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Des alternatives pour l’école

En 1996, quatre enseignants de Seine-et-Marne souhaitent créer ce qui va devenir le Microlycée de Sénart[[Cf. articles déjà parus dans les Cahiers Pédagogiques, Du décrochage scolaire à la réussite au bac, n°429-430 de janvier-février 2005, Responsabiliser pour raccrocher, n°433 de mai 2005,.]], une structure publique pour lycéens qui désirent reprendre leurs études après une rupture plus ou moins longue, de six mois à plusieurs années. Ce projet se heurte pendant quatre ans à des discours convenus mais rencontre aussi des personnes, en particulier au rectorat de Créteil, convaincues qu’il faut ouvrir des structures alternatives pour des publics spécifiques comme celui des lycéens décrocheurs[[Cf. le n° 444 des Cahiers Pédagogiques, Décrocheurs… comment raccrocher ?, juin 2006]]. Les moyens se débloqueront avec l’arrivée de Jack Lang au ministère au printemps 2000, parce que ce ministre partage avec notre projet, comme avec celui du CLEPT de Grenoble (Collège Lycée Elitaire Pour Tous) qui ouvre en même temps, l’idée que l’école doit être son propre recours. Changer l’école c’est faire en sorte que les relégués du système ne soient pas contraints d’aller dans l’enseignement professionnel ni d’échouer sur le marché du travail sans aucun diplôme pour gonfler le prolétariat moderne. Dans le projet d’origine du Microlycée, comme dans son action actuelle, les élèves de STT peuvent aller en série générale et ceux qui ont des difficultés en série générale ont le droit, cela devrait être un droit admis partout, de prendre leur temps pour y faire face, quitte à, en fin de compte, changer de projet.

Temps de travail, travail d’équipe

Ce type d’alternative n’existe que parce l’équipe d’enseignants fondatrice du Microlycée met en pratique un certain nombre de convictions éducatives, des convictions qui les animaient déjà dans l’établissement « traditionnel » où ils travaillaient ensemble avant de fonder le Microlycée. Ces idées relèvent de choix éducatifs clairement posés : un regard positif sur les élèves, le droit à la seconde chance, la conviction de l’éducabilité, la prise en compte de l’élève comme une personne. Il est bon de rappeler, compte tenu de certains débats actuels et du succès des ouvrages comme ceux de J.P. Brighelli, que ce type d’idées n’est pas incompatible, bien au contraire, avec l’exigence intellectuelle et la rigueur des apprentissages. Chaque année des élèves, sur un ton de demi-reproche, me disent que le travail que je leur demande est très exigeant et chaque année, je le prends comme un compliment.

Seul le travail en équipe permet de mettre en place de telles convictions. Sans travail collectif, il n’y pas de possibilité de réellement changer l’école et de mettre en place des alternatives durables. Un enseignant seul dans sa classe peut réussir à modifier le rapport au savoir et à l’adulte mais il ne peut le faire que de façon très marginale. Il est sans doute temps de réactiver les propositions de Philippe Meirieu[[Philippe Meirieu n’a cessé de faire des propositions sur le travail des enseignants et sa redéfinition ; voir par exemple deux articles récents ou l’interview de Philippe Meirieu sur le site de la Maison des Enseignants.]] ou du moins leur esprit et de s’interroger, surtout à la veille de possibles changements politiques, sur la part que doit prendre le travail collectif dans le temps de travail des enseignants, sur la façon de le promouvoir, de le reconnaître. Le système britannique est, à cet égard, très intéressant. Je suis très favorable à la reconnaissance, et il y a plusieurs possibilités de le faire, du travail en équipe des enseignants. Encore faut-il que les équipes ne soient pas uniquement composées d’enseignants mais aussi de ceux qui animent ce qu’en France on appelle la « vie scolaire » et, si j’osais, également des personnels de « l’administration ». L’école est un tout, ou devrait l’être, et les abîmes qui divisent parfois les établissements en mondes séparés voire opposés, participent de la déresponsabilisation des adultes et de la déstructuration des élèves, favorisant souvent leur décrochage scolaire. L’alternative pourrait aussi résider dans une conception globale de l’établissement scolaire. On peut espérer que l’actuelle mise en place des Conseils Pédagogiques puisse y participer, cela n’est pas certain. Les alternatives scolaires sont difficiles à construire.

Les structures alternatives existantes au sein de l’Education nationale sont peu nombreuses (3), en particulier dans le secondaire où elles ne sont qu’une dizaine sur l’ensemble du territoire. Elles ont nées par vagues successives, selon les aléas des victoires politiques des uns ou la volonté de tel ou tel ministre. Cette situation n’est pas saine et ne permet pas de développer des alternatives visibles par tous les acteurs du système scolaire. Peu connues[[Elles se sont regroupées au sein de la FESPI, Fédération des Etablissements Scolaires Publics Innovants dont font partie le Collège-Lycée Expérimental d’Hérouville Saint Clair, le CLEPT de Grenoble, le Pôle Innovant du lycée Jean Lurçat à Paris, le Microlycée de Sénart, le collège de la 7ème île de Brest, le collège Clisthène de Bordeaux et le collège pionnier de Saint-Martin- Valmeroux. D’autres existent en dehors de la FESPI, comme le collège Anne Frank au Mans, le CEPMO à Oléron, le LAP (Lycée Autogéré de Paris) et le lycée expérimental de Saint-Nazaire.]], ces structures sont alors souvent perçues comme des bulles, mi-concédées, mi-tolérées, alibis faciles pour un système qui peine à se remettre en question. Elles proposent pourtant d’autres modes de fonctionnement qui devraient enrichir le débat sur la construction de l’Ecole de demain[[Les études sur les structures alternatives sont peu nombreuses. À noter l’ouvrage critiquable mais intéressant de M.L. VIAUD, Des collèges et des lycées différents, PUF-Le Monde, 2005 et l’étude du ministère de l’Education nationale publiée dans les dossiers de la DEP, Appréciation des pratiques et organisation pédagogique de quatre structures expérimentales – Année 2003-2004 mais qui ne porte pas uniquement sur des structures alternatives.]]. Elles se pensent comme alternatives car elles ne se limitent pas aux innovations d’ordre didactique ou pédagogique. Elles affirment leur originalité en faisant vivre l’école comme un tout, où le fonctionnement structurel de l’établissement, le rapport entre les adultes, celui entre les élèves et les membres de l’équipe éducative, conditionnent les rapports aux savoirs. Il s’agit pour ces écoles, du secondaire comme du primaire, l’école Vitruve à Paris en est un bon exemple, de proposer une alternative globale qui ne se limite pas au seul champ de la pédagogie.

Tout n’est pas facile dans ce type d’établissements mais rien n’y est achevé car ces écoles ont choisi de construire au jour le jour ce qu’elles sont et de le faire avec l’ensemble des acteurs concernés. Les élèves, dont les paroles et les comportements permettent souvent une analyse en profondeur des carences du système, sont les premiers intéressés par le développement des structures alternatives. Ils participent activement à leur construction, y trouvent leur place et parfois même plus simplement une place tant certains ont été relégués. Ils y sont entendus et reconnus. « Quoi que j’ai pu apprendre au Microlycée, j’ai surtout appris sur moi-même » disent souvent les élèves en ajoutant : « Avec ou sans le bac, j’ai grandi ». Les adultes y travaillent en équipe éducative cohérente sur la base d’objectifs partagés, ce qui n’élimine ni les désaccords ni les tensions, mais du moins sont-elles créatrices. Le mode de fonctionnement général est celui de la collégialité, de l’autogestion pour certains, de l’échange et de la coresponsabilité pour tous. L’alternative est bien de permettre alors à tous et à chacun de progresser dans la construction des ses savoirs et de son être.

La naissance de chacune de ces structures a été l’objet d’un véritable combat, leur existence est régulièrement menacée, certaines sont fermées. À la rentrée de septembre 2006, sous prétexte d’un changement d’établissement support[[Toutes ces structures alternatives du secondaire fonctionnent comme des annexes de collège ou de lycée. Elles ont donc un établissement support, dépendent administrativement de son chef d’établissement mais sont autonomes dans leur fonctionnement.]], le collège de la 7ème île à Brest a de fait été fermé. L’équipe s’est dissoute et les élèves ont été dispersés. Même si une partie de l’équipe a finalement accepté de monter quatre classes expérimentales dans le nouveau collège de rattachement, il s’agit à Brest, comme ailleurs sur le territoire, d’une forme de normalisation qui est contestable.

Palliatif ou alternatif ?

Beaucoup souhaiteraient que ces structures ne proposent que du palliatif, ne s’occupent que d’élèves les plus mal à l’aise avec l’école, refusant de penser que l’alternatif pourrait irriguer l’ensemble du système, que la marge pourrait être mise au centre. Les établissements voisins y envoient volontiers leurs élèves les plus en difficulté, et pas seulement en difficulté scolaire, faisant ainsi des structures alternatives des établissements spécialisés au lieu de les reconnaître comme des lieux expérimentaux destinés à tous. Il faut espérer que les quatre lycées de Seine-Saint-Denis qui se sont lancé courageusement sur certaines des voies tracées depuis longtemps par les structures alternatives trouvent toute la place qu’ils méritent. La diffusion, bien au-delà d’un seul département, de leurs pratiques et des pratiques alternatives en générale, sera l’un des marqueurs fondamentaux de leur réussite. Ils risquent pourtant de naviguer longtemps entre le palliatif accepté car destiné aux élèves de banlieues jugées défavorisées et l’alternatif refusé, pourtant indispensable à tous les établissements, des pratiques qu’ils vont mettre en place.

Tout comme ces quatre lycées sont soutenus et reconnus médiatiquement, il faudrait soutenir, aider les structures alternatives existantes à vivre, à sortir de leur marginalité et non pas les remettre en cause à chaque occasion. Il faudrait que l’essaimage de leurs pratiques se fassent plus largement, bien au delà des articles qu’écrivent leurs membres ou des colloques auxquels ils participent régulièrement. Leur voix est parfois entendue, leurs pratiques rarement considérées. Il faudrait que l’ensemble du territoire puisse être maillé par ce type d’établissements, qu’ils soient destinés à un public spécifique comme le Microlycée ou à des élèves « ordinaires » comme au collège Clisthène de Bordeaux. Les bilans du collège Clisthène montrent pourtant qu’une structure alternative peut obtenir des résultats identiques voire meilleurs qu’une structure traditionnelle, à population géographiquement et socialement égale. De plus, d’autres résultats que ceux strictement scolaires, au sens habituel du terme, doivent nécessairement être pris en compte dans ce type de structure : l’apprentissage de la citoyenneté, la prévention de la violence, la remise en confiance ou le projet personnel de l’élève y sont particulièrement travaillés.

La réforme de l’ensemble du système semble difficile, même si l’exemple de la Finlande montre qu’un tel changement de grande ampleur est possible. À défaut, la multiplication d’exemples alternatifs, ceux de la FESPI ou d’autres, permettrait de faire changer les regards, de faire évoluer la réflexion. La faiblesse numérique de ces structures et leur absence de reconnaissance participent de l’immobilisme général du système scolaire. Tout le monde semble aujourd’hui s’accorder sur le fait que les meilleurs élèves des banlieues en difficulté doivent pouvoir accéder aux études supérieures les plus cotées. Il s’agit sans aucun doute d’une bonne chose pour chacun de ces élèves mais cela ne peut en aucun cas constituer une alternative pour l’école. La méritocratie n’est pas forcément la forme la plus élaborée de la démocratie.

Eric de Saint-Denis est co-fondateur du Microlycée de Sénart, Président de la FESPI.