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De mauvaises réponses à des questions mal posées

On pourrait être tenté, devant l’avalanche des déclarations et décisions ministérielles, de pousser un cri de colère ou de se décourager. Les acquis de plusieurs décennies semblent remis en question au profit d’un grand retour en arrière qui balaierait l’idée même de collège unique et d’ambition intellectuelle et culturelle pour tous.
Pourtant, les idées simples dont le ministre se réclame séduisent une partie des parents, entrent en force dans les médias et peuvent même susciter l’approbation de certains collègues.
Comment aller au-delà des réactions immédiates ? Comment ne pas nous enfermer dans un discours d’indignation stérile ?
Notons d’abord les contradictions que suscitent ces mesures : certains applaudissent à l’apprentissage à quatorze ans et s’indignent du projet de bivalence ; d’autres approuvent la circulaire très contraignante sur la lecture tout en proclamant leur attachement à la « liberté pédagogique ».
Devant cette confusion, il faut clarifier les termes du débat et la nature des problèmes rencontrés.
Le « collège unique » n’a jamais été mis en place réellement. On ne peut se contenter de la fiction qui en tient lieu et accepter l’échec programmé de certains élèves qui passent de classe en classe sans atteindre un minimum de compétences.
Mais la mauvaise réponse est l’apprentissage à quatorze ans, et l’option de découverte professionnelle en 3e si elle se fait dans l’esprit d’une préorientation. Admettre ces mesures, c’est renoncer à transformer le collège, à intégrer davantage la connaissance des métiers par tous, à redonner de l’importance à la technologie, à diversifier les voies d’excellence. On a ici une idée du socle commun bien éloignée de toute approche culturelle et citoyenne[[La récente note du ministère au Haut Conseil de l’école chargé de la question du socle confirme nos craintes.]].
15 à 20 % des élèves lisent mal à l’entrée en 6e, un petit nombre d’entre eux est en grande difficulté, et trop peu d’élèves accèdent à la maîtrise d’une lecture fine et interprétative : on ne peut s’y résigner. Mais la circulaire récente réduit cette question complexe à un choix de « départ » syllabique ou global et ignore complètement les conclusions de la majorité des chercheurs (voir la conférence de consensus[[À lire sur http://www.bienlire.education.fr/01-actualite/c-En-parle06.asp.]] sur la lecture ou les récents rapports de l’ONL[[Observatoire national de la lecture ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/rapports/onl_2005.pdf et sur http://onl.inrp.fr.]] et de l’inspection générale). Il faudrait au contraire travailler à mieux former les enseignants à une démarche multiforme qui intègre à la fois les nécessités du décodage, de l’acquisition d’automatismes, et le travail sur le sens, la littérature, l’observation réfléchie de la langue.
On ne peut rester dans l’angélisme concernant la violence. Lorsque nous menons des pédagogies actives, que nous cherchons à établir des relations bienveillantes et positives dans la classe, nous savons que le maintien d’une autorité qui garantit le travail et l’attention est un combat permanent. Nul besoin de redire qu’il est des circonstances où le recours au droit et à la police devient nécessaire ; cela se fait depuis des années et a pu donner lieu à un travail pédagogique fructueux pour redéfinir la place de la loi à l’école et dans la société.
Ce type de collaboration est compromis par des déclarations qui vont toutes dans le même sens : il est question avant tout de réprimer, de punir (la note de vie scolaire s’inscrit dans ce même esprit)[[Voir l’article de Philippe Watrelot dans les pages actualités de ce numéro.]]. Travailler sur les relations dans la classe signifie essentiellement pour le ministre « rétablir l’autorité du professeur » et le « bon comportement » réside exclusivement dans le respect de l’enseignant. Affirmons que le respect passe aussi par plus d’apprentissage de la démocratie, plus de dialogue élèves-enseignants, plus de rigueur dans l’application non arbitraire de règles claires. Et que combattre la violence et les incivilités, comme vient de le rappeler la conférence mondiale organisée par Éric Debarbieux sur les violences scolaires, s’appuie sur le travail d’équipe, la prévention, la formation des personnels. Sur cette base-là, des mesures répressives nécessaires peuvent être davantage comprises et acceptées. C’est dans ce sens que nous travaillons par exemple à la publication d’un dossier de notre revue sur les sanctions.
La reproduction des inégalités sociales à l’école demeure un problème non résolu et s’aggrave. Il est certes important de se demander comment permettre aux meilleurs élèves de ZEP d’accéder à des postes de responsabilité, mais la démocratisation, ce n’est pas la mise en œuvre de mesures méritocratiques.
Accorder plus de bourses au mérite, permettre aux collégiens de ZEP d’obtenir de meilleurs lycées occulte la question d’une action déterminée pour la promotion de tous. Assurer à tous une meilleure réussite, cela exige du temps pour les équipes, (et non des primes), de la formation continue, des changements de pratiques.
On pourrait poursuivre ; chaque jour ou presque surgissent de nouvelles déclarations, dont on ne sait trop comment elles s’articulent avec la loi d’orientation ou le débat national sur l’école. Peu de concertations, peu de débats : le refus de prendre en compte la complexité pour imposer des mesures simplistes… Ce n’est pas de cette manière-là que l’école peut avancer.
Craignons malgré tout de trouver une cohérence à cette politique qui conjugue un esprit passéiste avec un souffle libéral « moderne » (l’individu est considéré comme seul responsable de ses échecs, en dehors de toute considération sociale). On est bien loin d’une école de la réussite de tous, celle qui ressortait du rapport Thélot et qui impliquerait une véritable révolution culturelle, le contraire de la contre-réforme actuelle.