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De recherches en pratiques

La mise en place du tout nouveau Conseil national d’évaluation du système scolaire a donné l’occasion d’évoquer une meilleure circulation des savoirs entre les chercheurs et les acteurs de l’éducation. En la matière, il faut se garder de certaines idées spontanées.

La première est qu’il suffirait de bien diffuser les résultats de la recherche pour que les acteurs concernés s’en emparent. Des exemples comme ceux du redoublement sont là pour le prouver : les résultats des recherches peuvent être convergents et bien connus, cela ne suffit pas pour que les enseignants passent à autre chose. Pourquoi ? Essentiellement car il y a d’autres usages du redoublement qu’une action sur les performances cognitives, notamment en matière de régulation de l’autorité. La vie d’un système éducatif est un ensemble global et complexe qu’on ne peut prétendre faire évoluer en intervenant sur une seule variable isolée.

C’est là tout le problème des recherches qui souvent, pour des raisons disciplinaires bien compréhensibles, découpent une part de réalité pour l’analyser, mais oublient, lors de la restitution, de réintégrer cette intelligibilité experte mais partielle dans le cadre contextuel dans laquelle elle s’inscrit de façon pratique.
En fait, ce que toutes les analyses montrent, c’est qu’il faut qu’une question de recherche rencontre des interrogations ou des interpellations pratiques pour être susceptible de mordre sur la réalité.

Travailler vraiment ensemble

La deuxième idée spontanée découle de la première. Grossièrement résumé, il suffirait que des chercheurs, qui ont tout ou partie du système éducatif comme objet, associent des praticiens à leurs travaux pour que soit réalisée une symbiose miraculeuse sur le terrain. Il n’y a pourtant rien d’évident à trouver un rythme et un sens commun aux chercheurs et aux praticiens : les uns peuvent très légitimement considérer que l’objectif prioritaire, c’est de mener à son terme la recherche telle qu’elle a été initialement conçue, pendant que les autres attendent plutôt que la collaboration leur apporte une amélioration des pratiques et fonctionnement éducatifs ici et maintenant.

Ancrer un travail de recherche dans la marche ordinaire des pratiques éducatives à l’échelle d’une classe, d’un établissement ou d’un réseau éducatif ne va donc pas de soi, mais nécessite au contraire un travail de construction où tous les partenaires travaillent sur un pied d’égalité.

Comment faire alors ?

Il convient probablement de faire d’abord preuve de patience et d’humilité, en évitant les raccourcis des doctrines qui appellent la science au secours des écoles et mettent les enseignants en péril. Ni le discours du laboratoire, ni celui du terrain ne contiennent seuls les clés pour assoir les pratiques sur des connaissances plus solides.

La solution est probablement à explorer par la multiplication des lieux de dialogue et de confrontation entre les acteurs des différents mondes. Des lieux qui permettent que se posent des questions communes, chacun y apportant l’éclairage qui lui est propre, mais sans rapport subalterne et à priori des uns par rapport aux autres. Des lieux qui soient surtout conçus pour enrichir les compétences et les ressources de chacun, plutôt que pour transmettre un savoir intangible.

Les rares études existantes suggèrent en la matière des lieux permanents d’intermédiation dans le système éducatif : des rôles de passeurs au sein des organisations scolaires et des équipes universitaires (pour l’instant, seuls les conseillers académiques en recherche-développement, innovation et expérimentation et certaines inspections semblent jouer ce rôle), des réseaux stabilisés (à l’image des mouvements pédagogiques, voire de certains think tanks), des unités spécialisées dans la traduction et la mise à disposition des recherches (comme des services de veille, etc.), des carrefours stratégiques de mise en commun des idées et des expériences sur des questions vives (comme les formations de formateurs, les séminaires de travail).

On comprend dès lors que c’est une perspective systémique et collective qui apparait la plus efficace pour assurer ces missions, à rebours aussi bien de la vision charismatique du praticien (forcément très réflexif !) censé assurer sa propre veille, que celle de la délégation de la fonction à un seul conseil ou département ministériel ad hoc.

Olivier Rey
Chargé d’étude et de recherche, service Veille et Analyses de l’IFÉ (ENS de Lyon)


Pour en savoir plus
Olivier Rey, « Entre laboratoire et terrain : comment la recherche fait ses preuves en éducation », dossier de veille de l’IFÉ, n° 89, janvier 2014. ENS de Lyon.
http://eduveille.hypotheses.org/6006