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Enseigner la philosophie. Histoire d’une discipline scolaire, 1860-1990

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À mettre à côté d’Un siècle de leçons d’histoire (Évelyne Héry ; cf. Cahier 378, p. 70) en souhaitant des études analogues sur toutes les disciplines : une réforme des lycées et des collèges demande que les professeurs spécialistes mesurent bien que leur discipline s’inscrit dans un ensemble, l’enseignement secondaire, que ses objectifs et pratiques ont beaucoup évolué et qu’on ne peut donc pas considérer leur état actuel comme intangible.

D’abord couronnement d’un secondaire réservé à peu d’élèves, la philosophie est maintenant enseignée à un grand nombre d’élèves, qui ont suivi des cursus différents, et par un grand nombre de professeurs. Ce changement est somme toute récent : les plus anciens des quelque quatre mille professeurs de philosophie d’aujourd’hui ont découvert cette discipline avec des professeurs qui étaient moins de mille encore vers 1960, et dans un tout autre contexte.

B. Poucet part de 1863, « recommencement » de l’enseignement de la philosophie et rétablissement de l’agrégation après la régression de l’Empire autoritaire ; mais on regrette qu’il ne rappelle pas brièvement la période où Victor Cousin régnait sur la philosophie. Pour chaque période, il dessine le contexte institutionnel, analyse les programmes et les instructions, dont il donne souvent le texte, fait l’inventaire des manuels et, d’après les rapports d’inspection, des pratiques des professeurs, compare l’enseignement public et l’enseignement privé.

Quelques notes pour donner envie aux non-philosophes de feuilleter le livre. Si la philosophie est au concours général depuis 1810, elle n’apparaît à l’écrit du baccalauréat, notée de 0 à 5, qu’en 1863 ; l’anonymat des copies ne date que de 1927. Son domaine a varié : il s’élargit en 1880 à l’économie politique, réduite ensuite à des aspects de morale appliquée. Veillant à la qualité de l’enseignement, les inspecteurs surveillent aussi les idées des professeurs, jusqu’après 1914. Dilemme ancien : « aider les élèves à penser par eux-mêmes et préparer le baccalauréat, d’un côté faire appel à l’intelligence, à l’invention, de l’autre à la mémoire et à la répétition » (p. 193). Il y a eu des instructions très pédagogiques : « si le système des rédactions est pratiqué » (rédaction par les élèves à partir de ce que le professeur a dit en classe, corrigée ensuite par le professeur) « il faut vérifier les résultats qu’il donne pour la majorité des élèves. Les rédactions de la seconde moitié de la classe sont-elles de telle nature qu’il y ait pour les élèves péril plutôt que profit à s’en servir en vue de l’examen, on devra changer de système » ; et de prôner « de joindre à la leçon orale un sommaire dicté soit avant, soit après la leçon : et ce sommaire doit être assez étendu pour que les élèves puissent y retrouver toute la substance de la leçon et soient, par suite, dispensés de la rédiger » (1890, p. 384). Il s’agit de préparer « des hommes et non des professeurs de philosophie ». Un rapport au Conseil supérieur en 1902 rappelle : « on a renforcé notre tâche, en effaçant autant que possible de nos programmes tout ce qui, à la rigueur, pouvait exposer le professeur de philosophie à oublier son rôle d’éducateur au profit de son savoir particulier » (p. 213). Les instructions de 1904 prévoient que, si le professeur a beaucoup d’élèves, il lit et note toutes les copies, mais « ajoute un commentaire marginal pour un certain nombre de copies seulement, avec un roulement régulier » (p. 387). Mais certains craignent une primarisation du secondaire, tel Alfred Fouillée : « Il ne faut pas que la démocratie s’oppose aux aristocraties naturelles – peut-on dire que Platon est l’égal de son cuisinier ? » (p. 210. On n’attendait pas cela du mari de l’auteur du Tour de la France par deux enfants). Questions toujours en débat, et l’on regrette l’absence de références actuelles (le nom de J. Muglioni n’est pas cité [[Sur lequel il y a de bonnes pages dans La morale des enseignants, de Pascal Bouchard.]]).

Le rapport avec la religion est un peu spécifique à l’enseignement de la philosophie. Le programme de 1863 inscrit la morale avant la théodicée, pour montrer qu’elle est indépendante d’un fondement théologique ; l’Ordre moral, en 1874, rétablit l’ordre ancien (avant que Ferry ne supprime la théodicée), que l’enseignement « libre » conserve longtemps, de même qu’il reste longtemps assez indifférent aux évolutions de l’enseignement laïque (il conserve plus longtemps la pratique de l’enseignement en latin), et il utilise pendant longtemps aussi des manuels différents.

Conclusion dure, je n’ai pas dit malvenue : « la discipline philosophique a, contrairement à une légende trop souvent entretenue, assez peu contesté un ordre qu’elle contribuait moins à établir qu’à justifier » (p. 361).

Jacques George


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