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Alex Taylor : «Encourager la créativité plutôt que sanctionner la faute»

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Photographie ©Ulf Andersen

Alex Taylor est un journaliste britannique, animateur de radio (notamment RFI et France Inter), qui vit en France depuis plus de trente ans. Celui qui a dit sa <em>« honte d’être britannique »</em> au lendemain du Brexit en juin dernier n’a pour autant pas perdu sa foi en l’Europe et en sa jeunesse.
Comment avez-vous vécu l’école en Angleterre ? Quel rôle a-t-elle eu dans votre itinéraire vers le journalisme et l’ouverture à l’Europe ?

J’ai toujours été fasciné par les langues. Je me souviens de mon premier cours de français. Notre professeure s’appelait (ou on devait l’appeler, plutôt) mademoiselle Bridgewater. Au début du premier cours, elle a inscrit le mot « oui » au tableau. Ce fut un énorme choc. On savait que les Français utilisaient ce mot pour l’affirmatif, mais jusque-là, on imaginait tous que cela devait s’écrire « we » comme nous le faisions en anglais. Je me souviens du frisson que j’ai ressenti. C’était le départ d’une véritable fascination pour les langues, et, plus loin, pour l’Europe de manière générale.
J’adorais surtout l’allemand, car nous avions un professeur qui nous l’apprenait avec des chansons. J’ai appris et surtout aimé cette langue à travers Marlène ­Dietrich, dont je peux à ce jour chanter tous les textes en allemand.

Que relevez-vous comme différence notable entre les deux systèmes éducatifs, français et anglais, dans leurs effets sur la société, les relations entre adultes ?

J’ai passé dix ans comme lecteur d’anglais à Paris X, XII et à l’École normale supérieure, ainsi qu’en tant que colleur aux lycées Saint-Louis et Saint-Michel dans les années 1980. Une chose m’a marqué dans l’enseignement des langues. Je passais mon temps à enlever des points sur 20, un quart de point pour faute de syntaxe, un demi-point pour un contresens, trois quarts de points pour ceci ou de cela. Ce n’est pas étonnant que cela produise des gens qui disent à longueur de temps (et j’entends cette phrase presque aussi quotidiennement que « my taylor is rich ») « je n’oserai jamais parler anglais devant vous ». Pourquoi ? Parce que les gens ont peur de faire des fautes, d’être punis avec des points qu’on enlève. C’est le total contraire de ce que l’on fait avec les nouveau-nés lorsqu’ils apprennent des langues. Le moindre son est accueilli avec un « mais c’est génial ! » de la part des adultes autour. Ce système punitif français contraste nettement avec l’apprentissage basé sur le plaisir que j’ai eu la chance de suivre en Grande-Bretagne. On m’a dit que la situation s’est quelque peu améliorée depuis, mais il faut attendre la génération suivante pour voir les résultats.

Qu’est-ce que vous retenez comme particulièrement positif dans le système éducatif anglais ?

Le fait qu’il encourage la créativité plutôt que de sanctionner la faute ! Lorsque je pense à mon éducation, je me souviens des matières où j’ai pris véritablement plaisir. Shakespeare, par exemple, est devenu intéressant pour moi (c’est incompréhensible pour de jeunes écoliers britanniques) le jour où notre professeur nous a emmenés voir le Roméo et Juliette de Zeffirelli. C’est là que j’ai compris que c’était la peine de faire l’effort d’étudier le vocabulaire très moyenâgeux et hermétique du barde. Je ne le regrette pas depuis.

J’aimais aussi, bizarrement, le port de l’uniforme. Je venais d’une famille qui n’était pas très fortunée, et le fait d’être obligé de porter la même chose que tout le monde me donnait un grand sentiment d’égalité.

Croyez-vous encore à l’Europe alors qu’on fête les 30 ans d’Erasmus ? Comment favoriser le sentiment européen chez les jeunes ? Avez-vous l’occasion d’échanger avec des jeunes sur ce point ?

Difficile de poser cette question au lendemain de cette énorme stupidité faite par mes compatriotes au mois de juin dernier. Si les Britanniques ont voté pour le Brexit, c’est qu’il manquait totalement chez eux le moindre sentiment positif à l’égard du continent. Ils ont une presse qui, jour après jour, brasse le sentiment antieuropéen déjà inhérent à ce peuple insulaire (85 % des journaux sont contre l’Union européenne).

Si on veut intéresser les jeunes à l’Europe, il faut les y amener sur le terrain du plaisir, par la musique, les films, les séjours linguistiques, plutôt que l’enseignement aride des institutions, etc. Mon premier engouement européen n’était pas devant un livre, mais le jour où mes parents m’ont emmené faire du camping sur le continent, et le moment où j’ai gouté mon vrai premier croissant français. Je me souviendrai toujours de son gout qui est inexorablement lié à mon sentiment proeuropéen.

J’ai récemment rencontré des lycéens dans un collège européen à Saint-Dié, dans les Vosges. Ils m’ont complètement requinqué avec leur enthousiasme européen, et c’était un véritable antidote au pessimisme ambiant. Le futur de l’Europe est entre de bonnes mains.

Propos recueillis par Cécile Blanchard et Jean-Michel Zakhartchouk


article paru dans notre n°535, Arts et culture :quels parcours ?, coordonné par Jean-Charles Léon, février 2017.

Pour donner aux jeunes un égal accès à l’art et à la culture, les derniers textes officiels concernant l’Éducation artistique et culturelle mettent l’accent sur la notion de «  parcours  », qui doit permettre à l’élève de se constituer une culture personnelle, développer son habileté artistique et rencontrer des artistes, des œuvres, des lieux.

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/670-arts-et-culture-quels-parcours-.html


Bibliographie :

Alex Taylor nous a cité deux de ses livres pour prolonger ses propos :
Quand as-tu vu ton père pour la dernière fois, Jean-Claude Lattès, 2014 : « J’y parle de mon enfance et de l’école. »

Et Bouche Bée, Tout Ouïe, Jean-Claude Lattès, 2010 : « Il y a tout un chapitre sur la pédagogie des langues en France et en Grande-Bretagne. »