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Échos de la défiance

Tous les deux enseignent dans ou à la lisière d’un réseau d’éducation prioritaire, par choix, motivés par le sentiment que dans ces écoles l’éducation joue un rôle encore plus important qu’ailleurs. La classe de Reno est un CP-CE1-CE2 dans un établissement où la pédagogie Freinet est mise en œuvre et où la mixité sociale est bien présente. Celle d’Hélène est un CP, son niveau de prédilection. Ils se sentent l’un et l’autre utiles auprès d’élèves vivant pour beaucoup dans un environnement défavorisé où l’accès à la culture, et tous les à côtés essentiels des savoirs fondamentaux, est difficile. La liberté pédagogique est pour eux essentielle afin de s’adapter, de permettre la levée des empêchements à une scolarité épanouie, accessible à tous. La loi « Pour une école de la confiance », dite « loi Blanquer », les effraie pour la normalisation de leur métier qu’elle suggère mais surtout dans les inégalités qu’elle semble induire.

Les évaluations imposées sans concertation dès la rentrée en CP et CE1 ont constitué une première alerte. « Ces évaluations ne correspondent pas à ce que l’on fait en classe, en mettant de côté la compréhension. Elles ont mis mes élèves en échec car elles sont basées sur des automatismes », explique Hélène. En conseil des maîtres, il est toutefois décidé de faire remonter les résultats. Une communication ministérielle est faite dès octobre sans que les remontées de toutes les écoles du territoire soient effectuées, enchérissant les craintes premières. « Nous avons eu l’impression que les résultats étaient exploités à des fins politiques, pour justifier le projet de loi à venir. Nos collègues de maternelle étaient discrédités. » Alors, lorsque les syndicats appellent en janvier au boycott de la remontée des résultats, elle répond positivement.

Dans la classe d'Hélène

Dans la classe d’Hélène

Pour Reno, « l’Éducation nationale prend une couleur de plus en plus chiffrée, quantitative, avec des indicateurs qui représentent plus de risques que des avantages  ». Il craint que des classements soient établis entre établissements, comme cela est le cas dans le secondaire, en s’attachant plus à l’acquisition immédiate des savoirs en français et mathématiques qu’à leur compréhension. « Les écoles risquent de se focaliser là dessus, de ne travailler que pour avoir des bons résultats en préparant les élèves à réussir les évaluations.  »

Le contre-exemple de l’Angleterre

Lors d’un séjour Erasmus en Angleterre, il a pu observer l’influence des résultats sur les crédits alloués aux écoles et la tentation d’améliorer artificiellement les réponses aux évaluations pour que l’établissement ne soit pas pénalisé. Il a constaté également un certain turn over dans les équipes. Là-bas, le recrutement est effectué par la direction avec un choix orienté par les projets mais aussi par la recherche de la performance.

Cette recherche et le retour aux savoirs fondamentaux lui semblent aller à l’encontre du sens de son engagement professionnel, construit autour de l’éducation populaire et de l’éducation du citoyen. Dans sa pratique pédagogique, la mise en lien des savoirs, le temps donné aux élèves d’acquérir les connaissances à leur rythme dans des classes de cycle, sont essentielles. « Je ne me vois pas faire du saucissonnage, séparer artificiellement les savoirs et les matières. »

Hélène le rejoint sur le constat de ce décalage, voire cette contradiction, entre la pédagogie adaptée aux zones d’éducation prioritaire et ce que prévoit la loi. « En ZEP, les enfants souvent ne bénéficient pas du cadre familial propice à une culture scolaire. La prise de recul sur l’apprentissage du lire, écrire compter ils doivent l’acquérir à l’école. Ils y apprennent aussi à argumenter, à échanger. Si on retire ça, ils ne parviendront pas à mettre du sens dans ce qu’ils apprennent. Et cela renforcera les inégalités entre les enfants en fonction de leur cadre familial. » L’un et l’autre craignent une école inégalitaire, à plusieurs vitesses, où les parents les mieux informés pourront choisir l’établissement correspondant le mieux aux besoins de leurs enfants, celui qui affichera les meilleurs résultats, les projets les plus alléchants, bénéficiant de crédits plus large.

Manque de concertation et discrédit

Et puis, il y a cette impression désagréable et démotivante d’être peu concertés, discrédités et méprisés même, de voir la liberté d’expression amoindrie. Des lettres ont été envoyées par certains rectorats aux enseignants qui refusaient de faire passer les évaluations ou de communiquer leurs résultats. Des menaces à peine voilées de retrait de salaire ont été entendues lors d’une réunion par une conseillère pédagogique. « C’est une menace que l’on fait planer sur nous alors que notre engagement est citoyen. Doit-on être des petits moutons pour ne pas risquer une sanction pour faute professionnelle ? Doit-on obéir sans réfléchir ?  » s’interroge Hélène.

Le projet de loi leur paraît purement technique, sans lien avec les pratiques et la recherche. « Une maman juriste a étudié le texte. Pour elle, c’est une loi sur l’éducation sans objectif fixé pour le long terme, et où l’implication citoyenne est absente. Elle vise à amener des outils de pilotage mais n’amène rien sur le fond », explique Reno.

Se battre pour les élèves

Alors, ils se battent pour leurs élèves, pour un métier qu’ils aiment et ont choisi. La mobilisation est longue et dense à Nantes. Le mouvement, après un démarrage fort, recherche de nouvelles formes pour ne pas pénaliser les élèves par des jours de grève répétés. « On se sent fragiles par rapport à nos classes et dans les relations avec les familles, alors on fait attention. » Les parents sont informés, cherchent des éclaircissements, souhaitent savoir ce qui se trame pour l’avenir de leurs enfants. « Ils se mobilisent, ce qui n’est pas simple en REP+. C’est positif car cela amène un peu plus de rapprochement avec eux » souligne Hélène. « Les paroles du ministre font mouche sur certains qui approuvent des dispositions du projet de loi  » nuance Reno.

Pendant la mobilisation: le

Pendant la mobilisation: le

La suite du mouvement est à inventer sous d’autres formes, avec d’autres relais. Le samedi 18 mai, des enseignants se sont retrouvés à Paris pour exprimer leur désaccord, tenter de trouver un écho auprès des sénateurs. Et l’enjeu est d’importance car, dans la défense d’une éducation qui dépasse les savoirs fondamentaux, dans le vœu que l’école réduise les inégalités entre les enfants, pointe le désaveu d’un système qui normalise et gomme la liberté pédagogique. « Je fais ce métier par passion et je ne suis pas sûre de le faire toute ma vie si la loi passe. Beaucoup de gens passionnés qui aiment leur métier ont la même idée. C’est aussi pour cela que je m’engage » conclut Hélène.

Monique Royer