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Débat : l’avenir de l’école…

Nous nous faisons l’écho dans cette rubrique des interrogations que l’idée même du « grand débat » a fait surgir depuis sa mise en place effective… L’analyse de Pierre Frackowiak en souligne les risques. De nombreux enseignants, comme l’évoquent les trois témoignages que nous proposons, manifestent leurs réticences, voire leur méfiance ou leur hostilité devant ce qui peut apparaître comme une manipulation ou une manœuvre de diversion d’un pouvoir politique soucieux de faire passer sa politique de plus en plus impopulaire. D’autres, au contraire, choisissent de participer au débat en connaissance de cause parce que, comme le rappelle l’un d’entre eux, cela fait longtemps que nous demandons une clarification des missions de l’école et que cette clarification ne peut être le fait des seuls « professionnels » de l’éducation. Les deux dernières décennies ont vu s’enfler les plaintes autour et à l’intérieur de l’école : des demandes sociales multiples et contradictoires n’ont cessé de lui être adressées : mieux former, mieux instruire, mieux éduquer, prendre en compte les détresses sociales, compenser les inégalités, élever le niveau de qualification de tous, former des élites, adapter à un monde professionnel lui même en perpétuelle mutation et adaptation, continuer à assurer la transmission culturelle patrimoniale, innover, suivre les avancées de la recherche dans tous les domaines, donner le désir de connaître et de découvrir, inscrire chaque personne dans les identités multiples qui caractérisent la modernité, résister aux idées simples et dangereuses qui nous menacent encore, idéologies totalitaires et fanatismes divers qui n’en finissent pas de renaître… et nous pourrions continuer longtemps, tant le champ de l’école est extensible, lieu où se réfracte et se démultiplie la complexité du monde.

Certes ce n’est pas un débat, fût-il « grand », qui va apporter des solutions miracle ! Mais ce n’est pas lui non plus qui risque d’aggraver de quelque manière que ce soit la confusion autour de la question de l’école. « Les joutes oratoires » entre « anciens » et « modernes » n’ont pas attendu le débat pour s’engager et les attaques violentes contre les pédagogues, les procès en sorcellerie intentés contre les officines louches – lisez les IUFM – où l’on concocte de noirs desseins contre la République par la pratique systématique du lavage de cerveau sont devenus un exercice de style habituel à chaque rentrée scolaire et ce depuis longtemps. Alors quels sont les véritables « dangers » de ce débat ?

J’ai envie de dire – au risque de paraître angélique – qu’ils n’existeront que dans la mesure où nous les laisserons s’installer. Le ministère voudrait dresser les parents contre les profs ou les profs entre eux, pour mieux faire passer ses projets libéraux ? À nous de ne pas jouer ce jeu pour tant est qu’il soit avéré… La multiplication des débats locaux permet d’instruire la discussion de manière plus réfléchie et argumentée que ce que nous avons l’habitude d’entendre dans les « cafés du commerce » médiatisés. Les éléments pour un diagnostic sur l’école qui ont été élaborés et distribués – même lus sous une forme résumée – apportent des éléments objectifs qui permettent d’éviter un certain nombre d’affirmations fantaisistes sur l’état de l’école : non l’école ne forme pas que des illettrés, oui le niveau d’instruction général de la population s’est élevé au cours des vingt dernières années, non la violence ne fait pas la loi dans tous les établissements scolaires… Ce qui ne signifie pas non plus que tout aille pour le mieux dans le meilleur des systèmes possibles. Échec relatif de la démocratisation, collège en crise, réformes inabouties, insuffisamment évaluées ou accompagnées, abandonnées parfois sitôt entreprises… Le diagnostic permet de revenir sur les avatars de notre système : la persistance de la forme scolaire héritée du XIXe siècle à tous les degrés du système scolaire entre en contradiction avec les nouveaux besoins et les nouvelles formes de savoir ; l’enseignement agricole, les lycées professionnels offrent souvent des exemples de remotivation spectaculaire d’élèves meurtris par un enseignement normalisé à l’excès. Le système majoritaire les ignore… La loi de 89 aussi est bien souvent ignorée ou déformée par des propos caricaturaux (complaisamment distillés entre autres par notre ministre)…

Au-delà du diagnostic, les questions posées sont certes à analyser de près : comme tout questionnement il ne peut être totalement neutre et repose sur un implicite qu’il convient de mettre au jour. Vigilance donc ! Mais là encore, le fait d’avoir proposé trois domaines : Définir les missions de l’école ; Faire réussir les élèves ; Améliorer le fonctionnement de l’école ; et d’avoir décliné ces domaines en vingt-deux questions offre une possibilité de réflexion sérieuse et permet au non initié de percevoir la complexité des problèmes rencontrés. On peut le penser comme une façon de noyer le poisson… Je préfère le prendre comme une invitation à mesurer et comprendre les enjeux d’une question qui ne peut rester l’apanage des spécialistes. Un petit tour sur le forum officiel du débat national m’a confortée dans l’idée que le débat pouvait être un réel exercice de démocratie. S’il est vrai que les heurts entre parents et enseignants ne sont pas évités, comme entre « anciens » et « modernes » d’ailleurs, dans l’ensemble il y a quand même des échanges d’analyse et de points de vue argumentés. Il est amusant de constater à ce propos que parmi les questions les plus débattues quantitativement (le site permettant de noter le nombre de contributions) apparaissait une question « hors cadre » intitulée « les modalités du débat » : 1 381 contributions à la date du 5 décembre dépassant avec les questions 1 (les valeurs républicaines), 2 (les missions), 3 (l’égalité), 5 (le socle commun de connaissances), 8 (la motivation) et 22 (la formation des enseignants) le millier de contributions, les autres se situant dans les quatre cents… J’ai retenu une petite phrase qui, somme toute, peut être utile. Aux sceptiques, critiques, lucides, ceux à qui on ne la fait pas et qui disent : « Vous me semblez bien naïfs », l’un des contributeurs répond en faisant appel au poète Crevel dans L’esprit contre la raison : « Il faut beaucoup de naïveté pour faire de grandes choses… »

Ce pourrait être le mot de la fin, mais je souhaite réaffirmer ici qu’il n’y a pas de naïveté dans le parti pris qui a été le nôtre au CRAP lorsque, dès septembre (« Paroles du CRAP », Cahiers pédagogiques n° 417) nous avons souligné la nécessité de « s’engager résolument dans le débat sur l’école ». Si le ministère sort de son chapeau des orientations déjà toutes ficelées – comme un certain nombre d’indices peuvent nous le faire supposer -, nous aurons du moins aux niveaux où nous pouvons intervenir (agir local, penser global !) contribué à nous rendre plus informés et plus aptes à construire une alternative. Nous avons à cet effet rédigé et adopté en assemblée générale dix propositions que nous mettons nous aussi en débat !

Marie-Christine Chycki, professeur de français en lycée, Rennes.