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Du cahier de texte au cyber agenda

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Facile à mettre en oeuvre, peu – voire pas – coûteuse, cette mesure semble bien de nature à faire franchir à l’école un pas important dans l’intégration des TICE aux pratiques d’enseignement.
Il faut bien dire que jusqu’à présent le volet administratif des TICE dans le fonctionnement quotidien des collèges s’est limité à la multiplication des courriers électroniques et au « BAO » (bulletin assisté par Ordinateur !). Rien en tout cas qui soit de nature à initier des changements pédagogiques majeurs. Bien au contraire… L’utilisation de l’informatique pour gérer les notes par exemple, s’est traduite par un recul des formes d’évaluation alternatives et par une multiplication des moyennes à deux décimales … bilan pédagogique : néant ! Mais c’est un autre sujet.

Le cahier de texte en ligne me semble, sur le plan pédagogique, porteur d’espoir. En effet, il ne s’agit pas là d’une mesure sans impact sur la relation entre l’enseignant et ses élèves, et donc au final sur la pédagogie (qui est au coeur de cette relation).
Toute cette année scolaire, j’ai testé pour l’ensemble de mes classes[[Soit six classes en histoire géographie et éducation civique. (6ème, 5ème, 4ème, 3ème)]] le cahier de textes en ligne. Ce cahier de texte est intégré au LCS dont tous les établissements de Basse Normandie sont équipés.
Qu’est ce que le LCS ? Il s’agit d’un serveur de communication libre développé dans l’Académie de Caen qui offre la plupart des applications attendues d’un Espace Numérique de Travail.
Parmi ces applications figurent un agenda collaboratif, la possibilité de créer des forums modérés, un gestionnaire de réservation de salles et de matériel, une messagerie électronique pour tous les utilisateurs (élèves comme enseignants), la possibilité de créer son propre espace web et de gérer ses propres documents. La liste est beaucoup trop longue pour en faire une présentation exhaustive[[Pour ceux qui veulent en savoir plus voir : http://wwdeb.crdp.ac-caen.fr/LcsDoc/index.php/Accueil.]].
Enfin, last but not least, le LCS propose un cahier de texte numérique accessible par l’ensemble des élèves et des professeurs d’une classe.
Le fonctionnement de ce cahier de texte est d’une simplicité enfantine, ce qui, s’agissant d’une école, est bien le moins… Il suffit à l’enseignant de se connecter au LCS et de choisir parmi les différentes applications proposées celle correspondant au cahier de texte. Il ne lui reste plus qu’à renseigner directement en ligne les deux rubriques habituelles : travail effectué durant la séance et « A faire pour le ». Un calendrier permet de modifier la date de la séance et du travail à faire.

Un cahier de textes utilisable

L’agenda numérique permet, bien entendu, d’effectuer les mêmes opérations que le cahier de texte papier : informations sur le travail effectué, et travail personnel éventuel de l’élève pour une séance ultérieure.
S’il n’était capable que de cela, l’agenda numérique serait déjà bien utile ; en effet, il convient de poser la question : à qui doit servir le cahier de texte ?
Jusqu’à aujourd’hui, le cahier de texte de la classe sert le plus souvent à des contrôles administratifs hiérarchiques. Rares sont les parents qui en connaissent l’existence et plus rares encore sont ceux qui s’y réfèrent en cas de besoin. Les élèves s’en servent un peu plus (mais cela reste tout de même anecdotique). Enfin, le cahier de texte de la classe est parfois lu par des collègues notamment lors de séances d’aide au travail pour vérifier le travail à faire dans les différentes disciplines.
Principaux obstacles à une utilisation réelle et suivie du cahier de textes de la classe : il n’est pas toujours à jour, et on ne l’a pas forcément sous la main quand on en a besoin. (sans parler des oublis dans la classe précédente par les élèves au début de chaque heure de cours.)
Pour résumer, le cahier de texte sert peu et sert très essentiellement à l’école elle-même : soit pour contrôler le travail des personnels dans le cas des inspections, soit pour organiser le travail des élèves lorsqu’un collègue l’utilise dans le cadre de l’aide au travail.

Pourtant il est évident que l’école et les familles ont besoin d’un outil de liaison fiable, à jour et aisément consultable. Tous les jours se pose la question de la gestion des cahiers de textes des élèves, en particulier des plus jeunes (mais pas seulement !). Tous les jours, dans nos classes, des élèves reviennent sans avoir fait leur travail personnel pour cause de cahier de texte mal tenu (volontairement ou involontairement d’ailleurs). De leur côté, des familles sont parfois démunies pour suivre le travail scolaire de leur enfant faute de disposer d’un outil de référence fiable concernant ce qui est à faire ou pas à la maison. Le cahier de texte papier ne remplit pas ce rôle. L’agenda numérique pourrait bien constituer une solution pour peu que tous les enseignants s’en emparent et pour peu également qu’il soit tenu au jour le jour.

D’autres possibilités

Mais les possibilités de l’agenda numérique ne se limitent pas à ce que le cahier de texte papier propose. En effet, outre le travail effectué en classe et le travail à effectuer pour une séance ultérieure, l’agenda numérique propose également deux autres possibilités intéressantes.
– D’abord, il est possible de joindre au texte des leçons des documents de toutes sortes (textes, images, photos, cartes etc …). J’ai utilisé parfois cette possibilité de la manière suivante : lorsqu’un travail est réalisé au brouillon en classe, et que le temps a manqué après correction pour remettre le cahier au propre, alors, je place dans l’agenda numérique le document informatique réalisé durant la correction qui pourra servir de modèle aux élèves dont les notes seraient incomplètes ou difficilement lisibles, ce qui arrive souvent … On peut également joindre des documents d’entraînement, des corrigés de contrôle, des images à commenter … En un mot, tout type de document numérique peut figurer dans le cahier de texte électronique.
– La seconde possibilité est d’insérer dans le texte de l’agenda numérique des liens actifs vers des sites web, utilisés en classe ou à consulter pour effectuer un travail. L’élève n’a plus qu’à cliquer pour trouver une ressource utile. Cette option est particulièrement intéressante pour permettre à l’élève de revoir chez lui, éventuellement avec ses parents, des sites qui ont été utilisés en classe.

Ces deux options offrent une dimension nouvelle au cahier de texte : il devient un véritable outil de travail personnel pour l’élève et permet aux familles de disposer d’outils d’aide supplémentaire. (voir fig. 1)

En liaison avec le module de l’agenda numérique, le LCS propose également un outil d’aide à la programmation des devoirs. Ainsi il est possible de positionner un devoir sur un calendrier hebdomadaire (voir fig.2). On voit ainsi tout de suite si d’autres devoirs sont prévus le même jour. L’élève, quant à lui, y trouvera un outil d’aide à l’organisation de son travail personnel : tous les contrôles de la semaine sont ainsi visibles d’une seul coup d’oeil. Il ne reste plus qu’à répartir le travail et … à s’y mettre (ce qui, agenda numérique ou pas, restera le plus dur !)

L’enseignant a-t-il intérêt à utiliser l’agenda numérique ?

Outre une nette plus value pour l’élève, l’agenda numérique offre aussi un certain nombre d’avantages à l’enseignant.
– Le plus évident réside dans le fait qu’il peut être rempli en dehors des heures de classe, y compris du domicile personnel, où l’on sait bien que les enseignants travaillent et sont souvent beaucoup mieux équipés sur le plan informatique qu’au collège[[Il y aurait d’ailleurs une étude intéressante à mener sur le bureau et le matériel personnel de l’enseignant. On s’apercevrait peut être (entre autre) que le développement des TICE doit au moins autant à l’équipement et au travail personnel (et invisible pour l’institution, les journalistes et le grand public) des enseignants qu’aux diverses injonctions régulièrement faites. Mais c’est là un autre sujet…]]. Finie la course au remplissage du cahier de texte en fin d’heure (enfin, pas tout à fait : ce sera une réalité quand le cahier de texte numérique aura complètement remplacé l’exemplaire papier). En tous cas, compléter le cahier de texte numérique pour une journée de cours moyenne ne prend pas plus de 10 minutes le soir.
S’il peut être rempli à distance, l’agenda numérique peut a fortiori être consulté à distance. Il peut donc apporter à l’enseignant dont la mémoire faiblit une petite aide d’ordre organisationnelle : il lui sera facile de vérifier, si besoin est, quel a été le dernier point traité en 5ème B ou pour quel jour l’exercice sur les pyramides a été donné ! Il sera également plus aisé d’améliorer sa programmation annuelle ou trimestrielle (pour peu que les auteurs du logiciel améliorent un peu l’interface et proposent des présentations récapitulatives sous forme de tableaux).
– Le plus motivant est le sentiment (nouveau) que remplir le cahier de texte peut être autre chose qu’un rituel et pourrait offrir dans l’avenir une réelle ressource pédagogique pour les élèves et les familles.
– Le plus encourageant enfin c’est qu’environ la moitié de mes élèves utilisent régulièrement l’agenda numérique depuis leurs ordinateurs personnels, alors même que (pour cette année scolaire) seules deux disciplines le remplissaient à titre expérimental et totalement personnel. C’est donc qu’eux aussi y voyaient une utilité.
Néanmoins, et pour éviter de créer des inégalités entre les élèves qui disposent d’un accès internet et ceux qui n’en disposent pas, il est indispensable de continuer pendant quelques temps de remplir l’exemplaire papier du cahier de texte (qui est par ailleurs encore le seul cahier de texte officiel).

Denis Sestier, Professeur d’histoire-géographie et éducation civique.

Figure 1

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Figure 2

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Interpellation et réponses

Denis Sestier répond aux questions des coordonnateurs du dossier

On voit bien ce que le cahier de texte électronique peut amener de plus pour simplifier la vie de l’enseignant ; mais ne sommes-nous pas toujours du côté de l’enseignant, de celui qui prescrit, qui donne du travail, sans que cela ne change le rapport des élèves aux apprentissages ?

Je pensais avoir montré dans l’article ce que cela peut apporter aux élèves et à leur famille. Peut-être n’ai je pas assez insisté ? Cet outil facilite surtout le travail de l’élève (et de ses parents) en lui permettant de retrouver chez lui et sous la même forme ce qu’il devrait avoir dans son propre cahier de texte (et même plus puisqu’on peut lui proposer des documents supplémentaires ou des liens vers des sites internet utiles.)
En revanche, en effet, ce n’est pas cet outil-là qui va changer le rapport des élèves aux apprentissages. Tout au plus va-t-il un peu faciliter le travail de ceux qui s’en serviront. D’une manière générale, je crois qu’un outil doit être utilisé pour ce qu’il est, mais qu’il convient de ne pas lui demander plus qu’il ne peut donner.

Ne peut-on pas craindre une « déshumanisation » de ce lien prof-élèves-savoir et une tentation au contrôle permanent ?

Il ne faudrait pas en effet limiter le lien prof-élève et école-famille au seul cahier de texte numérique. Mais tant que le cahier de texte est le reflet du travail de la classe avec l’enseignant, à mon avis le risque est limité. Quant aux familles, elles y trouveront un outil pour mieux aider, le cas échéant leur enfant.
Quant à la tentation du contrôle permanent, je ne sais pas trop. À mon avis, elle n’existe pas plus que dans le cahier de texte papier. Le cahier de texte électronique ne permet pas de contrôler. Juste d’informer.

Les parents impliqués ou curieux de l’outil ne sont-ils pas les mêmes qui s’impliquent déjà dans la scolarité de leur enfant, ratant sans doute l’occasion d’un dialogue fécond avec les familles ? Mais sans doute n’est-ce pas l’objectif premier de cet outil.

Il me semble au contraire que sachant mieux ce qui se passe en classe et ce qui est à faire à la maison, les parents dialogueront de manière plus efficace avec l’école. En revanche, je suis d’accord avec vous pour penser que ce sont une fois de plus les parents déjà impliqués qui vont l’utiliser le plus. Mais en effet ce n’est pas l’objectif premier de cet outil que de mobiliser tous les parents. Il ne faudrait pas non plus tout en attendre. Une fois de plus, ce n’est qu’un outil. Néanmoins, j’attendrais d’avoir davantage de recul et des études plus fiables que ma seule petite expérience avant de tirer des conclusions d’ordre générale. On pourrait bien après tout avoir quelques surprises sur les utilisateurs et les utilisations de ce cahier de texte numérique.

Cet outil crée-t-il de nouveaux rapports avec les élèves ?

D’une certaine manière, oui, sans doute. Néanmoins, il est toujours difficile d’évaluer soi-même ce genre de choses, surtout après une seule année d’expérimentation (encore cette expérimentation est-elle très partielle puisque très peu de disciplines ont testé l’outil cette année). Je ne me lancerai donc pas dans l’exercice.
J’ai cependant cru noter chez certains de mes élèves un grand intérêt pour ce cahier de texte, peut-être renforcé par l’excitation d’avoir le sentiment de participer à la mise en place d’une technique nouvelle.
Plusieurs d’entre eux ont été sensibles, et l’ont exprimé, à l’utilisation d’un outil destiné à les aider à mieux réussir. Comme tous les individus, les élèves sont souvent reconnaissants des mains qu’on leur tend. Les familles qui se sont exprimées sur le sujet (c’est-à-dire peu, pour être tout à fait honnête) sont également satisfaites. C’est d’ailleurs une demande de plus en plus fréquemment faite, y compris en Conseil d’Administration. L’agenda numérique offre aux familles et à l’école un outil de communication fiable et aisément consultable. Cela ne peut que rendre plus efficaces nos interventions en direction des élèves et plus aisé le soutien des parents à leurs enfants.

En conclusion, le cahier de texte électronique est un outil intéressant et prometteur, une étape supplémentaire qui va être franchie par l’école dans cette « révolution des petits pas » qu’elle accomplit depuis des années et des années et qui n’apparaît pas toujours très clairement aux yeux du grand public et des médias, plus sensibles aux grands « coups » médiatiques et aux annonces chocs qu’aux évolution plus discrètes mais souvent plus durables et déterminantes.