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De l’étonnement à l’apprentissage, enquêter pour mieux comprendre

Le sujet de ce livre est pour le moins étonnant, et « audacieux » comme l’écrit Brigitte Albéro en introduction. C’est un livre « plein d’imprévus » dont « la lecture [est] aussi stimulante qu’un bon roman », ajoute Patrick Mayen en conclusion.

En effet, en quoi l’étonnement peut-il intéresser le formateur, l’enseignant, le chercheur en sciences de l’éducation ? Joris Thievenaz, actuellement professeur des universités à l’université Paris-Est Créteil, présente dans cet ouvrage le rôle de l’étonnement dans l’activité humaine et plus particulièrement la fonction (oubliée, impensée) de l’étonnement dans le processus d’apprentissage et la construction de l’expérience.

Dans une première partie, la notion d’étonnement est décrite à partir d’un travail lexical, étymologique et historique et s’inscrit dans le champ de la philosophie. Joris Thievenaz y précise la distinction entre étonnement, surprise, et émerveillement, indiquant que le premier se caractérise par « l’engagement du sujet dans un processus de réflexivité et d’expérimentation face à l’étrangeté ou à la nouveauté d’une situation rencontrée. » Il y précise également en quoi s’étonner de, en questionnant les allant-de-soi et les prérequis, participe à la démarche de connaissance. La notion d’étonnement est dès lors envisagée comme un « levier pédagogique permettant de susciter le désir d’apprendre et l’acquisition de nouvelles connaissances » tant pour l’adulte en formation que pour l’élève.

La deuxième partie est consacrée au processus d’étonnement dans le processus d’apprentissage. Joris Thievenaz mobilise ici les travaux fondateurs de John Dewey et Jean Piaget pour expliciter en quoi l’étonnement est une activité déclenchée par l’individu quand il est confronté à un problème, une difficulté, une incompréhension, un manque, un embarras, une contradiction (ce que J. Dewey appelle « une situation indéterminée »). L’étonnement est ainsi déclencheur de l’activité réflexive en situation, potentiellement source d’apprentissage à la condition bien sûr que l’acteur s’engage dans une démarche d’enquête . L’auteur présente ici plusieurs études de cas (dans le milieu de la santé) pour expliciter le rôle de l’étonnement-enquête dans les apprentissages professionnels et tenter de répondre à la question « Comment les professionnels apprennent-ils sur le tas ? »

Ces études de cas lui ont permis d’identifier différents types d’étonnement (l’étonnement dans l’activité, les étonnements exprimé, simulé, provoqué, raconté, identifié) présentés en troisième partie. Cependant tout étonnement ne débouche pas sur une activité réflexive ; certains sont en effet évités, suspendus, persistants, inhibants, sclérosants. Seul l’étonnement concluant aboutit à un apprentissage. Dans cette partie, J. Thievenaz expose également les empêchements à s’étonner et donc les obstacles au processus d’apprentissage chez les adultes en formation. Présentant l’étonnement comme levier pédagogique en formation, J. Thievenaz propose de le (re)considérer dans le champ de la formation et d’y (re)donner la place qu’il mérite. D’un point de vue praxéologique, dans un souci d’opérationnalisation, il offre ainsi aux lecteurs des pistes pour susciter et accompagner l’étonnement dans une intention d’éducation et de formation tout au long de la vie.

Rachel Harent