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Créer un carnet de voyage pour éduquer au regard « interculturel »

L’élève est en position d’artiste selon les propos de Rodin : « Je ne crée pas, je vois et, c’est parce que je vois que je suis capable de faire ». La production d’un carnet de voyage favorise donc une culture de l’image puisqu’il s’agit de retranscrire l’identité visuelle d’un pays, terme propre au design, sans tomber dans le stéréotype. La sémiotique est alors indispensable à la réflexion puisqu’elle vise la compréhension des processus de signification à l’œuvre dans les objets, les lieux et les pratiques du quotidien. Il s’agit pour l’élève de mettre en exergue l’originalité culturelle du pays parcouru ou de l’endroit visité à travers la création visuelle. Arts visuels et écriture permettent ainsi d’éduquer à l’environnement, à l’interculturel et à l’anthropologie. La combinaison texte et image et le message transmis par les codes iconographiques nourrissent la réflexion de l’auteur pour que le carnet de voyage devienne à la fois une production documentaire et une œuvre d’art. La sémiologie de l’image est donc au cœur de la problématique de la médiation. En effet, « une œuvre d’art devrait toujours nous apprendre que nous n’avons pas vu ce que nous voyons », selon Paul Valéry. L’ouvrage « Carnets de voyage, du livre d’artiste au journal de bord en ligne », édité au mois de novembre 2005 dans la collection « Argos Démarche » du SCEREN – CRDP de Créteil, se penche sur l’intérêt pédagogique de ce type de production pluridisciplinaire, documentaire et créative.

Le carnet de voyage à travers son graphisme est le reflet des intentions de l’auteur

Toutes les catégories d’images peuvent se retrouver dans le carnet de voyage à condition qu’une charte graphique ou qu’un design signe l’originalité de l’artiste et se réitère au fil des pages. Tous les types d’images sont utiles à la création du carnet car il est à la croisée des genres. Parfois, le carnet de voyage est rangé dans les albums, les documentaires photographiques, les bandes dessinées, les biographies ou les fictions de voyage. Ainsi, l’image peut avoir différentes fonctions selon la catégorie à laquelle elle appartient (voir les ouvrages de sémiologie de l’image) :
– L’illustration en complément souvent d’un texte : couverture, carte postale, caricature, dessin de presse et d’humour, bande dessinée, calligraphie et calligramme, le dessin aquarellé…
– L’image et la photographie comme témoignage ou preuve visuelle : reportage de guerre, reportage sociologique, photographie de presse, photographie ambiguë, photographie d’artistes et de plasticiens…
– La peinture comme image d’art : portrait, paysage, véduta, peinture de cour, peinture d’événements historiques, scène de guerre, nature morte, trompe-l’œil, peinture non figurative, représentation mythologique…
– Les arts graphiques et l’affiche comme mise en valeur d’un message : typographie, collage, logo, étiquette, couverture, affiches (publicitaire, politique, de cinéma), propagande, affiches et plasticiens de la communication visuelle ou du design graphique…
– L’image documentaire comme représentation du réel (image conceptuelle scientifique): carte IGN, carte, plans, graphique, dessin technique, schéma, organigramme…
En revanche on trouve sous forme de site web.
– L’image comme illustration du mouvement : cinéma, vidéo, animation, dessins animés, image de synthèse, PAO…
– L’image publicitaire comme forme argumentative: affiche publicitaire, campagne et publicité de presse, design graphique commercial, photographie de produits commerciaux et leur conditionnement (packaging et marketing)…

Evidemment, sur le modèle du message publicitaire, le carnet de voyage peut devenir un plaidoyer pour développer le tourisme ou pour susciter une vocation touristique : c’est le cas de quelques sites web intitulés « carnets de voyage ». Afin de raconter des éléments autobiographiques du parcours, le film de fiction ou documentaire est aussi un moyen d’expression du carnet de voyage.

Les différents types d’images choisies dépendent de l’intention de l’auteur : émouvoir par l’œuvre d’art, raconter par l’image narrative, informer par des images documentaires, expliquer par des images comme la carte ou le schéma, faire agir par des images publicitaires. Peu importe la nature de l’image, l’intention est primordiale dans la réalisation d’un carnet de voyage. Recueil de souvenirs après le voyage, il peut être enrichi dans l’atelier ; la mémoire joue alors comme un filtre, ne gardant que le concentré d’impressions, de souvenirs ou de paysages. L’imagination peut prendre alors le pas sur le réel. Métamorphoser, assimiler, transformer, déformer la réalité permet tant de créer un nouveau périple et de poser un regard différent sur l’environnement. Par contre, en voyage, l’artiste est proche de la nature qui peut être le matériau de l’œuvre : des éléments prélevés sur le terrain peuvent participer à la composition. Emotions et expressions ressenties appartiennent à l’œuvre autobiographique qu’incarne le carnet de voyage. Il s’agit en effet de créer à partir des émotions que l’on ressent et que la couleur traduit. Il y transparaît les goûts et intérêts de l’auteur pour un paysage, un peuple, une culture ou une atmosphère en particulier. Le carnet de voyage peut être aussi une œuvre engagée pour combattre le racisme, l’intolérance, l’ignorance, la non-reconnaissance de minorités ethniques…Il interpelle alors le lecteur s’il utilise les codes visuels appropriés et employés notamment dans les campagnes d’information. La charte graphique ou un design doit servir de trame au fil des pages de l’ouvrage pour que l’œuvre soit une collection de tableaux cohérents narrant une histoire.

La fabrication du carnet de voyage témoigne du déplacement vécu au contact des autres et de la différence culturelle.

La fabrication du carnet est la première étape avec la possibilité de confectionner son papier en récoltant des plantes et des végétaux décoratifs : monnaie-du-pape, graminées, pétales d’hortensia, graines d’érables…Après cuisson dans un bain de soude, elles sont insérées dans la trame du papier. Si on ne peut réaliser une véritable reliure d’autres astuces sont possibles : lacé de cuir, rafia, ruban…La mise en page nécessite de la réflexion pour combiner l’illustration, le texte, les titres et les témoignages ou objets récoltés. Les matières et les textures peuvent être combinées. Nombreux sont ceux qui s’inspirent d’objets d’art, d’objets quotidiens ou de packaging pour travailler sur le graphisme et pour personnaliser la page ou le sujet choisi. Ainsi, sur le thème de la céramique marocaine, on peut utiliser des céramiques aux formes variées, le plat à tajine, le geste du tourneur, des traces d’émaillage ou de terre crue, des morceaux de poteries, des couleurs traditionnelles, des motifs….Pour évoquer la beauté des femmes, on peut souligner de kohl, de henné en poudre ou liquide les motifs des mains ou la marque de la main….Ainsi, papier – monnaie, tickets, tissus, emballages, débris de végétaux, épices, collages…(sur le modèle de Peter Beard) enrichissent le paysage esquissé par les sensations olfactives et tactiles. Le carnet doit parler à tous les sens. La notion fondamentale que permet de réapprendre le carnet de voyage est celle du temps nécessaire pour mûrir sa création. Comme l’écrit Sam Scott dans ses « carnets d’Amazonie », « j’ai appris une nouvelle notion du temps dans la jungle, un temps spacieux, qui laissait la place à l’expression personnelle artistique ». De plus, le travail de contextualisation dans le temps et dans l’espace s’inscrit dans les objectifs de l’histoire – géographie. La revue « B.T. Carnet de voyage » de l’édition PEMF, Publications de l’école moderne française, l’illustre d’ailleurs depuis 1995.

Le prix du carnet de voyage « Elève » remis à « la biennale du carnet de voyage » de Clermont-Ferrand

Plusieurs prix sont remis chaque année par le CRDP pour le Carnet de Voyage Elève : le lauréat, la mention spéciale, les écoles primaires, trois prix pour les collèges, un prix pour les lycées. Voyages linguistiques, sorties éducatives, classes vertes ou de neige, voyages culturels à Paris, voyages imaginaires en littérature, voyages intimes en enfance, voyages artistiques en arts appliqués sont autant d’approches. Par exemple, depuis l’an 2000, le CRDP de Clermont – Ferrand et les éditions Du Dimanche ont publié cinq carnets de voyage d’établissement scolaire primés lors des biennales successives ; les deux derniers sont thématiques : « Voyage à Endé au Mali » en 2003 et « Voyage en Italie : Florence et Rome » en 2005. Ce dernier est le travail d’une classe d’arts appliqués du voyage dont la destination est bien d’être un hymne aux arts. Pour participer, les élèves réalisent une production originale qui se compose d’un support à relier, de croquis et de textes. A noter, cinq autres prix sont remis aux artistes professionnels lors de la « Biennale du carnet de voyage » qui a lieu chaque année du 18 au 20 novembre.

Le concours scolaire national « Faites des livres » sur « les traces des écrivains voyageurs »

Le concours « Faites des livres ! » de la DESCO – CNDP – SCEREN est une occasion de sensibiliser les élèves aux aspects matériels et techniques du livre qui participent aussi de la construction du sens. Il s’agit d’amener les jeunes à découvrir la valeur de « l’objet livre » dans une perspective dynamique : entre savoir et savoir-faire, du projet d’écriture à la réalisation technique, de la découverte d’un patrimoine à la création collective.

En somme, le carnet de voyage compile des traces, des esquisses, un scénario et un témoignage ou un regard personnel. Sur le plan plastique, les traces représentent le temps passé, l’intemporalité et la durée mais contribuent aussi la preuve du voyage ; les esquisses, au contraire captent l’instant et le mouvement mais aussi le réalisme des scènes. Pour l’écriture, le scénario suggère la chronologie, la linéarité du parcours et l’évolution dans la fiction. L’ensemble offre un regard ou un témoignage subjectif et personnel sur un déplacement vécu au contact des autres et de la différence culturelle. Il constitue donc un véritable apprentissage du regard comme prolongement de l’éducation à l’image ou par l’image. Trois disciplines sembleraient surtout être concernées : les arts visuels, l’atelier d’écriture en lettres, l’anthropologie, la géographie et la sociologie pour rechercher des réponses et comprendre l’Autre.

Pascale Argod, PRCE de Documentation à l’ IUFM d’Aquitaine.


Consulter des informations complémentaires sur le site du CRDP de Clermont-Ferrand