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Enseigner ou l’art d’improviser

Le métier d’enseignant s’invente au jour le jour, les cours se nourrissent des interactions avec les élèves, s’enrichissent d’année en année des expériences précédentes, des connaissances acquises au fil du temps. Caroline Jouneau-Sion, professeure d’histoire-géographie au lycée Germaine-Tillion à Sain-Bel dans le Rhône, vit sa profession comme celle d’un artisan où la créativité est sans cesse sollicitée.

Longtemps, elle a eu l’impression de bricoler avec l’inquiétude du manque de construction solide susceptible d’être assimilé à un manque de sérieux. Elle se souvient de l’été 99 pendant lequel elle se préparait à son année de stage. Que préparer, pour quelles classes, les questions se bousculent alors qu’elle ne saura qu’à la fin août auprès de quelles sections elle allait intervenir. Elle empile les ressources à la bibliothèque, frénétiquement, sans se sentir prête, jusqu’à ce que son mari lui suggère d’aller voir sur Internet. Elle découvre les richesses du partage et de la mutualisation en tombant sur les cours de Françoise Moréda en histoire et Cécile de Joie en géographie, qu’elle adapte. Dans la foulée, elle s’abonne à la liste de diffusion H-Français, adhère peu après à l’association Les Clionautes, en devient la présidente. Ce sont dans ces échanges, ces lectures, qu’elle étoffe ses pratiques professionnelles.

Elle raconte qu’elle a quitté son costume de « combattante » pour une approche plus « enseignante » avec les élèves le jour où elle a lu une contribution sur le thème de « vous savez qu’on peut sourire aux élèves, ce n’est pas grave ». Elle a le sentiment de construire au jour le jour son métier, de répondre par ces trouvailles et ses initiatives qui en découlent, aux problèmes qu’elle rencontre, aux particularités des contextes et des élèves, de vivre aussi ainsi sa profession loin de l’ennui.

Un savoir-faire

Dix ans après ses débuts dans l’enseignement, elle quitte le Nord pour la région lyonnaise, le collège pour le lycée et travaille à temps partiel à l’IFE (Institut français de l’éducation). Là, elle fait équipe avec le chercheur Sylvain Genevoix en géomatique puis avec Eric Sanchez sur le thème du jeu. Cette collaboration lui offre un autre regard sur sa façon de préparer ses cours qu’elle assimilait à du bricolage. « Tu crois que tu bricoles mais ce qui te permet de faire ça rapidement c’est que tu possèdes tout un savoir-faire métier en arrière-plan » lui explique t-il. Elle comprend alors qu’« en tant qu’enseignant, on ne se reconnaît pas ce savoir-faire professionnel. On croit qu’une préparation doit se faire dans la douleur ».

Le savoir-faire métier se construit avec l’expérience, les lectures pour lesquelles elle préfère les articles aux livres, les billets de blog, les échanges au sein d’associations ou via les réseaux. Pour elle, la formation initiale fournit les bases qui s’enrichissent ensuite dans cette construction.

À l’IFE, elle trouve une source nouvelle d’apprentissages, dans les dialogues où les chercheurs expliquent leur cadre méthodologique pour qu’à son tour elle joue le rôle de passeur auprès d’autres enseignants. « Là, j’ai appris plein de trucs. Par exemple ce qu’est une situation d’apprentissage avec la théorie des situations didactiques de Brousseau. » Elle prend conscience que, dans un cours, le professeur apporte des éléments de contexte, des outils, des personnes avec lesquels il construit un dispositif pédagogique. Avec Eric Sanchez, elle conçoit des jeux qui sont expérimentés ensuite en classe.

Prise de confiance

Progressivement, elle prend confiance, se lance dans des interventions en conférence. Elle contribue à des démarches issues du design based research, une approche itérative et participative où le chercheur échange avec les professeurs, partage ses hypothèses de recherche pour qu’elles soient vérifiées ensuite. L’observation, en classe ou via des entretiens, permet de les valider ou non, de les affiner et d’améliorer le dispositif. « Cela m’a apporté l’idée que c’est normal et plutôt bien qu’un cours soit améliorable, que c’est normal de se tromper même quand tu es prof. J’ai compris que le cours était un processus créatif. Ça libère d’un cadre un peu figé. »

Elle termine cette année sa collaboration à l’Ifé et a repris un poste à plein temps, après avoir passé un master en architecture de l’information. Elle apprécie les lycéens qu’elle côtoie, perçoit que deux catégories se distinguent globalement : ceux qui sont scolaires, bons élèves et ceux qui le sont moins. Les premiers ont du mal à s’émanciper du cadre scolaire, vivent toute note faible à leurs yeux comme une catastrophe. Les seconds doutent de leur capacité à réussir, ont une faible estime de soi. Ils sont pourtant parfois brillants.

« C’est une sorte de dichotomie. Certains ont toujours réussi à l’école mais au lycée on leur demande autre chose : argumenter. D’autres discutent le moindre bout de gras et savent argumenter, mais ne sont pas dans le cadre. » Alors, elle essaie de mélanger les deux publics, les deux types de compétences avec des travaux de groupe. En début d’année, elle utilise Classcraft, misant sur l’effet avatar pour stimuler la créativité. Elle observe des lycéens qui s’engagent, participent hors de l’obsession d’être un bon élève, pris par l’enjeu du jeu.

De la créativité et des outils

Toujours à la recherche de nouveaux outils pour améliorer son « bricolage », Caroline participe à un projet proposé par son proviseur adjoint et concernant au départ l’enseignement auprès des élèves dyslexiques. Avec l’appui de Covadys, une association locale, deux ateliers sont proposés aux élèves dyslexiques, l’un sur les cartes mentales et l’autre sur la relaxation. Des enseignants volontaires suivent une formation sur les même thèmes. « C’est une sorte de mise en abyme. La formatrice, orthopédagogue, nous a formé de la même façon que nous l’avons fait par la suite avec les élèves. »

Pour la troisième année du projet, la formation a porté sur les profils apprentissage en partant des propres profils des enseignants participants. « On a réalisé pourquoi certains élèves ne comprenaient pas les consignes ou ne l’écoutent pas en entier. Et pourquoi nous-mêmes, nous ne comprenions pas certains comportements d’élèves. »

Caroline Jouneau-Sion s’empare des outils pour décoder des comportements jusque-là peu compréhensibles. Elle reprend une séquence qui n’avait pas fonctionné où elle demandait aux lycéens de créer des capsules vidéos. Elle change la façon de transmettre les consignes pour que chacun puisse se les approprier. Elle constate à l’engagement des élèves le succès de la nouvelle formulation. À une élève insatisfaite de sa production écrite qu’elle jugeait trop désordonnée, elle propose une carte mentale pour structurer ses idées, relit son texte à voix haute en l’ordonnant un peu pour la convaincre de sa qualité, dépasser le sentiment du « c’est nul ». « Quand tu essaies d’être créatif en cours, pour répondre à des problèmes ou rendre les élèves plus créatifs, cela diffère de ce dont ils ont l’habitude, c’est difficile parfois de leur expliquer. Là, tu peux embarquer plus d’individus dans le dispositif mis en place car ta consigne s’adresse à tous les profils. »

Là encore, elle a mis une nouvelle corde à son arc d’enseignante, de nouveaux outils et ingéniosités dans sa mallette. « Après tout, on est des artisans. On conçoit les dispositifs d’apprentissage et on a un métier avec tout un savoir-faire qui nous permet d’improviser. » Elle voit dans cette improvisation, cette adaptation aux élèves, aux contextes, la richesse de son métier, ce qui le rend vivant et amène les enseignants à apprendre sans cesse pour mieux permettre d’apprendre.

Monique Royer

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