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Écrire joliment et enseigner l’essentiel

Christian est un pseudonyme. Le jeune enseignant qui raconte son quotidien sur une page facebook a, dit-il, « la hantise que ses élèves le lisent », il préfère la discrétion. Ses propos ne sont pas malveillants, il a d’ailleurs horreur des perles du bac et maladresses ou incompréhensions sorties de leur contexte, échangées pour rire aux dépens de leurs auteurs. Les situations sont réelles mais les prénoms inventés. Il tient au respect dans sa classe comme dans ses récits, qu’il compose de façon littéraire. « On se focalise moins sur le problème que l’on rencontre lorsqu’on essaie de faire les choses joliment. » Il enseigne le français dans des classes de sixième, cinquième et quatrième dans un collège de la grande banlieue parisienne. Dans ses cours, il accueille des collégiens qui déjà ne se sentent plus concernés par l’école, un univers qu’ils ne pensent pas pour eux, dans lequel ils ne perçoivent plus la place qui pourrait être la leur. D’autres sont plus investis, questionnent, s’interrogent. Il y a aussi des élèves allophones qui en parallèle suivent les cours de français langue étrangère. Il n’opère pas de distinction dans le travail proposé, réservant ses différences dans les nuances d’appréciation, d’évaluation.

Ses collègues sont jeunes, le turn over semble la règle, pour aller voir ailleurs si les conditions pour enseigner sont meilleures. Et puis, il y a la mesure APV qui permet de bonifier sa progression dans la carrière lorsqu’on exerce dans un établissement jusqu’alors en éducation prioritaire et qui ne l’est plus. Son collège est dans ce cas. Alors, il ne blâme pas ceux qui partent mais constate simplement que débuter son métier au milieu d’autres néophytes rend plus difficile l’apprentissage en l’absence de référent, de conseils expérimentés. Cette valse des enseignants peut aussi être perçue par les collégiens comme un manque d’intérêt à leur égard, comme s’ils ne valaient pas la peine que l’on s’attarde auprès d’eux. Mais, « l’ambiance est sympa et les élèves le sentent », un point positif dans ce décor un peu sombre.

Dissoudre l’incompréhension

Au début, il écrivait ses textes pour continuer à pratiquer la littérature, lui qui se voyait plutôt travailler dans l’édition. Au fil des récits, la prise de recul sur ce qu’il vivait est devenue flagrante. L’impression d’incompréhension se dissout pour laisser émerger les raisons d’un cours réussi ou d’un autre dont les résultats sont plus mitigés. « Je construis un imaginaire avec mes élèves même s’ils ne me lisent pas. » Ses lecteurs entrent dans un monde que l’on sent en construction avec ses fragilités et ses lignes de force, ces liens qui se tissent dans la classe et en dehors, dans la cour, sur le quai de la gare, dans le train de banlieue. Des collègues, des parents apparaissent, on voit les collégiens avec leur allure, leurs cheveux, leurs visages, leur façon d’être entre eux, et l’enseignant qui se fraye un chemin pour semer des graines de curiosité, de connaissances.

Dans ces récits, on peut lire : « Il fait bon en salle des professeurs et le vestibule sent les canalisations. Les professeurs étalent sur la grande table leurs copies et se parlent de leurs vacances. Il n’y a plus d’encre dans le photocopieur, tout de même, c’est un monde, plus personne ne sera plus jamais à l’heure. » Ou encore : « J’ai sous les yeux le trombinoscope des sixièmes : il y en a toujours qui restent lorsque tous les prénoms qu’on se rappelle sont écrits, ce sont autant de petits regrets. »

De l’imposture à l’affect

« Amoureux des lettres », il a « commencé par raconter ce qui était amusant puis ce qui était intéressant », à se questionner sur ce qui a amené la situation, les échanges qui l’ont précédée et de fil en aiguille sur sa manière d’enseigner. Sans doute est ce ainsi que son goût pour son métier s’est développé, lui qui se sentait dans l’imposture lors de son année de stage. « On dit que certains professeurs ont leurs élèves à l’affect, moi c’est l’éducation nationale qui m’a eu à l’affect. »

Son objectif est simple : montrer à ses élèves en quoi l’école est une chance, leur permettre de devenir de futurs adultes responsables avec des bases pour qu’ils se sentent confiants. Apprendre à apprendre plutôt qu’apprendre par cœur, pour se saisir maintenant ou plus tard d’une notion en ayant compris son sens, son intérêt, il fixe la réussite de ses cours sur cette nuance-là.

Les indices de cette réussite, il les perçoit lorsque les élèves font le lien avec des choses vues avant, lorsque les cahiers restent fermés le temps d’une séquence où les échanges prévalent et qu’ils se remplissent à la séance suivante par le résumé des notions nées de ce qui semblait impromptu, lorsque les élèves apprennent tout en étant persuadés que le cours a dérivé hors du canal des leçons. Il aime les surprendre par une énorme faute de grammaire ou de conjugaison qui éveille leur intérêt, et par détour, parvient à les convaincre de l’importance de la maîtrise de la langue. Il mise sur les textes des grands auteurs, sur Molière, Maupassant ou Hugo, pour amener l’expression, la construction d’une réflexion.

Lire à la classe

Dans un de ses récits, il raconte : « J’ai lu “Le Dernier Jour d’un condamné” aux quatrièmes : on m’avait dit : “ils ont été affreux aujourd’hui ”. Les vacances approchent, la dernière heure du vendredi est de plus en plus difficile. Je leur ai dit : “ je vous propose une séance d’écoute active : je lis, vous vous taisez, si vous me gênez, on repart sur la grammaire”. J’ai tiré les rideaux, la plupart des élèves se sont mis la tête entre les bras, il y avait un peu d’enfance qui leur restait quelque part. Fatima a préféré regarder Roberto et Arnaud s’est allongé quelques instants sur le sol mais les histoires et l’obscurité font bon ménage et tout le monde s’est tu. »

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Les lectures sont une façon de gagner le calme, elles ouvrent aussi un champ à l’expression, au débat où chacun peut exprimer un avis. Les thèmes qui les font réagir sont souvent très noirs comme la prison, la peine de mort, l’abandon, des thèmes fantasmés dans leur univers qu’ils assombrissent. Il aime aussi ouvrir des parenthèses à partir de leurs propos, des digressions qui ouvrent des portes vers d’autres mondes, sur la pointe des pieds pour laisser croire au hors sujet, au hors cours. Il n’échafaude pas pour autant des illusions qui verraient ses élèves se ruer sur des livres sitôt le seuil du collège franchi. « Ce sont des gosses pour qui le français est passé trop vite devant eux. » Son ambition est simplement qu’ils le rattrapent, s’en saisissent, pour ne pas rester à l’écart d’une vie qui ne serait pas la leur, qu’ils se verraient imposer par une quelconque fatalité.

Il n’a pas de recettes pour réussir, pas de méthodes magiques et chaque classe est différente. Il tâtonne et construit au fil de ses propres récits sa façon d’enseigner. Il a trouvé dans l’écriture le moyen de dompter les difficultés, de les garder à distance, dans un univers professionnel où il n’est pas aisé de les exprimer. « Mes débuts ont été difficiles et c’est compliqué de parler de ses difficultés. On a peur d’être jugé par ses collègues, d’être mal noté. » Alors, on se prend à rêver d’ateliers d’écriture qui permettraient aux néophytes comme aux plus aguerris d’exprimer ce qu’ils vivent pour poser ce qui leur pèse et renouer avec les saveurs de leur métier.

Monique Royer