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École et migration : temps de l’école et temps de la recherche

Plus qu’une simple variable démographique, la migration des élèves ou de (l’un de) leurs parents est une question éducative complexe à analyser et à prendre en charge. L’accroissement et la diversification des mobilités géographiques internationales, d’une part, la massification et l’allongement de la durée de scolarité, de l’autre, sont des phénomènes déjà anciens, qui ne cessent cependant d’interroger les pratiques des acteurs du système scolaire français.

Que fait l’institution scolaire aux élèves migrants et enfants d’immigrés ?[[Les Cahiers pédagogiques préparent un dossier sur ce thème pour janvier 2020.]] Selon quelles temporalités ? Quelles pistes pour l’action au quotidien les recherches en éducation peuvent-elles dessiner ?

Au fondement de la promesse du droit à l’éducation, ces questions ont été au centre d’une réflexion commune menée par six chercheurs et praticiens lors des entretiens Ferdinand-Buisson organisés à l’Institut français de l’éducation, en décembre 2018.

La migration sous l’œil des chercheurs

Le rapport de recherche Evascol, fruit du travail collaboratif et interdisciplinaire d’une dizaine de chercheurs, montre à partir d’une comparaison entre quatre académies métropolitaines les difficultés de la prise en charge des élèves migrants, dans et autour de la classe. La singularité de l’expérience migratoire se révèle difficile à saisir, masquée par les modalités de catégorisation des élèves à besoins particuliers. À l’hétérogénéité constitutive du public scolaire des élèves nouvellement arrivés (langues parlées, parcours scolaire, appartenance sociale, statut juridique, projet migratoire, etc.) se surimpose la diversité des contextes effectifs de scolarisation. Ceux-ci varient en fonction de différents paramètres : l’héritage des modes de fonctionnement des Casnav[[Centre académique pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs.]], la politique académique, l’existence ou non de collectifs de travail pluricatégoriels, les moyens alloués (financiers, humains ou matériels), leur répartition entre niveaux (école, collège) et territoires, ou encore l’offre de formation.

Pour la sociologue Claire Schiff, qui a participé à cette recherche, la situation des élèves migrants met en lumière les caractéristiques d’un système scolaire français monolingue et standardisé. Selon elle, l’âge d’arrivée des élèves y a une incidence particulière, notamment pour leur orientation, qui nécessiterait pour certains une durée de scolarisation plus longue que celle dont ils disposent avant d’effectuer des choix déterminants.

S’appuyant sur une partie des résultats de sa thèse, le sociologue Matthieu Ichou a rappelé que l’analyse d’une situation postmigratoire ne peut être dissociée d’un questionnement sur les caractéristiques prémigratoires. Parmi elles figurent les dispositions sociales intériorisées acquises au sein de divers mondes sociaux : identité urbaine ou rurale, statuts plus ou moins valorisés, niveau d’études ou encore profession. Ainsi le projet de mobilité géographique peut s’avérer une épreuve de déclassement social. Ces caractéristiques familiales avant la migration comptent aussi dans le rapport à l’école, en termes d’attentes, d’attitudes ou de pratiques.

Les enseignants peuvent ressentir une forme de découragement en prenant connaissance des situations vécues par les élèves et leur entourage avant leur migration ou sur la précarité de leurs conditions matérielles d’existence. Comment peuvent-ils, dans le cadre de l’exercice de leur métier, s’outiller collectivement pour mettre en œuvre dans leur classe des pratiques visant en particulier la continuité des apprentissages ?

Pour Jean-Luc Vidalenc, formateur départemental, membre du Casnav, la prise en compte des compétences des familles, considérées comme des ressources éducatives malgré la rupture migratoire, par exemple à l’oral, est un levier d’action. Un projet et des compétences plurilingues mobilisées et reconnues (que travaille, par exemple, dans le champ de la didactique du plurilinguisme, l’approche d’éveil aux langues) peuvent mobiliser l’élève et les personnes impliquées dans sa coéducation.

Pour Stéphane Kus, directeur d’une école primaire REP+ (réseau d’éducation prioritaire renforcé), l’utilisation de ressources fournies par les recherches sur l’analyse du travail enseignant peut structurer des moments de travail collectif qui permettent à une équipe de prendre le temps d’analyser la nature des difficultés des élèves, plus qu’à mettre en place, dans l’urgence, des réponses spécifiques destinées à des élèves spécifiques.

Claire Ravez
Chargée d’études et de recherche, service Veille et analyse de l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon)


Pour en savoir plus

Régis Guyon, Mathieu Ichou, Stéphane Kus, Geneviève Mottet, Claire Schiff, Jean-Luc Vidalenc, Olivier Rey et Hélène Buisson-Fenet, Migration et scolarisation : un accord dissonant ?, ENS éditions (à paraitre).

Mathieu Ichou, Les enfants d’immigrés à l’école. Inégalités scolaires, du primaire à l’enseignement supérieur, Presses universitaires de France, 2018.

Étude sur la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV), Rapport de recherche Evascol, Défenseur des droits, 2018. Disponible en ligne : https://tinyurl.com/y2jtrcgo