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Côte à côte ou à côté ?

Ce dossier arrive dix ans après l’appel de Bobigny (voir p. 23). Véritable manifeste pour « la mobilisation de tous autour de l’éducation et de la formation, dès la petite enfance et tout au long de la vie », il associait l’ensemble des acteurs de l’éducation. Aujourd’hui, qu’en est-il ?

Avec la coéducation, nous tenons dans nos mains une ambition forte qui déplace d’emblée les rôles et les frontières des uns et des autres, qui recompose des alliances nécessaires pour mieux éduquer et enseigner ensemble les enfants, les élèves, les citoyens de demain. La coéducation embrasse en théorie toutes les actions menées, toutes les formes d’apprentissage, à l’école, à la maison, dans le cadre associatif, sportif, entre pairs, etc. « Il faut tout un village pour éduquer un enfant ! », nous rappelle le proverbe africain. Or, en regardant de près ce village, on discerne des différences de reconnaissance des rôles des uns et des autres, et bien souvent des simples juxtapositions plus que de réelles coopérations.

Lorsque nous avons commencé à rassembler pour ce dossier des principes, des analyses, des expériences de terrain très diverses, fécondes ou se terminant sur des impasses, nous n’aurions pas pu imaginer que nous allions traverser à l’échelle mondiale la pandémie de la Covid-19. Et que les fonctionnements des partenaires autour de l’éducation et l’enseignement de l’enfant seraient profondément bousculés. Encore dernièrement, lors d’entretiens avec des enseignants, ils disaient combien ils s’étaient rapprochés davantage des parents, et tentaient de (sauve)garder le lien si difficilement tissé. Certains, par les moyens de communication (les applications très utilisées, depuis le confinement, qui permettent de se voir et se réunir à distance), se sont trouvés dans l’intimité des maisons de leurs élèves, virtuellement à la table de la cuisine, directement dans les foyers. Pour d’autres au contraire, le lien s’est distendu, avec un éloignement de l’école accru, et un décrochage massif des enfants. Nous l’avons observé et nous ne pouvons pas l’ignorer : les inégalités s’accroissent. Il s’agit d’un signe inquiétant et très marqué dans l’école que nous vivons.

Dans ce dossier, nous avons par touches successives fait un rappel des travaux de recherche en éducation qui montrent que la coéducation, bien que mentionnée dans toutes les prescriptions officielles, reste souvent lettre morte. Soit elle est difficilement mise en œuvre, soit elle est mal vécue par les différents acteurs, enseignants, les parents, associations parascolaires, et autres intervenants. Et dans les niches éducatives où elle s’installe plus durablement, elle reste une entreprise incertaine, construite dans un processus lent de négociations et reconsidérations successives. Elle est protéiforme et reste une pratique déployée, comme l’indique le titre de la première partie du dossier, avec « mille et une façons de se rencontrer ».

L’appel de Bobigny dénonçait « des inégalités territoriales, sociales et de genre insupportables, qui subsistent dans l’accès aux savoirs et à la formation ». Le confinement a mis en lumière encore davantage l’ampleur de ces inégalités et la réalité de l’éloignement de certains parents. Pourtant, si chacun veut bien « descendre de son cheval », un déplacement des frontières est possible. L’ouverture vers l’autre partenaire est un prérequis, fruit d’une volonté certaine à ajouter dans les compétences professionnelles. S’expliquer, s’expliciter réciproquement, comprendre ce que vit l’autre et dans quelles réalités, et chercher des solutions ensemble. En élargissant le cercle au-delà de la relation entre école et parents, en incluant les enfants eux-mêmes et tous les lieux d’éducation, l’élève devient une personne entière qui grandit, s’élève sans être morcelé. Alors, si le cercle se forme, il dessine une forme de solidarité, terreau d’une éducation et d’une société démocratiques. Une utopie ? Non, une nécessité.

Andreea Capitanescu Benetti
Chargée d’enseignement, formation des enseignants en primaire, Genève

Monique Royer
Ingénieure pédagogique à l’Institut des régions chaudes-Supagro Montpellier