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Des élèves professeurs

« Et toi, tu enseignes quoi ? Ah, latin… » Phrase en suspens, regard plein de commisération pour la pauvre professeure que je dois être, effondrée par le marasme que vit ma discipline, obligée de défendre une langue morte. Et si enseigner le latin, c’était au contraire source de joie, d’épanouissement ? Si le cours de latin était un lieu de vie, d’activités ? Si élèves et professeur se sentaient bien ensemble, dans l’amour commun et partagé pour l’étude d’une langue, d’une culture ? Si derrière le changement de vocable, qui met sur la scène les « langues et cultures de l’Antiquité », se cachait une vraie évolution, une révolution ?

C’est du moins ce que j’essaie de pratiquer : rendre le latin, plus généralement les langues anciennes, modernes et vivantes. Comment ? En mettant les élèves en activité. À eux de faire, à eux de produire. Je ne suis qu’un guide parmi d’autres : l’ordinateur, les musées, les manuels, les camarades, etc. Cela s’appelle travailler en tâche complexe et permet de valider de nombreuses compétences en imaginant autrement la conduite d’un cours et en amenant par exemple la classe à construire une leçon de langue.

Les élèves au pupitre

Voici une tâche complexe imaginée pour des élèves de 4e. Je leur ai demandé d’être les auteurs d’une séquence pour leurs camarades : à eux de choisir le texte support, la leçon de vocabulaire, le cours de grammaire et celui de civilisation. Je leur ai bien sûr précisé qu’ils devaient penser aux illustrations à étudier, et prévoir exercices et interrogations. La séquence portait sur les divertissements : les jeux du cirque, les jeux de l’amphithéâtre et le théâtre. Chaque élève a choisi son divertissement, celui sur lequel il jouerait le rôle du professeur. Sont à leur disposition l’ordinateur sur mon bureau, tous les manuels (ceux en usage au collège, mais aussi des plus anciens, des exemplaires personnels) et divers ouvrages comme des revues.

Les élèves ont commencé par feuilleter les manuels. Ils ont alors découvert ce que sont les jeux du cirque. Ils ont également trouvé différents extraits en lien avec leur sujet qu’ils ont choisi de présenter avec ou sans traduction, sans nécessairement écarter d’ailleurs les passages difficiles.

Une fois la sélection faite, s’est posée la question de la leçon de langue nécessairement intégrée dans la progression déjà menée à ce moment de l’année. Les élèves se sont interrogés sur la pertinence du point à traiter en évitant toute redite inutile et sur la présentation à adopter pour conduire de façon efficace l’apprentissage. Il leur a fallu consulter des manuels, comprendre pour faire comprendre en enchainant des activités.

Les compétences travaillées, évaluées et éventuellement validées recouvrent presque l’ensemble du socle commun : il faut faire preuve d’autonomie et d’initiative pour acquérir avec une telle méthode des connaissances humanistes ; la maitrise de la langue est travaillée au travers de la lecture de textes variés, l’expression orale ou l’enrichissement du vocabulaire.

Est-ce là la panacée, la solution à toutes les difficultés de notre enseignement ? Il serait bien naïf et illusoire de le croire, mais comme il serait aussi naïf de prétendre que l’élève apprend quand il reste passif.

Delphine Barbirati
Professeure de Lettres classiques, responsable du développement de la pédagogie du numérique dans l’académie de Grenoble.