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De l’utilité d’un débat international sur la mixité sociale

Un vent international souffle sur l’évaluation du système scolaire français. Que nous apporte-t-il ? L’intérêt des comparaisons internationales, c’est de s’ouvrir à d’autres réflexions, d’autres possibilités. Nathalie Mons, présidente du CNESCO, l’a rappelé en ouverture : la première vertu à attendre d’une telle conférence, c’est de «dédramatiser la situation française», en montrant que d’autres pays cherchent aussi des réponses aux mêmes questions que les nôtres. Deuxième objectif : ouvrir des possibles, donner «un ballon d’oxygène», lutter contre le sentiment d’impuissance.

Le premier objectif aura été atteint dès la première matinée, à travers les interventions de chercheurs québécois, anglais, suédois, belge venus expliquer comment cette question est traitée et prise en compte dans leurs pays.

Pourquoi se soucier de mixité, au-delà de considérations éthiques ou de justice ? Parce que, souligne Georges Felouzis, Professeur de sociologie des politiques éducatives à l’université de Genève, la mixité ou la non mixité ont des effets notables sur la réussite des élèves. « La composition sociale, ethnique et scolaire des classes a un effet très fort sur les chances d’apprendre des élèves », explique-t-il, soulignant que l’ « on apprend beaucoup de choses de ses voisins de classe » et que lorsque l’ « on met ensemble des élèves très faibles, il n’y a plus d’ambition de réussite ». Il y a ainsi un effet bénéfique des pairs lorsque la mixité est assurée. De même, les systèmes éducatifs fonctionnant avec des filières d’orientation précoce sont inégalitaires: les meilleurs progressent, les plus faibles régressent. Il a été montré aux Etats-Unis que pour faire réussir un élève de milieu défavorisé, une scolarité en milieu mixte est plus efficace que dans l’éducation prioritaire avec des moyens supplémentaires…

Effets pervers

Les mesures mises en œuvre en France pour rétablir de la mixité sont en débat. George Felouzis assure que le renforcement de la sectorisation, comme sa libéralisation, ont des effets pervers et accroissent la ségrégation. De même, selon lui, les politiques d’éducation prioritaire ont aussi un effet de renforcement de la ségrégation puisqu’elles induisent beaucoup plus de contournements de la sectorisation. Il pointe un cercle vicieux bien identifié : les contournements existent parce que tous les établissements ne se valent pas ; et tous les établissements ne se valent pas parce qu’il n’y a pas de mixité.

Autre point de discussion, l’information des parents. En quel sens jouent l’élaboration et la communication de données statistiques ? A priori, le différentiel d’information entre les parents des milieux défavorisés et ceux qui ont ce que l’on appelle « les codes » joue évidemment en défaveur des premiers. Mais aux Pays-Bas, l’expérience de schooltours, c’est à dire de visite d’écoles pour aider le choix des parents a abouti à ce que seuls les parents des catégories sociales favorisées s’y impliquent… Et la recherche de l’entre-soi ne concerne pas toujours que les «dominants» mais aussi parfois les «victimes» de la ségrégation.

Si pour certains les politiques de libre choix de l’école ont été conçues à une autre époque et ne répondent plus au défi sociétés actuelles, Françoise Cartron, vice-présidente du Sénat, membre du CNESCO et rapporteure en 2013 du projet de loi de refondation, considère, elle, qu’on ne reviendra pas sur l’assouplissement de la sectorisation décidé en 2008. Elle prône l’encadrement de la liberté de choix des parents en imposant de sélectionner trois établissements et souhaite que les collèges les plus ségrégués soient des collèges «zéro défaut», pour donner aux parents le sentiment que leurs enfants y auront les mêmes chances de réussite. Car, sur le terrain, l’assouplissement n’a profité qu’aux parents qui ont « les codes », rapporte-t-elle. Et parents et jeunes des quartiers défavorisés ne sont pas dupes. Comment alors leur parler de République, de fraternité, d’égalité ?

Témoignage de parents

C’est d’ailleurs bien le sens du message qu’étaient aussi venues délivrer des mères d’élèves d’un quartier très ségrégué de Montpellier, le Petit bard. Un collectif de parents y proteste contre le changement dans la sectorisation qui les conduit à devoir fréquenter un collège dépourvu de mixité : «Nous sommes en colère, c’est une colère constructive et citoyenne. La ségrégation sociale et urbaine est mauvaise pour nos enfants, l’absence de mixité est préjudiciable, cela ne permet pas la parole ni le partage. Le sentiment d’appartenance à la République ne peut pas se construire dans un ghetto.»

Enfin, ces deux journées de comparaisons rouvrent la discussion sur l’établissement de statistiques ethniques, du moins à propos de l’école. Elles restent interdites en France et l’enfermement des individus dans des catégories ou groupes ethniques constitués à des fins statistiques ne peut sembler souhaitable. Mais la question de la mesure de la mixité sans tenir compte des critères d’appartenance ethnique est posée par l’évidence avec laquelle d’autres pays y ont recours.

Aux Etats-Unis, si le poids des critères «raciaux» (assumés et nommés comme tels) reste très important par rapport aux données socio-économiques utilisées en Europe pour juger de la mixité, il y a néanmoins une diminution progressive du critère ethnique pour la classification des jeunes et une réintroduction du critère de classe sociale. En revanche, en Angleterre, le recensement du groupe ethnique d’appartenance des élèves continue de se faire à l’entrée en primaire puis en secondaire. Et les élèves sont considérés comme à même de se rattacher eux-mêmes à l’un ou l’autre groupe dès 11 ans…

Il sera décidément intéressant de connaître les conclusion de cette conférence, que le Cnesco conçoit comme la conférence inaugurale de création d’un «réseau de décideurs» qui doivent construire sur leur propre terrain la mixité sociale.

Cécile Blanchard

Pour consulter le dossier sur la mixité sur le site du CNESCO : http://www.cnesco.fr/cci_mixites/