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Discours d’ouverture de Philippe Watrelot

C’est donc à moi que revient l’honneur d’ouvrir ces deuxièmes assises de la pédagogie. Les premières assises avaient eu lieu en février 2007 à la mairie du XIIIe arrondissement et avaient rassemblé près de 400 personnes autour d’un thème : Résister et proposer . Ce titre pourrait encore nous servir aujourd’hui. Mais on pourrait aussi réutiliser le titre du colloque du Cinquantenaire des Cahiers pédagogiques à Lyon en 1995 Une idée positive de l’école . Souvenir particulier pour moi parce que c’est à cette occasion que j’ai adhéré au CRAP-Cahiers Pédagogiques, séduit à la fois par le titre et par la rigueur et l’enthousiasme des animateurs de ce moment décisif.
Mais nous avons choisi de donner comme titre à ce colloque : Changer l’école, avec les enseignants .

Dans l’édition participative de Médiapart consacrée à ces assises, Jean-Michel Zakhartchouk a écrit un billet sur cette virgule incluse dans le titre. Je le cite : « La virgule est essentielle. Car sans doute faut-il se démarquer de deux positions contraires qui ne nous satisfont ni l’une ni l’autre.
La première, ce serait forcer le changement, sans que les enseignants soient partie prenante. A la limite, changer contre les enseignants. C’est à la fois insupportable et quasiment impossible. […] Mais si nous ne mettions pas de virgule dans notre titre, alors nous succomberions aux délices de l’angélisme, si commode lorsqu’on se vit comme opposants avant tout. L’école ne pourrait changer que de par la volonté des enseignants, tous animés bien sûr par une foi républicaine indéfectible et qui ne seraient pas traversés par de profonds clivages. Or, le changement dans l’école, s’il concerne les enseignants, bien évidemment, s’il a besoin de les impliquer, est l’affaire de toute la société. »
.

En dehors de la virgule, on pourrait évidemment reprendre également tous les autres termes de cette phrase.

À commencer par le verbe “changer” qui est devenu bien ambigu tant ce mot est utilisé aujourd’hui pour désigner aussi bien des “contre-réformes ” que de réels progrès. Comme si tous les changements se valaient… C’est pourquoi il nous faut à la fois “résister et proposer”. Car c’est là un des pièges dans lequel les enseignants peuvent tomber : en se battant pour préserver un certain nombre d’acquis et d’avancées, il peuvent paradoxalement passer aux yeux de l’opinion pour des personnes hostiles au “changement”. Et si finalement, comme le pointait Françoise Clerc au colloque d’Éducation et Devenir à Marseille, il y a une semaine, c’était le système qui générerait lui même la résistance au changement et pas forcément les acteurs ? L’esprit de réforme est, somme toute, assez franco-français et générateur d’effet pervers car cela suppose que ce qui était fait avant n’était pas bien. Dans d’autres pays, l’institution est vécue en constante évolution et plutôt que de changement on parlera alors d’adaptation.

L’école. Voilà en effet un autre terme qui ne va pas de soi. Même si tout le monde s’accordera pour dire que nous nous intéressons à l’ensemble de l’école, de la maternelle à l’université. C’est évidemment à l’institution que nous nous intéressons. Avec en tête, ce que dit François Dubet en particulier dans “le déclin de l’institution”(2002). Dans ce livre, il montre qu’auparavant le monde social était unifié par l’institution, une « machine » à transformer les valeurs en normes qui était suffisamment acceptée par tous : au départ, des valeurs perçues comme universelles forment les individus, ces individus ayant intégré à la fois ces valeurs et la façon dont elles ont été mises en place dans la société font fonctionner les institutions. C’est cela qui est en déclin et Dubet l’analyse à partir de plusieurs exemples. Dont, bien sûr celui de l’école où il utilise l’expression d’ “expérience assiégée”. Pour lui, le débat tourne beaucoup autour du regret de cette période bénie où le programme institutionnel fonctionnait bien. Mais, dit-il, la massification bouleverse le métier. La compétence disciplinaire est insuffisante, il y faut rajouter de la pédagogie…
C’est bien ce que nous voulons faire ici très modestement . Mettre de la pédagogie dans le débat pour que l’école soit celle de la réussite de tous.

Les enseignants. Rassurons tout de suite nos amis CPE, Cop, infirmières scolaires, documentalistes, personnel de direction, agents,… Quand nous disons enseignants, nous pensons “communauté éducative” et nous incluons évidemment toutes ces personnes. Il s’agit là simplement d’une question d’économie de signes sur l’affiche. N’oublions pas non plus les parents qui jouent un rôle essentiel et les autres acteurs de l’éducation au sens large que sont les associations complémentaires (je les remercie les uns comme les autres de leur participations.)
Mais puisque nous en sommes à jouer sur les mots, il faut aussi revenir sur le “les”. Il y a 1 109 765 personnes travaillant en école, collège, lycée (+ 28 604 en rectorat et administration centrale). Parmi elles, 880 068 sont considérées comme “enseignants”. Qui peut voir une telle masse comme un blog homogène ? Parmi eux, il y a des jeunes, des vieux, des enthousiastes et d’autres qui le sont moins, des syndiqués et d’autres qui ne le sont pas, des “innovateurs” et des conservateurs (même si ces mots sont biaisés). Comme le dit Jean-Michel Zakhartchouk dans le même texte cité précédemment “les enseignants, ça n’existe pas”, il y a matière à faire une multitude de portraits. Mais en plus avec une difficulté supplémentaire. J’ai pour ma part acquis la conviction que ce qui gêne le débat c’est la confusion qui existe entre le discours des enseignants (souvent rigide et marqué par la référence à un métier idéalisé) et la réalité des pratiques (bien plus ouvertes et résultat de la nécessité). Ce qui veut dire aussi que l’école a déjà changé et les pratiques des enseignants avec. Il suffit alors de mettre des mots sur ce changement et de faire confiance aux acteurs.

Je me rends compte que je suis en train de déjà donner des réponses et de conclure alors qu’il s’agit d’ouvrir les travaux. Je vais donc laisser le soin aux différents intervenants et à l’ensemble des participants de répondre aux questions posées par ce titre : quel changement ? par quels moyens ? en contournant quels obstacles ? en appuyant sur quels leviers ?
Je voudrais terminer en insistant simplement sur trois convictions fortes qui fondent notre engagement de militant pédagogique et qui expliquent la structure de ces assises.

L’école est l’affaire de tous ! C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que le débat sur l’école soit porté par le plus grand nombre et pas réservé aux seuls enseignants. C’est le sens de la présence des parents d’élèves, des politiques et des associations complémentaires de l’école.
Enseigner, agir, ne peuvent se faire aujourd’hui que dans une logique de réseau et de mutualisation. Très immodestement, nous nous sommes fixés un rôle de “passerelle” entre les différents acteurs de l’école. C’est la raison pour laquelle nous cherchons le plus possible à susciter ou accompagner des actions unitaires et à construire des réseaux. Nous nous réjouissons de la présence de tous les représentants associatifs, syndicaux et politiques et du travail en commun que nous allons réaliser (et aussi des moments de convivialité que nous allons partager). Nous souhaitons que ces travaux puissent très vite être mis à disposition du plus grand nombre à travers notre site (encore une logique de réseau…)
Changer l’école pour changer la société. Changer la société pour changer l’école. C’est le slogan inscrit sur la couverture des Cahiers Pédagogiques. Cette injonction très ambitieuse peut aussi se décliner au quotidien, dans sa classe ou son établissement. C’est la conviction que la pédagogie est d’abord porteuse de valeurs à mettre en œuvre à travers des dispositifs pédagogiques, des actions et des projets. Mais c’est aussi la certitude que si le changement est aussi politique celui ci ne doit pas être un préalable dispensant d’agir au quotidien. Ce qui anime les Cahiers Pédagogiques depuis toujours c’est de considérer que chaque “enseignant” peut réfléchir et confronter ses pratiques avec d’autres pour améliorer son enseignement. C’est ce que nous allons faire aujourd’hui.

Avant de laisser la place à la première table ronde, il me reste à remercier M. Le Proviseur du Lycée Honoré de Balzac de nous accueillir dans son établissement. Merci également à nos partenaires Libération et Médiapart de s’associer à cette journée. Merci également à tous les intervenants et animateurs de venir nous apporter leur aide et leur réflexion. Je voudrais enfin remercier l’équipe de militants et de personnels du CRAP-Cahiers Pédagogiques qui a préparé ce colloque. Merci à notamment à Patrice, Philippe, Jean-Michel, Esther, Fatou et Catherine.
Merci enfin à vous tous d’être venus pour ces deuxièmes assises de la pédagogie que je souhaite riches, ambitieuses et conviviales.

Philippe Watrelot, président du CRAP-Cahiers pédagogiques, le 19 mars 2009.