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Enseigner l’image

Avec cet ouvrage écrit par un professeur d’arts appliqués en lycée professionnel, on ne s’attarde pas longtemps dans la théorie. « Imaginons pour la circonstance : les élèves sont entrés dans la salle, plus ou moins bruyamment (…et déjà cette rudesse joyeuse, si préjudiciable au climat serein d’écoute tant souhaité). » Cette entrée en matière donne le ton de l’ouvrage. L’ensemble des neuf chapitres se situe sous l’angle d’une « réflexion pédagogique ». Enseigner l’image comporte à la fin de chaque chapitre des annexes qui sont des outils méthodologiques d’aide à la conception de cours et à la conduite de la classe par section (technologiques, Bac pro). L’élève n’est jamais oublié dans son individualité, et le rôle de l’enseignant « professeur animateur » est bien celui de faire émerger les différentes acceptions du mot image, « Ce qui est nommé, ce qui a un nom, accède à l’existence ».
Terminologie et culture artistique, dans cette première approche de l’image, ne vont jamais sans la méthodologie qui va permettre à l’élève de s’approprier le savoir – et le désir d’en savoir plus.
L’élève de lycée professionnel, souvent doué pour la fabrication d’image et sensible aux arts visuels, comme le prouve la mise en page inventive de rapports de stage, n’a pas toujours « les mots pour le dire ». L’auteur s’attache alors à ce que « par touches légères, successives, se déploie l’ère sémantique du terme considéré ». Qu’est-ce qu’une image ? À cette question simple, et aussi et surtout à la question à laquelle devra répondre chaque sensibilité dans la classe, qu’est-ce que cette image pour moi, il ne peut y avoir de réponse apprise. Il s’agit de donner à l’élève, en parallèle des connaissances nécessaires, des mots-voir selon l’expression de Philippe Bootz [[Philippe Bootz, fondateur de la revue Alire, première revue francophone de littérature informatique. Le site d’Alire http://www.mots-voir.com/. Contact alire@mots-voir.com.]], universitaire, tant l’image et le texte sont aujourd’hui liés. Dans le chapitre 2, la description, J.-M. Husson met en pratique cette nécessité de l’expression. « Décrire éduque la vision et prépare la venue lumineuse du voir. » Une approche analytique de l’œuvre débouchera sur une question subjective adressée à l’élève : « Qu’exprime cette œuvre pour vous ? » Question ouverte à laquelle l’élève ne peut répondre sans passer par des phases successives que l’enseignant modulera selon le niveau de sa classe. Phase d’apport notionnel, bien sûr, mais aussi processus de désenclavement, qu’il faut parfois savoir mettre en œuvre pour sortir son public des représentations négatives dans lesquelles il se complaît. Le professeur de l’image est confronté ainsi, dès l’abord, à une sorte de « discours fataliste, défaitiste, imparable – bien qu’irrationnel – pourquoi en effet apprendrait-on davantage la mathématique, les sciences physiques ? » Discours faussement « utilitaire » derrière lequel se retranche l’élève : « Apprendre à dessiner ne me servira à rien pour mon futur métier » et encore « À quoi l’art peut-il bien servir, d’ailleurs ? » Apprendre à voir et à dessiner touche pourtant aujourd’hui tous les métiers. Qui n’a pas besoin de s’exprimer par l’image aujourd’hui, où on argumente en powerpoint et où on lance un site Web pour défendre une idée ? L’art touche le vécu intime de l’élève sa vie intérieure, celle justement qu’il récuse ou masque sans vouloir comprendre qu’apprendre c’est s’impliquer personnellement. Et l’image va l’y aider. Car l’ambition de Jean-Marie Husson pour ses élèves est grande : « Voir un Cézanne, c’est le re-vivre. »
L’interprétation de l’image – « Analyser l’image » chapitre 3 – si cruciale dans l’éducation aux médias prônée à tous les niveaux du système éducatif, présente des dangers en classe, celui « des débats tumultueux et informels », qu’il faut cadrer pour réguler les débordements du « moi je ». Face à la profusion verbale et à l’océan informationnel, face aux technologies de l’image et à son envahissement, le professeur est celui qui sait « définir des priorités, ou faire des choix compte tenu des caractéristiques de la classe à laquelle il s’adresse ». Enseigner serait donc un cocktail à bien secouer, entre connaissances et couperet : il faut connaître et aimer sa discipline, connaître le programme mais savoir trancher dans le vif, désigner et assumer, diriger l’élève vers ce qui va faire sens, peu à peu, pour lui, pour la communauté de la classe. Banalités ? Non, cœur du métier, qui devrait être le cœur de la formation des professeurs. Le professeur d’image, plus que tout autre doit savoir comment faire passer le message de l’analyse critique. L’auteur n’hésite pas à faire entrer le mot truc dans l’arsenal méthodologique de la transmission, afin que « le récepteur se montre effectivement réceptif ». La didactique devient alors « la didactique de la bonne question », celle qui va être déclic, déclenchement.
L’ouvrage conclut naturellement sur des travaux d’interprétation des élèves d’images célèbres et de l’image icône par excellence, « Portrait d’artiste dans son atelier ».
L’enseignant comme réalisateur de son cours est sans doute le véritable sujet du livre de Jean-Marie Husson, au-delà de la pertinence et de la justesse de ses remarques sur l’image. Comme le fait remarquer dans sa préface Anne Meyer, inspectrice générale Arts appliqués : « Cet ouvrage dépasse largement la cible initialement visée », celle de l’enseignant d’arts appliqués en lycée professionnel et a une place plus généraliste dans les IUFM.
Puisque Enseigner l’image s’adresse aussi aux professeurs débutants, on peut émettre un regret : que Jean-Marie Husson n’ait pas abordé l’image dynamique, l’image interactive, qui fait partie des manipulations quotidiennes de l’univers du jeune en 2004. Les enseignements artistiques évoluent, et l’image numérique est présente dans les concours de recrutement et dans les programmes. Ellipse volontaire, par choix ou par goût ? Déficit d’équipement technique ? J.-M. Husson pourrait appliquer son talent à ces nouvelles formes d’images. Lui qui maîtrise « les phénomènes de rythme interactif que sont la composition de l’œuvre » saurait sans nul doute poser un regard critique sur l’architecture et le sens des dispositifs interactifs, et la pédagogie à mettre en œuvre.

Janique Laudouar


Programmation 2014-2015

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