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Couper l’aide sociale aux familles : une mesure injuste et inefficace

Nous le savons déjà : réduire les ressources des parents après des actes délinquants commis par leurs enfants ne résout pas le problème de la violence, d’autant que cette mesure exonère de fait les jeunes des familles aisées. Il faudrait, au contraire, proposer une démarche coéducative, axée sur la prévention. L’école ne doit pas stigmatiser mais tendre la main aux plus fragiles, comme le montrent depuis des années les travaux de pédagogues et de sociologues.

Les futures mesures antiviolences esquissées par le ministre Jean-Michel Blanquer ont récemment remis à l’agenda politique l’éventualité de suspendre les aides sociales aux parents d’enfants dits violents. L’idée de supprimer ces ressources aux parents d’enfants jugés non conformes aux attentes institutionnelles date de 1959. Depuis lors, les différents gouvernements la suppriment et la rétablissent en fonction des courants idéologiques et non politiques (car le gouvernement Raffarin comme le gouvernement Hollande l’ont enlevée tour à tour).

La question que nous posons ici n’est pas tant celle de son efficacité, puisqu’au moment où l’Angleterre menait une politique fortement répressive envers les parents, le taux d’absentéisme des enfants augmentait de 30 %, selon Claude Lelièvre, historien spécialiste de l’éducation. De plus, si l’on doit se diriger vers les parents, c’est au contraire pour les accompagner davantage plutôt que de les affaiblir, comme le montrait en 2010 Eirick Prairat, professeur de philosophie de l’éducation à l’université de Lorraine. Nous proposons ici d’interroger les soubassements théoriques et les conséquences effectives induites par de telles mesures.

Typologie des « jeunes violents »

Ayant démontré les effets délétères de la violence à l’école depuis vingt ans auprès d’Éric Debarbieux, sociologue et ancien délégué ministériel à la lutte contre les violences scolaires, je ne vais pas ici en minimiser ses effets sur le climat scolaire, ni les inégalités induites selon les monographies sociales, mais de montrer les alternatives possibles, en dehors des effets d’annonces choc.

Tout d’abord, lorsque l’on évoque « les jeunes violents » de qui parle-t-on ? Ayant mené une thèse sur la violence dans les collèges de type centre ville, j’ai pu montrer que les jeunes y étaient tout aussi violents, sans pour autant être nommés déviants par l’institution. Car les violences perpétrées ne sont pas antiscolaires, mais participent au contraire d’une re-création propice aux apprentissages où l’excellence pédagogique est la norme. Ces jeunes, outre le fait d’échapper à cette catégorisation, ne verront pas leurs parents ciblés par la mesure annoncée puisqu’ils ne bénéficient guère d’aides sociales, à de rares exceptions près. Ceux qui seraient concernés sont, par effet de déduction, des jeunes issus de milieu socialement défavorisé et/ou résidant dans des quartiers de relégation. Ce focus ainsi fait sur cette typologie « de jeunes », comment enrayer ces violences de manière durable et éducative ?

Deux grandes réponses s’opposent majoritairement : la prévention des violences à l’école dans une approche globale et la répression des jeunes qualifiés de violents. Pour le dire autrement, dans la première, le jeune violent (dans son contexte) est vu comme étant en danger, et dans l’autre, comme potentiellement dangereux.

Depuis la loi de refondation de 2013 et la mise en place d’un mission interministérielle de prévention et de lutte contre les violences en milieu scolaire, les questions de violences sont envisagées sous le prisme du climat scolaire de manière systémique, et de bienêtre du jeune lorsqu’elles sont individualisées.

Une approche coéducative et préventive

Lutter contre les violences, c’est avant tout les prévenir ! Or, la prévention est d’abord humaine et doit prendre en compte les inégalités sociales, les phénomènes d’exclusion et les discriminations dans leur ensemble.

C’est d’ailleurs ce que ponctuent les textes de l’Éducation nationale afférents, tel que l’arrêté du 1er juillet 2013 concernant le référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation. Il rappelle que les professionnels de l’éducation doivent « contribuer à assurer le bienêtre, la sécurité et la sûreté des élèves, à prévenir et à gérer les violences scolaires, à identifier toute forme d’exclusion ou de discrimination ainsi que tout signe pouvant traduire des situations de grande difficulté sociale ou de maltraitance ».

La suspension ou suppression des allocations familiales, en contradiction avec les circulaires, nie le pouvoir d’agir des professionnels de l’éducation. Mais elle réfute également le fait que les inégalités peuvent être source de violences à l’école (comme ailleurs). Les travaux de Laurent Mucchielli, sociologue spécialiste de la délinquance, pour ne citer que lui, rappellent la multiplicité des facteurs dans le processus de passage à l’acte délinquant. Qu’en est-il donc de l’échec scolaire, du manque de confiance aux institutions, de l’importance du groupe de pairs, de la stigmatisation sociale et ethnoraciale subies ?

Toutes les recherches en France comme à l’international (Catherine Blaya, Éric Debarbieux, Égide Royer, Laurier Fortin) montrent que culpabiliser les parents est loin d’être efficace. Ce qui prévaut en matière de violence à l’école est de les associer dans une approche coéducative en privilégiant les sept axes du climat scolaire. À savoir :

  • Les pratiques partenariales comprenant l’implication des associations, des fédérations de parents d’élèves, d’éducation populaire comme de toutes les institutions. En effet, en envisageant l’école autrement que comme une forteresse, les violences diminuent ;
  • L’architecture scolaire afin de favoriser notamment le sentiment d’appartenance à son établissement ;
  • La lutte contre le harcèlement, les discriminations et toutes formes de violences dans leur ensemble, y compris sociales ;
  • La justice scolaire ;
  • La pédagogie et la coopération. Remettre les valeurs humaines telles que l’empathie dans les pratiques de classe diminue les violences et favorisent le bienêtre des jeunes, loin des mesures coercitives ;
  • Les stratégies d’équipe. L’ « effet établissement » et la culture d’établissement développées par les équipes contribuent à diminuer les variables sociales (sans jamais les nier, bien sûr).
  • Et, donc, la coéducation et la prise en compte de la parole des parents.

On sait depuis les travaux d’André Giordan et Jérôme Saltet1, par exemple, que le sentiment de justice (ou d’injustice) influe majoritairement sur le ressenti des jeunes. Qu’en serait-il après l’annonce de telles mesures? Une mesure, une punition, perçues comme injustes risquent d’engendrer davantage de violences, en marquant ainsi un fossé entre la justice et la justesse.

Et pour finir, comment dissocier ces actes d’un environnement social dégradé, comme le nommait déjà le sociologue Didier Lapeyronnie dans Les Quartiers d’exil2 ? Comment aussi ne pas s’interroger sur l’essentialisation des violences ramenées à une certaine catégorie de jeunes régulièrement pointés ?

L’approche individuelle des jeunes qualifiés de violents

La théorie de « la démission parentale » développée par Laurence Giovannoni, inspectrice d’académie, montre les ressorts de « la culpabilisation de certains parents » en les plaçant comme seuls responsables, en dehors de tout contexte. Cette approche coercitive centrée sur l’individu fait fi de tout contexte social, environnemental, géographique et éducatif et tend à punir le jeune vu comme dangereux par des menaces financières relevant de stéréotypes sociaux et inégalitaires. Ce rétrécissement cumulant inégalités sociales et discriminations tend à en montrer les limites théoriques et pratiques.

En effet, si l’on se réfère à la théorie du contrôle social développée notamment par Travis Hirschi3 pour justifier le contrôle des parents et montrer l’importance des liens sociaux entre parents et jeunes, qu’en est-il des équipes éducatives et pédagogiques, des pairs et des rapports aux institutions à travers l’école ? Cette approche réduite à la relation parent/enfant nie toute action éducative dans le processus. Si l’on privilégie les stratégies de l’acteur dans le changement, alors pourquoi nier l’action des équipes pédagogiques et éducatives qui œuvrent en ce sens ?

D’autre part, c’est aussi contester, selon cette même théorie, les rapports que les jeunes entretiennent envers les institutions, telles que l’école. En effet, plus les jeunes croient et adhèrent à l’école et à ses promesses républicaines, plus ils s’y investissent et respectent les normes établies. Or, comment adhérer à une institution qui « oriente » (vers des filières non choisies) massivement les plus précaires d’entre eux et les stigmatise, ainsi que leurs parents ? Ce sont toutes ces questions qui ne sont pas posées avec une telle annonce.

Enfin, pour revenir sur les effets concrets de la mesure, les femmes seules risquent d’être directement affectées. Cumulant précarité, articulation des temps de vie difficiles, temps partiels subis, elles seront les premières visées. Comment in fine ne pas s’interroger sur cette double injustice sociale et discriminatoire ?

Cette mesure inefficace tant au niveau pédagogique que pragmatique tend à stigmatiser les parents les plus précaires, tout en contribuant à creuser les inégalités et les craintes de celles et ceux pour qui les aides sociales sont vitales. À l’heure où l’on encourage la coéducation, ne risque-t-on pas de créer davantage de défiance de la part de ces parents envers une école qui leur apparaît de moins en moins bienveillante ? Comme le montrait Fredrik Barth dans les frontières ethniques4, en renforçant du « eux », on crée du « nous », mais quel nous ? Certainement pas un « nous » républicain et inclusif.

Johanna Dagorn
Sociologue, université de Bordeaux, chercheuse à l’Observatoire européen de la violence à l’école, codirectrice des Cahiers de la LCD

Notes
  1. Apprendre à apprendre, André Giordan et Jérôme Saltet, J’ai lu-Librio, 2007.
  2. [Les Quartiers d’exil, François Dubet et Didier Lapeyronnie, Seuil, 1992.
  3. A General Theory of Crime, Gottfredson et Hirschi, Stanford Univ Pr, 1990.
  4. « Les groupes ethniques et leurs frontières », Fredrik Barth (trad. Bardolph J., Poutignat Ph., Streiff-Fenart J.), in Poutignat Ph., Streiff-Fenart J., Théories de l’ethnicité, PUF, (1e éd : 1995) 1999.