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Dramaturgies de l’atelier-théâtre

Bernard Grosjean – Lansman éditeur/Promotion théâtre, 141 pages, 2009

C’est un petit livre qu’on a emporté pour le lire pendant quelques jours de liberté parce qu’on a l’intention de lancer un atelier-théâtre, ou que celui dont on s’occupe ne parait qu’à moitié satisfaisant. On a lu, en troisième de couverture, que l’auteur traitait des enjeux et problèmes rencontrés dans la mise en place et l’animation d’ateliers-théâtre. Tant mieux, parce qu’on y croit, aux vertus de ce genre de projets qui développent certes la capacité d’expression artistique, mais aussi le respect, l’écoute, la créativité personnelle et collective…

On ouvre le livre, et là, tiens, on tombe justement sur le titre malicieux de la première partie : « À quoi joue-t-on ? ». On n’y échappera pas, à l’état des lieux qui oblige à sortir de la confusion de nos rêves où les ateliers-théâtre, parés de toutes les vertus, sont chargés (pas toujours, mais trop souvent) de guérir tous les maux, auprès de jeunes publics en particulier. Bernard Grosjean démonte donc méthodiquement les standards de l’animation (l’atelier salvateur, le projet de prestige, l’expression libératrice…) pour inviter à chercher à chaque fois un sens, une logique qui permettra de faire les bons choix de postures et d’outils.

Suivent des pages qui se veulent résolument utiles pour cela : huit principes pour l’atelier, trois grandes règles de fonctionnement déclinées en de nombreuses façons de faire précisément exposées. L’auteur a choisi de dire et même de prescrire : « il faut », on ne gagne rien à », « nous proposons de »… Est-ce donc alors un manuel de recettes ? Non, parce que les pistes sont toujours nombreuses et variées, et surtout parce qu’elles s’appuient sur un sens du théâtre toujours exposé en préalable. Comme à la page 25 où Bernard Grosjean rappelle la place centrale de « l’espace de la fiction » : surtout, au théâtre, racontons des histoires, des histoires fortes ! Et c’est l’histoire qu’on veut raconter qui va être réservoir de jeux et de formes, alors qu’on commence trop souvent par des batteries d’exercices déconnectés du sens de ce qu’on va faire.

Dans la deuxième partie, on plonge dedans. Dans quoi ? Dans les textes, et dans les activités pour les mettre en jeu. Avec une dizaine de textes, Bernard Grosjean décline trois grandes catégories de propositions, sur cette idée qu’il est plus producteur d’encadrer les propositions des participants que de les laisser d’abord partir en tous sens. Des cadres d’ailleurs loin d’être des carcans, tant sont présentées de nombreuses manières de faire possibles. On lira avec gourmandise l’exposé de onze appuis de jeu, liste non exhaustive, toujours expérimentés à partir d’un texte. De même pour l’improvisation, qui se fait « sur canevas » et permet d’explorer les « possibles » d’une situation. « Mine inépuisable », répète Bernard Grosjean à propos de ces propositions de travail qui appellent une rigoureuse préparation et lecture minutieuse préalable du texte par l’animateur, et vérifient leur pertinence à la richesse de jeu des participants.

Après tout cela, reste la grande question dont traite la dernière partie : faire un spectacle ou non ? Un débat qui n’est pas neuf. L’auteur prend le temps de mettre à plat avantages et limites. Mais la question est surtout celle du « modèle de production » d’un tel spectacle. Projet du metteur en scène avec son texte choisi, ou projet de réalisation d’un groupe à travers des « chantiers » successifs ? Bernard Grosjean déploie le processus et déroule par le menu les différentes phases d’une telle réalisation.

Cela nous ramène au titre, plus énigmatique qu’il n’y parait : les « dramaturgies » de l’atelier théâtre, qu’est-ce que c’est ? C’est d’abord l’ensemble des règles qui l’organisent ; ce sont aussi toutes les formes de mises en jeu et de parcours que l’animateur aura à choisir ; ce sont enfin, si on le décide ainsi, les modes d’« avènement scénique » du texte. Ce livre, alors : la méthode idéale pour les ateliers-théâtre ? Et pourquoi pas ? Non pourtant, car « une méthode ne fera jamais un spectacle » (p 121). Mais un ensemble de principes, règles, appuis et pistes, pour aboutir, peut-être, surement, en tout cas c’est la raison d’être du travail de Bernard Grosjean, à faire vivre à chacun l’expérience inoubliable d’une « minute de théâtre ».

Florence Castincaud