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Enseigner le français à tous les élèves – Réponses aux difficultés du collège

Dans cet ouvrage, ambitieux, les auteures considèrent la difficulté scolaire en soi et non plus sous l’angle des « élèves en difficulté ». Déplacement lourd de conséquences : la difficulté, inhérente aux apprentissages, y apparaît d’abord comme un obstacle à traiter, ce qui implique d’apprendre à observer précisément les élèves et leurs processus cognitifs, à diagnostiquer leurs besoins réels afin d’élaborer les dispositifs les mieux appropriés. D’autre part, la difficulté devient un levier pour faire évoluer les pratiques enseignantes : en effet, il s’agit bien pour les auteures de « construire une posture enseignante » capable de prendre en charge cette difficulté scolaire multiforme au sein même de la classe, par exemple en s’appuyant sur les interactions entre élèves ou en différenciant judicieusement les tâches.

Nous ne pouvons que souscrire à cette démarche, nous qui avons publié un dossier des Cahiers Pédagogiques, il y a quelque temps, intitulé « Faire du français sans exclure » ! En effet, les valeurs qui sous-tendent ce travail sont discrètement affirmées, adossées aux textes officiels : l’éducabilité de tous, avec le refus de l’assistanat, de la baisse des exigences, et plus généralement de l’essentialisation de la difficulté scolaire. Il est appréciable de voir assimilés les résultats des recherches des sciences de l’éducation, résumés dans un « état des lieux », que ce soit les apports de la docimologie, les manifestations de « la peur d’apprendre » décrite par Serge Boimare, les limites de la notion de « handicap socio-culturel » au profit de celles de « rapport à » ou de « malentendu socio-cognitif », ou encore le regard sur la pratique enseignante que la description fine des « gestes professionnels » par Dominique Bucheton a permise.

L’ouvrage n’est pas structuré autour des sous-disciplines du français (traditionnellement : la lecture, l’écriture, l’oral, l’étude de la langue) mais selon les compétences professionnelles de l’enseignant. Les auteures vérifient ainsi la pertinence de l’entrée par compétence qu’elles essaient de pratiquer avec leurs élèves, font apparaître des aspects du métier dont on parle peu (comment observer un élève en train d’apprendre, comment analyser une copie et hiérarchiser des priorités, comment enseigner l’autonomie…) et donnent de la cohérence aux dispositifs décrits et analysés, en les rapportant à une démarche d’ensemble, comme l’indique le sommaire :

  • Créer les conditions de l’apprentissage
  • Diagnostiquer
  • Mettre en œuvre des situations d’apprentissage adaptées
  • Favoriser les interactions entre élèves
  • Anticiper des difficultés
  • Organiser des progressions
  • Aider à l’autoanalyse et à la prise d’autonomie
  • Développer la capacité de transfert
  • Articuler travail en classe et « hors la classe »
  • Travailler en équipe

L’aspect composite de la discipline scolaire du français est ainsi ressaisi dans le souci de comprendre et remédier, dans l’espace de la classe, aux difficultés des élèves dans l’amélioration de leurs pratiques langagières ordinaires et scolaires. En cela, il pourrait intéresser tout enseignant qui se sent concerné par l’acquisition de la compétence « Maitrise de la langue » du socle commun…

Derrière l’aspect rassurant d’un manuel, le lecteur-praticien trouvera dans cet ouvrage de nombreuses pistes à explorer, susceptibles de faire évoluer son regard sur l’activité des élèves, voire de mettre en chantier l’ensemble de ses pratiques et sa conception de l’enseignement. En effet, les auteures cherchent plutôt à autoriser l’expérimentation et à provoquer des prises de conscience, mais sans prétendre à l’exhaustivité par exemple dans la mise en œuvre des programmes ou la formation de l’enseignant de français. On pourra trouver que certaines parties sont peu développées, comme celle sur la délicate élaboration des progressions annuelles, ou que certains aspects du métier sont absents, comme le nécessaire et si difficile travail en équipe disciplinaire. Mais en nous proposant de travailler notre « posture d’enseignant », elles nous invitent à redécouvrir notre métier, au contact des élèves tels qu’ils sont, avec leurs résistances et leurs mystères.

Citons quelques dispositifs proposés: les « pauses réflexives », les « mémoires de papier » et les « questions d’écriture » pour recueillir les traces de l’activité cognitive de l’élève, l’élaboration d’un PPRE autour de la compétence « copier », les dispositifs de lecture pour continuer à apprendre la compréhension en lecture, selon les travaux de R. Goigoux; l’accompagnement de la réécriture, des dispositifs de coopération qui ont fait leur preuve; des propositions pour anticiper les difficultés liées à certains objets d’étude comme les textes fondateurs en 6ème ou l’autobiographie en 3ème…

Agnès Berthe