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Emmanuel Meirieu : « Émouvoir, c’est mon travail »

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E. Meirieu ©Pascal Chantier

Quel a été votre rapport à l’école ?

J’ai connu de belles années en primaire, jusqu’au CE2, où j’ai dû quitter mon école brusquement. Ensuite, j’ai eu la chance extraordinaire de faire mes années de collège dans une école nouvelle, Saint-Louis-de-la-Guillotière à Lyon, où une des particularités était qu’on choisissait nos enseignants. Ceux-ci étaient des militants et pratiquaient une pédagogie différenciée. Après, cela a été beaucoup plus difficile au lycée, j’étais peut-être inadapté, c’était peut-être mon tempérament. En tout cas, ça a été une épreuve douloureuse, je voulais quitter le lycée et aller travailler, passer mon bac en candidat libre.

Ensuite, après quatre années d’études de philosophie et une année de droit, à 30 ans, j’ai voulu devenir officier de police judiciaire, pour être à la brigade des mineurs. J’ai échoué au concours. Je faisais déjà du théâtre et j’ai repris le métier de metteur en scène.

Quand et comment est venu le théâtre ?

C’est venu très tôt. Mes parents viennent de grands mouvements d’éducation populaire, ils avaient créé en amateurs un festival de théâtre dans un village de la Loire, ils montaient des spectacles. Dès bébé, j’étais sur un plateau de théâtre. Je n’ai pas suivi de cours, pas été au conservatoire, je ne viens pas du sérail. Je n’ai fait que de la pratique en amateur et j’ai tout appris sur le tas.

Mes premières expériences professionnelles, c’était comme régisseur plateau (pour accessoires et décors) pour une compagnie de théâtre qui travaille avec des personnes en situation de handicap. C’est la première fois que j’ai été payé pour un métier de théâtre, vers 17, 18 ans. J’ai créé à 17 ans ma compagnie de théâtre et j’ai gagné ma vie avec cette compagnie à 22 ans. C’est une association qui tourne toujours. J’ai pu me professionnaliser comme ça. Et en étant mon propre producteur, pas seulement metteur en scène. 70 % de mon temps, c’est de monter des productions. Comme ça, je ne suis pas trop dépendant des autres, c’est ce qui m’a permis de tenir, sans avoir fait les grandes écoles ou le conservatoire, et donc sans accès facile à la profession.

Acteur, metteur en scène, décorateur, éclairagiste : qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait de faire un peu de tout ?

Je travaille avec des gens qui ont plus de compétences voire de talents que moi, mais j’aime bien connaitre tous les domaines, pour pouvoir mieux accompagner les gens que je dirige, connaitre toute la chaine de fabrication et pouvoir tout orienter, un peu. Je ne leur passe pas de commandes, je travaille avec eux.

Votre théâtre provoque beaucoup d’émotions chez les spectateurs…

Émouvoir les gens, c’est mon travail. Le théâtre en France est plutôt le lieu de l’analyse, de la distance critique, là où la littérature ou le cinéma sont plus les lieux de l’émotion. Mais je ne pratique pas mon métier comme ça, je raconte plutôt des drames humains, je cherche à aller jusqu’à la larme. Mais des larmes de soulagement, pas d’abattement. Le but c’est de consoler, pas de déprimer les gens quand ils quittent le spectacle !

Notre pays a un rapport assez ténu à l’émotion, on n’est pas dans la ferveur et l’intensité émotionnelle la plupart du temps. Moi, je suis un hyperémotif, je pense que c’est à cause de ça. Ce n’est pas une construction, c’est de la chimie corporelle. On fait du théâtre (comme tout) avec ce qu’on est. Je fais du théâtre avec ce que je ressens et comme je ressens très très fort, j’essaye de mettre des émotions très très fortes sur le plateau.

Quels sont les échanges quand vous rencontrez vos jeunes spectateurs ?

Il ne faut pas avoir moins de 14 ans pour voir mes pièces, mais ça accroche très bien avec les adolescents. Je suis présent sur toutes les dates de mes spectacles, je rencontre les spectateurs et notamment les adolescents. Ils me parlent de l’histoire qu’ils ont vue, ils partagent leurs émotions et leurs questions. Ils n’évoquent pas la question directement, parce qu’ils viennent souvent avec leur enseignant, ils n’ont pas une parole très libre.

Et c’est un public contraint, même s’il faut absolument continuer à les amener au théâtre. Ils ne vont pas forcément faire la démarche de venir, ni même exprimer le désir d’être là. Leur écoute est particulière puisque pas volontaire. Le risque est énorme d’un mauvais premier contact, qui peut être définitif : si on les perd, c’est pour toujours ou pour très longtemps. Mais si on les gagne, à l’inverse, c’est pour longtemps.

Les adolescents sont souvent surpris par mon théâtre, qui n’est pas du tout classique. J’essaye d’utiliser l’image, la musique, c’est plus proche d’eux que ce qu’ils imaginaient. Ils me demandent si c’est vraiment du théâtre ce que je fais. Ils ont l’image d’un théâtre qui ressemble à celui de Molière. Beaucoup de gens qui ne vont pas au théâtre s’imaginent que c’est encore ça. En revanche, les ados s’y retrouvent en sensibilité, parce qu’ils regardent beaucoup de séries américaines et que j’adapte beaucoup de textes américains. Ce sont des histoires contemporaines, d’aujourd’hui, avec des personnages qui parlent leur langue, qui vivent dans le même monde qu’eux, ça peut résonner.

Propos recueillis par Cécile Blanchard


Article paru dans notre n°560, Urgence écologique, un défi pour l’école, coordonné par Peggy Colcanap et Jean-Michel Zakhartchouk, mars-avril 2020.

Ce dossier nous invite à aller plus loin que l’éducation à l’environnement ou au développement durable. Comment permettre à nos élèves de prendre conscience des enjeux de cette indispensable transition écologique : apport de connaissances, actions locales, formation à l’éco-citoyenneté…

https://librairie.cahiers-pedagogiques.com/revue/792-urgence-ecologique-un-defi-pour-l-ecole.html