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Discuter en classe de CE2

Sans vouloir figer les choses, on remarque qu’en ZEP plus qu’ailleurs, les élèves appréhendent souvent le savoir sous l’angle de l’utilitarisme (avoir de bonnes notes, avoir un bon métier…) et non pour lui-même. Dès lors certains élèves se positionnent en tant que réceptacles d’un savoir extérieur à eux. Par ailleurs, pour beaucoup, l’école est la principale source de rapport aux savoirs formalisés (parents en indélicatesse eux même avec le système scolaire et pratiques sociales et culturelles éloignées de l’école). Le croisement d’informations, la problématisation du savoir ou tout simplement la discussion avec et/ou sur le savoir ne se font qu’à l’intérieur de l’école. C’est pourquoi, discuter du savoir permet d’en faire l’affaire de tous en le désacralisant

Pour commencer, il est important de créer dans la classe un climat, une habitude de faire qui autorise les élèves à s’exprimer sur les choses, à questionner, à émettre des doutes, à formuler des hypothèses. C’est pourquoi, dés les premiers jours de l’année, j’installe une double règle :
1) : « on n’a pas le droit de se moquer »,
2) : « on a le droit de dire ce que l’on pense ». Cette double règle est valable pour les élèves comme pour moi qui suis alors tenu d’apporter de la considération à ce que disent les élèves.
Dans le même esprit, le « Quoi de neuf » est un bref temps quotidien d’expression orale libre au cours duquel chacun, selon ses envies, fait part à la classe de ses opinions, de ses états d’âmes ou, le plus souvent, de ses activités. Le « Quoi de neuf dans les boîtes » permet de médiatiser les petits conflits de la classe grâce à trois boîtes aux lettres (« j’aime », « je n’aime pas », « j’aimerai »). Les mots qui y sont déposés sont discutés lors d’un débat hebdomadaire. Non seulement ces deux dispositifs permettent aux élèves de se trouver légitimés dans leur parole, mais ils réclament une écoute des autres et suscitent des échanges et des interpellations directes qui ne passent pas par le maître. Ce dernier, d’ailleurs, peut régulièrement avouer ses limites face à tel ou tel problème scolaire ou non. Alors, nos interrogations communes sont formulées sur de grandes affiches dans l’attente du moment où la classe sera en mesure d’y répondre. Ainsi, en histoire, après avoir discuté à partir de dessins et de textes répondant à la question « que savez-vous sur les gaulois ? » nous avons finalement rédigé l’affiche suivante :

DES QUESTIONS SUR LES GAULOIS.

  1. Astérix et Obélix ont-ils existé ?
  2. Y-a-t-il des maisons en caillou ?
  3. Les gaulois font-ils des drakkars ?
  4. Dans quoi vivaient-ils ?
  5. Sont-ils pauvres ou riches ?
  6. Comment ils s’habillaient ?
  7. Qui sont les Romains ?

Un travail de groupe sur divers documents concernant la vie quotidienne des gaulois s’en est suivi et a permis, sous la forme d’un bilan formalisé, de répondre aux questions. À la fin de la séquence nous vérifions que chaque question a été explorée d’une façon ou d’une autre.

Développer l’esprit critique

Cette acquisition de connaissances ne présenterait que peu d’intérêt si elle n’était pas accompagnée d’un développement de l’esprit critique de manière à hiérarchiser, à relativiser et à rendre vivants les savoirs bruts. Par exemple, le dialogue autour de documents contradictoires en histoire permet d’engager une réflexion sur les motivations de leurs auteurs, sur la date, sur la nature du document (source directe, manuel…) et sur le crédit que l’on peut lui accorder. Le débat, souvent très animé, est l’occasion de bannir les jugements péremptoires et d’utiliser des formules très simples qui aident à nuancer et qui mettent en position de comprendre : « je ne suis pas d’accord, peux-tu expliquer pourquoi tu dis ça ? »… À la fin, c’est l’argument (logique, en rapport avec un document, un savoir connu de tous) plus que la personne qui doit avoir le dernier mot.

S’appuyer sur les représentations des élèves

Cette acquisition de connaissances, enfin, resterait abstraite et théorique si elle ne venait pas s’appuyer sur les représentations des élèves pour les modifier et les reconstruire. Ainsi, en géographie, faire dessiner la classe ou la Terre sur laquelle on vit permet d’approcher des représentations de l’espace vécu ou imaginé ; en grammaire, lors d’un exercice simple qui consiste à isoler le groupe sujet et à expliquer comment on y parvient, je suis souvent surpris de voir que des élèves assimilent la position à la fonction. Dans d’autres domaines, le récit par écrit ou par oral permet de faire émerger les représentations à partir desquelles se construira le savoir.
En somme, donner aux élèves la possibilité de faire état de leurs représentations, même erronées, et de les confronter, c’est leur apprendre à respecter l’autre, à dépasser leurs propres conceptions et surtout à entreprendre un cheminement intellectuel qui les conduira vers de nouveaux savoirs. Ainsi, à la fin de la séquence on peut ensemble mesurer l’écart qui sépare ce que l’on pensait au début et la connaissance à laquelle on est arrivé.

À ce stade, il est important de montrer aux élèves que non seulement leur propre savoir est en construction, mais que le savoir des savants eux-mêmes, et à plus forte raison celui de leur enseignant, n’est pas établi pour l’éternité. C’est le moment de travailler sur l’histoire des savoirs, tâche difficile pour qui n’est pas spécialiste mais au sujet de laquelle les manuels consacrent des chapitres où il est question de l’histoire des sciences ou de l’histoire de l’Histoire elle-même…

Ces quelques pistes montrent que vouloir mettre le savoir en discussion n’est pas facile et pose bien des problèmes. À quelles conditions puis-je considérer que le consensus est porteur de vérité ? Puis-je donner la même valeur à tous les arguments ? Et si la classe au grand complet suit une argumentation erronée, que dois-je faire ? Imposer ma vision des choses (en justifiant bien sûr !) ou laisser momentanément une erreur en suspens ? Discute-t-on de la même façon en littérature, en histoire ou en mathématiques ? À vrai dire, je suis bien souvent dans l’embarras…Embarras face à mes collègues, à l’urgence (supposée ou réelle ?) de répondre, à l’Institution, à mes conceptions de l’enseignement… Cependant je continue dans cette voie d’autant plus que, comme le dit Bernard Rey « C’est en vivant l’égalité et la liberté de penser dans la recherche en commun de la preuve que les élèves peuvent se socialiser.[[« Savoir scolaire et relation à autrui » in : Cahiers pédagogiques, N° 367-368, 1998]]»

Marcelin Hamon, professeur des écoles, Val de Reuil.