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Dire, écrire et lire un haïku en cours préparatoire

Photo : Philippe Ibars http://fontdenimes.midiblogs.com/

Les règles de ce poème japonais sont simples : trois vers, dix-sept syllabes, une construction cinq-sept-cinq et une allusion à la saison. Quatre étapes intimement liées vont se succéder. Créer une atmosphère poétique autour d’images mentales liées à une saison et créer à l’oral. Dire, essayer différentes manières de dire. Écrire grâce à des outils de formalisation. Enfin, lire pour partager ses productions.

Printemps

La classe vient d’étudier les saisons en « découverte du monde ». Elle a constitué ainsi une banque de mots et d’expressions caractérisant chacune d’elles. Quatre thèmes ont été privilégiés : la couleur, les vêtements, la météorologie, la végétation. Le rouge évoque l’été avec tous les fruits comme les fraises ou les cerises, le blanc est associé à la neige en hiver. Les bottes, l’imperméable sont indissociables de l’automne. Avec la météorologie, les verbes font leur apparition : il pleut, il neige, le soleil rayonne. Enfin, la végétation permet d’aborder le monde du vivant associé aux saisons : ainsi les arbres résineux aux aiguilles persistantes et ceux dont les feuilles tombent en automne.

Des ponts sont jetés vers les arts : Arcimboldo, Vivaldi. Nouvelles occasions de lire et de collectionner mots et expressions sur les saisons. L’enseignante commente par écrit L’Hiver d’Arcimboldo : « Voici l’hiver. C’est le portrait d’un vieillard. Il fait froid dans le dos. C’est un monstre fourchu et tordu. Seuls les citrons lui donnent un peu de gaité. » Ce court texte donne lieu à lecture. De même, l’écoute musicale d’un extrait des Quatre Saisons d’Antonio Vivaldi : « Imagine un printemps calme et paisible. Il sera vite rattrapé par l’orage qui gronde. »

L’instant d’écriture est technique. Mais il n’est pas dissocié d’une intention. Ici, tenter d’évoquer des images, des musiques, entrer dans une connivence poétique, une respiration, laisser dériver l’imagination, saisir l’instant et en garder l’émotion intacte, écrire sur le fil de sa pensée pour composer une chaine orale comme on dessine un tableau ou on écrit une partition. Le but sera de transmettre une image mentale correspondant à la saison. Le haïku est un arrêt sur image. En cela, il est adapté aux élèves du cours préparatoire.

Pour débuter la séance d’écriture, l’enseignante présente simplement le haïku comme un court poème japonais. Puis elle en lit aux enfants deux exemples de Bashô (Cent-onze haïku, éditions Verdier).
« Soleil rouge vif
impitoyable et déjà
le vent de l’automne
 
Le vent de l’automne
Et pourtant elles restent
bien vertes les bogues »

Très vite les élèves remarquent que ces courts poèmes parlent de la nature. L’enseignante les guide ensuite vers la structure du poème. Elle leur demande de compter les syllabes orales de chacun des trois vers des haïkus. Les élèves découvrent ainsi le rythme du poème, sa forme. Suit un échange collectif autour de photos représentant des paysages à des saisons différentes. Elles rappellent aux élèves le travail précédent sur les saisons. Ils puisent alors dans leur mémoire les ressources lexicales les plus adaptées à la saison évoquée. « Les oiseaux font leur nid », « le soleil est bas », « le vent souffle très fort », « le grand froid », « les feuilles jaunissent ». Certaines propositions sont écrites au tableau par l’enseignante.

été

Chacun fait oralement une proposition. Quelques élèves acceptent volontiers de se prêter au jeu et tentent d’organiser ces instantanés en comptant les syllabes orales sur leurs doigts, pratique ritualisée lors d’activités phonologiques. C’est ici la contrainte liée à l’activité artistique pratiquée qui conduit à travailler sur les syllabes, activité dont on connait par ailleurs l’importance dans l’acquisition de la correspondance entre oral et écrit par les apprentis lecteurs.

Les propositions des uns et des autres résonnent entre elles, se fécondent, engageant le groupe classe tout entier dans la création. Les élèves vont ensuite, collectivement, proposer des vers qui respectent le nombre de syllabes orales et ont un lien avec l’hiver, à partir d’un premier vers écrit au tableau par l’enseignante : « Le vent de l’hi-ver ». Pour faciliter cette recherche collective, l’enseignante concrétise chaque syllabe par un tiret horizontal. Ainsi chaque élève peut s’essayer à vérifier si le nombre de syllabes de son mot coïncide avec les tirets marqués au tableau.

Les élèves s’exercent par deux à compléter oralement le premier vers. L’organisation en binômes permet à chacun de rencontrer la pensée de l’autre, étayée par les essais poétiques précédents. Ces tentatives ouvrent les champs du possible : on acceptera toute chaine de mots. Les élèves non francophones, ceux qui éprouvent des difficultés y trouvent leur place et renforcent leur adhésion au groupe.

Après quelques minutes d’essais à voix basse, les élèves qui le souhaitent partagent leurs trouvailles avec leurs camarades. Un élève propose :

« Le vent de l’hiver
Il neige presque tout le temps
Les feuilles sont parties »

Les élèves comptent ensuite tous ensemble le nombre de syllabes et valident la proposition. L’enseignante écrit la proposition sous la dictée. Les élèves, à cet instant, sont concentrés. Les yeux fixés sur le tableau, ils lisent en même temps que l’enseignante écrit. Certains, tout en lisant, comptent sur leurs doigts pour vérifier le nombre de syllabes. Une aide s’établit concernant les vers manquants.

Photo : Philippe Ibars http://fontdenimes.midiblogs.com/

Photo : Philippe Ibars http://fontdenimes.midiblogs.com/

Automne

Aux élèves à présent d’écrire. Par binôme, ils mettent en relation la chaine orale et la chaine écrite pour encoder. Sur leur feuille sont tracés les tirets correspondant aux syllabes. Moment d’échanges et de négociation au sein de chaque paire : se déterminer sur une saison et s’accorder sur les mots à choisir. Les élèves les plus fragiles dans le domaine de la langue prennent confiance en eux et à cet instant, ils se trouvent en position de réussite. Ils interpellent l’enseignante afin qu’elle valide le premier vers. Dans chaque groupe, les élèves lisent et relisent ce que leur camarade a écrit sous la dictée collective. Tous semblent très fiers de leur création. Ils écrivent au crayon, lisent à voix basse ce qu’ils viennent d’écrire. Certains gomment leur premier essai, d’autres poursuivent leur recherche du mot ou de l’expression juste. Tous se prennent au jeu de la création. Ils réfléchissent au choix des mots, à leur musicalité. Les plus rapides produisent un haïku pour chaque saison ; d’autres n’aboutissent qu’à une seule production. Quelques élèves demandent également à se servir du cahier de découverte du monde, afin de s’inspirer des mots et expressions trouvés collectivement.

Une dernière mise au point orthographique est effectuée avec l’aide de l’enseignante ainsi que des supports mis à la disposition des élèves en vue d’une version finale.

Après quinze minutes de production, l’enseignante demande à l’un des élèves de chaque binôme de venir lire ses textes à ses camarades. Chaque haïku est validé par le groupe. Le lendemain, tous les haïkus sont reproduits par l’enseignante puis affichés. Les élèves copient sur leur cahier de français le ou les haïkus qu’il a imaginés.

Hiver

C’est à travers la lecture des haïkus devant les autres que l’évaluation se fait. Une autoévaluation d’abord, puisque chacun vérifie et valide ses vers avec une première lecture syllabique intérieure et personnelle, avant de présenter et de lire à haute voix son haïku. Une évaluation ensuite par les pairs, qui relèvent ou discutent au passage quelques erreurs dans le comptage des syllabes orales, mais surtout qui commentent des réussites, réagissent à ce qu’évoquent les poèmes.

C’est ici que la lecture prend tout son sens : lire c’est entrer en communication, accéder en différé à la pensée d’un autre, s’exprimer en retour, et aussi, lorsqu’on présente sa propre production, se découvrir dans tous les sens du terme, s’exposer aux autres. Et mieux comprendre, ce faisant, beaucoup de choses sur la nature de l’écrit, qui permet de représenter le monde et qui est aussi transcription de l’oral, qui implique un travail spécifique de mise au point et qui n’existe vraiment que par les réactions de lecteurs.


Sur les traces de Bashô

« L’été on se baigne
L’été il fait très très chaud
Les papillons volent »

Valentine

« Automne de la vie
Feuilles tombent multicolores
Arbres accueillants »

Antoine

« Hiver de la brume
Il neige des flocons du ciel
Des luges glissent »

Anna

« L’hiver est venu
Il neige presque tout le temps
Les arbres sont nus »

Louis Raphaël