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« Engager les enseignants dans un regard réflexif sur leurs pratiques »

Sur quelles données repose votre rapport, entre chiffres et observations de séances Devoirs faits ? Est-on capable à partir de là dresser un état des lieux représentatif de la situation nationale ?

Pour ce deuxième volet du rapport, nous sommes appuyées sur des comptes rendus de visites dans des collèges, choisis en fonction de leur diversité concernant la mise en place de la mesure. Ces observations ont été réalisées par les inspecteurs généraux, correspondants académiques, à l’aide d’un protocole commun comprenant des observations de séances Devoirs faits et des entretiens avec l’équipe de direction, les coordonnateurs, des enseignants et intervenants, des élèves et des parents.

Au total, soixante-treize collèges de vingt-neuf académies ont été visités. Ce nombre peut sembler relativement faible pour rendre compte de la diversité des situations sur le plan national. Cependant, lors du dépouillement des comptes rendus, nous avons atteint une forme de « saturation des données », puisqu’au fur et à mesure les comptes rendus de visite apportaient de moins en moins d’informations nouvelles et même aucune pour les derniers comptes rendus. Donc il nous semble que cette méthodologie nous a permis d’appréhender la diversité des situations sur le plan qualitatif. En revanche, dans la mesure où l’échantillon n’est pas représentatif, elle ne peut nous renseigner sur le pourcentage réel des différents cas identifiés. Nous donnons quelques chiffres dans un souci de précision, tout en sachant que ceux-ci ne peuvent être extrapolés sur le plan national.

D’après vos observations, quels sont les motifs d’inquiétude et les motifs qui peuvent rendre optimistes ?

Nous considérons comme une interprétation restrictive des textes l’appréhension de la mesure Devoirs faits comme une simple prestation offerte aux élèves et aux familles, sans un travail sur la dimension sociale de la mesure et sans une réflexion des équipes éducatives sur la notion même de « devoirs ». Aussi, le risque est-il de considérer les devoirs comme une tâche scolaire faisant partie du métier d’élèves, dont ils doivent s’acquitter. Dans ce cas, les accompagnants se positionnent comme étant des « aidants » à la réalisation « ici et maintenant » des devoirs, sans donner les moyens aux élèves d’être plus efficaces pour « ailleurs et plus tard ». L’inquiétude qui en découle est le fait de rester sur une aide à court terme pouvant se transformer en une sorte de prothèse pour les élèves, sans améliorer leur autonomie et leur compréhension du sens et de l’intérêt des devoirs.

Cette situation a cependant été observée assez rarement. Dans un certain nombre d’académies, la mise en place de la mesure s’est accompagnée de réflexions d’ordre pédagogique. Des groupes de travail académiques ont conçu des formations et construit des ressources pour aider les équipes éducatives. Les thématiques travaillées ont avant tout concerné les devoirs eux-mêmes (les différents types de devoirs, les attendus et fonctions des devoirs, l’articulation des devoirs avec les enseignements), l’intervention même lors des séances Devoirs faits (conduite d’une séance « Devoirs faits », posture d’aide et d’accompagnement, animation d’un travail collectif), et les élèves (motivation et engagement, processus d’apprentissage). Ces travaux ont permis de dépasser la stérilité du débat « pour ou contre les devoirs », en interrogeant le sens même des devoirs et la manière dont ils peuvent participer à la réussite de tous en assurant une cohérence et une continuité entre le travail fait en classe et hors la classe.

Dans les établissements, les dynamiques de réflexion ont été très disparates et ont concerné un nombre plus ou moins important d’enseignants. De manière générale les questionnements reprennent ceux des groupes académiques, mais en engageant les enseignants dans un regard réflexif sur leurs pratiques. En encadrant les séances Devoirs faits, certains ont pris conscience du caractère complexe ou allusif de certaines consignes de devoirs, ce qui les a conduits à questionner leurs propres pratiques en termes de devoirs. Un autre effet de cet encadrement a été un nouveau regard sur l’élève et la difficulté scolaire avec une meilleure identification des difficultés des élèves, une prise en compte de l’engagement des élèves dans les tâches et une appréhension des freins à cet engagement. Pour certains enseignants, les séances Devoirs faits ont aussi été l’occasion de réinvestir des formats de travail expérimentés dans le cadre de l’accompagnement personnalisé afin d’améliorer des compétences méthodologiques plus génériques, mais avec un ancrage dans des préoccupations concrètes des élèves (« faire ses devoirs »).

Cependant, une des difficultés récurrentes auxquelles sont confrontées les équipes est de dépasser les demandes immédiates des élèves, qui se réfèrent essentiellement à la réalisation des devoirs, pour les aider à comprendre le sens des devoirs et leurs attendus, à modifier leur mode d’appréhension des devoirs (faire la différence entre devoirs et leçons, apprendre et réviser régulièrement les leçons), à s’interroger sur leurs stratégies pour apprendre…

Pourriez-vous évoquer un ou deux exemples positifs dans vos observations, et un plutôt négatif ?

Un premier exemple très positif concerne un collège dans lequel le dispositif est copiloté par une professeure de lettres et la conseillère pédagogique d’éducation (CPE), lesquelles ont réussi à créer une dynamique autour de « Devoirs faits », qui associe les enseignants, les AED (assistants d’éducation) et les parents. La réflexion a d’abord associé les parents de 6e lors d’une soirée débat « Les devoirs, parlons-en ! », lors de laquelle les parents ont été invités à exprimer leur point de vue sur les devoirs : à quoi servent les devoirs ? Comment perçoivent-ils les devoirs ? Quelles sont difficultés rencontrées pour accompagner les enfants dans la réalisation de leurs devoirs ? Le compte rendu de cette soirée a été le support de séquences de travail au sein du conseil pédagogique, qui a travaillé également autour du questionnement suivant : qu’est-ce que les enseignants attendent des devoirs ? Quels sont les différents types de devoirs donnés selon les matières ? Quels sont les liens entre les devoirs et le travail réalisé en classe ? Qu’est-ce qu’une consigne « aidante » pour les élèves ? Peut-on et doit-on différencier les devoirs selon les élèves ? Peut-on envisager une progressivité dans les devoirs ?

Ces réflexions ont permis une forme de culture commune autour des devoirs au sein de l’équipe éducative, et donné lieu à la rédaction de différents outils pour les enseignants et les élèves. Le cadre d’organisation des séances est également original en ce sens qu’elles sont offertes tous les jours aux élèves sur la pause méridienne : la salle peut accueillir cinquante élèves, trois à quatre intervenants encadrent la séance, la participation se fait sans inscription préalable des élèves et selon leurs besoins, ils peuvent repartir avant la fin de l’heure s’ils ont fini leurs devoirs. L’observation d’une de ces séances a donné à voir des élèves engagés dans différents formats de travail et accompagnés de manière différente selon leurs besoins.

Un autre exemple positif concerne un établissement qui s’est appuyé sur la mesure Devoirs faits pour mettre en place une aide pour les parents à l’accompagnement scolaire de leurs enfants. Il est difficile de sensibiliser les parents les plus en difficulté mais cette voie nous semble prometteuse pour responsabiliser les parents et leur donner les moyens d’aider leurs enfants. Les devoirs sont des objets qui transitent entre l’école et la famille et, en ce sens, ils peuvent être un vecteur pour rendre explicites aux parents qui en sont le plus éloignés certains attendus et codes de l’école. Plus globalement, il s’agit d’envisager les conditions à mettre en œuvre pour que les devoirs ne soient pas une source supplémentaire d’inégalités scolaires mais un facteur de réussite en aidant certains élèves et leurs familles à s’approprier le sens des apprentissages scolaires.

Au-delà des collèges dans lesquels Devoirs faits se réduit à une simple aide aux devoirs, les exemples négatifs concernent la plupart du temps des établissements dans lesquels l’équipe de direction et le coordonnateur nourrissent de réelles ambitions pour la mesure et sont engagés dans le dispositif. Ils n’arrivent cependant pas à entraîner dans cette dynamique des enseignants qui vivent toute réflexion sur les pratiques de devoirs comme une attaque à leur liberté pédagogique et une remise en cause de leur compétence professionnelle.

Comment finalement faire du dispositif Devoirs faits un levier pour changer les pratiques et non un alibi pour ne pas les changer ?

Il est difficile de répondre à cette question. On ne peut changer les pratiques enseignantes par la seule mise en place de dispositifs. Si Devoirs faits est un moyen pertinent pour inviter, à travers les devoirs, à s’interroger sur d’autres dimensions des pratiques professionnelles enseignantes et la prise en charge de la difficulté scolaire, cette mesure n’est pas une baguette magique. Un élément essentiel est d’assurer une pérennité à cette mesure afin de soutenir les enseignants qui s’y engagent, de leur donner le temps de conduire une réelle réflexion sur la question des devoirs, d’expérimenter de nouvelles pratiques… Et aussi d’éviter de donner raison à ceux qui restent en marge de toute nouvelle mesure en prétextant son instabilité..

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk


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