettent en avant des propositions qui organisent assez sérieusement un mouvement en faveur d’une stabilisation de la notion. Certains éléments se clarifient. Le transfert n’est pas apprentissage. Le transfert n’est pas un simple transport. La représentation du transfert peut se construire au pas à pas dans le cadre de formation des enseignants. Il y aurait même intérêt à aller directement interroger nos élèves sur la question… L’apparente simplicité du procédé cache sans doute un bon sens à retrouver !
Enfin, des enseignants proposent des éléments pratiques qui rendent la notion, cette fois, directement mobilisable. Le présupposé opératoire semble fonctionner dans les contextes décrits. L’enseignement propose un intéressant bricolage, au sens noble du terme (Lévi-Strauss), écartant d’emblée toute attitude applicationniste. À l’heure du projet, de la métacognition, du débat argumenté, il convient peut-être de reconsidérer la dimension d’éducabilité cognitive. Le transfert n’est plus seulement l’objet d’expérimentation en psychologie : il est devenu d’intérêt public à l’école. Cette dernière construit des sujets qui, pour être acteurs, ont besoin de faire des liens.
Cette notion est probablement la plus importante à retenir dans ces contributions venues du terrain. Si le lien est posé par principe, l’enseignement bouge dans ses dispositifs. Et comme l’indique Georges Hervé, enclencher une réflexion sur la notion de transfert impose d’entrer dans l’analyse de nos pratiques quotidiennes d’enseignement. Penser le scolaire par le lien et non par la matière…
Il semble que l’heure soit venue de quitter les débats stérilisants au profit d’aventures dans le scolaire. Là, les élèves seraient avant tout considérés comme des sujets reliant leurs savoirs, savoir-faire, connaissances ou compétences, selon la préférence d’appellation. On rompt évidemment avec la tradition du programme. L’école n’est plus organisée sur des liens prédéfinis (ceux de l’emploi du temps, des matières) mais sur l’idée que ce sont les apprenants eux-mêmes qui tissent des liens productifs au cours de leur scolarité.
Un monde à l’envers ? Non, simplement une mise en jeu de l’élève pour qu’il mette lui-même du sens dans un univers supposé lui en fournir ! Le changement de pratiques qu’occasionne la manipulation opératoire du concept de transfert conduit à ce que le public des jeunes puisse vivre pleinement l’école. Cela signifie : aménager son temps pour comprendre en quoi les savoirs peuvent servir, réfléchir sur ce que les autres disent en classe, vivre des situations d’engagement avec de réels enjeux, se projeter dans des activités complexes, bref, prendre véritablement place à l’école en tant que personne.

Jean-François Tressol, professeur des écoles – ATER, IUFM d’Auvergne.