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Des Atsem pour ne pas creuser les inégalités

« Un trésor dont nous ne saurions nous passer ». C’est en ces termes qu’Emmanuel Macron parlait des Atsem (Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles), en ouverture des Assises de l’école maternelle, le 27 mars 2018, au Conservatoire national des arts et métiers. Des paroles qui ont éveillé chez ces professionnels l’espoir d’être enfin reconnus, statutairement et financièrement, et qui ont surpris les enseignants de maternelle. Mais beaucoup ne bénéficient pas de l’aide d’un Atsem, même à temps partiel, bien que selon le code des communes, article R. 412-127, «toute classe maternelle doit bénéficier des services d’un agent communal occupant l’emploi d’agent spécialisé des écoles maternelles et des classes enfantines».

S’ils interviennent dans des écoles, les Atsem ne dépendent pas de l’Éducation nationale : ils sont recrutés et placés sous l’autorité de la commune. Titulaires du CAP Petite enfance et d’un concours de la fonction publique catégorie C, ils sont formés à l’accueil, au soin et à l’éducation de la petite enfance pour remplir des missions qui varient légèrement selon la commune, l’école, la section à laquelle ils sont affectés.

S’adapter au rythme et aux besoins de l’enfant

Des missions qui se déroulent sur le temps scolaire (accueil et hygiène de l’enfant, aide pédagogique aux enseignants, entretien du matériel et des locaux scolaires) ou périscolaire (accompagnement des enfants sur le temps de cantine, animation de garderie du matin et du soir). « Cela nous donne un regard particulier sur l’enfant, une vision d’ensemble sur sa journée, sur ses besoins », témoigne Mélodie Jacques, Atsem dans une commune rurale de l’Aisne, membre du Collectif Indépendant Atsem de France.

Présente dès 7 h 30 pour accueillir les enfants, elle joue souvent le rôle de messagère entre la famille et son binôme professeur des écoles : mauvaise nuit ou difficultés familiales, elle prête une oreille attentive aux familles pour que l’école puisse mieux s’adapter au rythme et aux besoins de l’enfant. Dans l’autre sens, lorsque l’enseignant a besoin de communiquer des informations aux parents, il sait qu’il peut compter sur Mélodie pour passer le message. C’est elle qui surveille la sieste, connait les habitudes de chacun, glisse le doudou sous la couverture avant la cantine pour qu’il attende l’enfant, pendant que le maitre travaille avec les plus grands.

Sur le temps scolaire, Mélodie sert de deuxième paire d’yeux pour veiller sur la classe: résoudre les conflits, soigner un bobo, consoler un chagrin. Mais son rôle est également pédagogique, et souvent décisif, comme pour développer le langage. «Chaque enfant a son interlocuteur préféré, maitre ou Atsem, celui avec lequel il osera plus s’exprimer», explique Mélodie. Dans le cadre de son activité, elle dirige le travail de petits groupes d’élèves, fait reformuler la consigne, s’assure que les enfants tiennent bien leur crayon, tracent les lettres dans le bon sens. Elle stimule aussi l’autonomie des plus grands : «Les enfants apprennent à faire seuls, mais au départ, ils ont besoin d’agir sous le regard de l’adulte.»

Lorsque l’on écoute Mélodie Jacques parler de son métier avec passion, on comprend aisément pourquoi Emmanuel Macron parle de «trésor dont on ne saurait se passer».

À Asnières

Le problème, c’est que de nombreux enfants, parents et enseignants n’ont d’autre choix que de s’en passer. La commune d’Asnières-sur-Seine, par exemple, a fait le choix de ne pas employer d’Atsem et de confier une partie de leurs missions à des agents techniques. Ils n’ont pas le concours d’Atsem, ni le CAP Petite enfance. De fait, leur présence en classe est très réduite. Dans cette ville des Hauts-de-Seine, seules les classes de Petite section bénéficient de la présence d’un agent technique sur l’ensemble de la journée. Et quand il y a un double niveau Petits-Moyens, le temps d’intervention de l’agent n’est plus que de deux ou trois heures. Les classes de Moyens et de Grands, elles, n’ont jamais d’agent présent. La surveillance du groupe, la sécurité affective des enfants et leurs apprentissages en pâtissent.

Enseignante en moyenne et grande section, il m’arrive fréquemment de réduire mes ambitions, de changer le programme de la demi-journée pour résoudre les mille petits soucis qui arrivent dans un groupe de vingt-cinq jeunes enfants : les accidents de pipi, les vomis, les appels aux parents pour venir chercher un enfant malade, les petites et grosses bêtises qui demandent d’avoir des yeux partout et la serpillère toujours à portée de main. Régler tous ces petits problèmes sans quitter le groupe des yeux, tout en essayant de maintenir des objectifs pédagogiques, relève d’un vrai casse-tête. Les agents techniques ne sont pas à blâmer, bien entendu : au nombre de quatre pour plus de cent élèves, ils assurent seuls la restauration et l’entretien de l’ensemble des locaux.

À Aubervilliers et Poitiers

D’autres communes de taille comparable, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) et Poitiers (Vienne), par exemple, font d’autres choix. En interrogeant des enseignants et en consultant les chartes signées par les municipalités et l’Éducation nationale, j’ai pu me faire une idée des inégalités entre mes propres élèves et ceux de ces communes. Aubervilliers et Poitiers (87 000 habitants environ, comme Asnières-sur-Seine) salarient des agents qui sont tous, au minimum, titulaires du CAP Petite enfance, et la majorité a le concours de la fonction publique. À Poitiers, un Atsem par classe est affecté dans chaque école. À Aubervilliers, un par Petite Section et deux pour trois sections de Moyens et de Grands. Un Atsem supplémentaire est affecté au service périscolaire de chaque école en appui à l’équipe d’animation.

Dans les deux villes, les Atsem participent à l’encadrement des enfants pendant la restauration, ce qui leur permet s’assurer une présence continue auprès des enfants et de veiller au respect de leur rythme. En ce qui concerne le temps de classe et le dortoir, leur présence est variable selon le moment de la journée car elle est mise en tension avec l’entretien des locaux scolaires.

Séparer les missions

En période de protocole sanitaire, les Atsem consacrent davantage de temps au ménage. Ils parviennent encore à être présents dans toutes les sections le matin et même une partie de l’après-midi en soutien aux enseignants. Emmanuelle Guilloteau, enseignante en REP (réseau d’éducation prioritaire) à Poitiers, témoigne : «Pour mon Atsem et moi, la priorité est le bienêtre des enfants et leurs apprentissages. Nous nous organisons pour que la désinfection n’empiète pas trop sur le temps de classe.»

Marc Assalit, directeur du service éducation de la mairie d’Aubervilliers, constate lui aussi l’intégration de plus en plus forte des Atsem à l’équipe éducative de l’école et imagine que leur rôle auprès des enfants ira grandissant : « À terme, les deux missions, accueil des enfants, d’une part, et ménage, d’autre part, ont vocation à se séparer. Des agents techniques prendront de plus en plus en charge le ménage pour que les Atsem puissent se consacrer aux enfants. »

Une journée de mobilisation

Dans un contexte où la scolarisation est obligatoire toute la journée dès la petite section et où le programme de la maternelle devient de plus en plus lourd et exigeant, les circulaires du ministère de l’Éducation nationale soulignent le rôle des Atsem, plus important que jamais. Or, malgré les promesses du président Macron, les avancées sont minces : le décret du 18 mars 2018 permet aux Atsem de valoriser leur expérience auprès des enfants en passant le concours d’agent de maîtrise Catégorie B, réservé jusqu’ici aux animateurs. Une charte nationale a été corédigée par l’AMF (Association des maires de France) et les représentants des Atsem et doit encore être signée par l’Éducation nationale. De son côté, le Collectif Indépendant Atsem de France – qui ne voit pas la situation évoluer sur trois points cruciaux : la formation, le statut, le salaire – organise « La journée des Atsem » le 26 mars, pour demander une revalorisation du métier.

Quant aux communes qui n’emploient aucune Atsem, elles ne semblent pas concernées par ces évolutions. Offrant des conditions de travail plus difficiles aux agents municipaux et aux enseignants et des conditions d’apprentissages moins satisfaisantes aux enfants, elles courent le risque que les inégalités s’accroissent entre leurs élèves et ceux des communes qui font le choix d’employer ces « trésors dont on ne saurait se passer ».

Maëliss Rousseau
Professeure des écoles en maternelle à Asnières-sur-Seine (92)


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Photo Rachel Harent