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D’abord combattre les préjugés et idées reçues

Si vous êtes dans un établissement situé dans un quartier dit « populaire », si vous voulez avoir une chance de voir vos élèves travailler et apprendre, il faut d’abord que vous soyez convaincu qu’un enfant de milieu modeste et/ou qui a des problèmes familiaux peut réussir à l’école. Sinon, je ne crois pas que vous puissiez faire quoi que ce soit pour eux.

Il vous faut ensuite faire fi des représentations véhiculées par les médias (rassurez-vous, j’avais beaucoup de préjugés en arrivant dans mon collège ZEP !). Non, non, l’enfant ou l’adolescent que vous avez en face de vous n’est pas toujours un enfant d’une famille de d’RMIstes alcooliques, ni celui d’une famille africaine polygame qui traîne dans la rue le soir jusqu’à pas d’heure, ni le fils d’une famille maghrébine qui pourrit ses garçons tellement elle les gâte, leur passe tout, bat et exploite ses filles, ni non plus l’enfant d’une famille asiatique qui le fait travailler tard le soir dans un atelier de couture ! Il y en a bien sûr, comme il y a dans les quartiers dits « favorisés » des enfants qui sont livrés à eux-mêmes parce que leurs parents sont souvent absents pour des raisons diverses ou qui ont des parents permissifs… Les élèves des quartiers dits « populaires » sont des enfants et des adolescents comme les autres, mais leurs parents « galèrent » plus que la moyenne nationale dans leur vie de tous les jours.

Je pense que ces enfants ont besoin de respect avant toute chose.
Respect en tant qu’individus en les considérant comme tels et non pas comme représentants d’un groupe social.
Respect en leur imposant des règles strictes, justes, et claires ; ils le méritent, car comme tout enfant/adolescent ils ont besoin de cadres pour se construire.
Respect enfin, en ne faisant pas injure à leur intelligence en « baissant le niveau ». Je dis à longueur de journée à mes élèves : « faites confiance à votre intelligence, n’ayez pas peur d’écrire. Allez, au travail et vous progresserez ! ».

Cela dit, il est vrai que les enfants d’origine populaire ont besoin souvent qu’on fasse avec eux un travail sur la langue, y compris (et surtout ?) dans les disciplines dites scientifiques ; tous les mots doivent être soigneusement définis et expliqués. En effet ces enfants et adolescents n’ont pas toujours un parent disponible, une fois rentrés à la maison, pour leur expliquer le sens des mots comme nous le ferions avec nos enfants. Pour ne citer qu’un exemple, si vous donnez un problème de calcul où il est question de roses et de tulipes à un enfant qui vit dans une chambre de bonne ou dans une cité, qui n’a jamais été dans un jardin ou à la campagne (ou même s’il y a été personne ne lui a montré la différence entre les roses et les tulipes), et dont les parents n’ont les moyens d’acheter ni des roses ni des tulipes, cet enfant, même s’il raisonne bien et a la volonté de bien faire, sera peut-être géné pour réussir le problème (même si en l’occurrence, roses et tulipes ne sont que prétextes).
Il faut aussi travailler à donner du sens à ce qu’on leur enseigne. Et si on ne veut pas que cette belle exhortation ne soit pas une formule vide, il s’agit par exemple d’intégrer les sciences, dont les mathématiques, dans leur histoire humaine, en faisant des liens avec le quotidien, mais aussi la grande Histoire.

Cette année j’enseigne dans un collège de « catégorie 2 », et je m’aperçois finalement que tout ce dont je viens de parler s’applique aussi à mes élèves actuels : c’est efficace autant avec les meilleurs, afin qu’ils excellent, qu’avec ceux qui sont en échec (il y en a dans toutes les catégories de collèges) pour qu’ils ne le soient plus.
Je dirai : heureusement ! Heureusement car cela prouve que tous les enfants quels qu’ils soient sont finalement les mêmes !

Maya Akkari, professeur de mathématiques au collège Coysevox, Paris 18ème.