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Conversations sur la concertation et la refondation (de l’école)

Un jour du début du mois de juillet où il fait (à peu près) beau, des amis, enseignants, invités à partager un barbecue. La conversation, aimable, porte sur tous les sujets : la pluie (thème inépuisable…), le beau temps qui tarde, les vacances, la fin de l’année, les projets. Mais quand j’évoque le fait que je participe, au nom du CRAP, à la «concertation pour la refondation de l’école», le ton devient plus sérieux. Avec d’abord de la méfiance «Pourquoi, ils font ça pendant les vacances ?», «Ils veulent nous cacher des trucs.», «Et les vrais enseignants de terrain, ils seront pas consultés ?» (au passage, c’est un peu dur à avaler pour moi qui suis sur «le terrain»…). Et puis beaucoup de scepticisme désabusé sur les effets de cette concertation : «De toutes façons c’est déjà écrit.», «Sur quoi ça va déboucher ?» , «ça va être bloqué par les syndicats.», «Encore une réforme qui ne servira à rien.».

Un exemple ne suffit pas pour bâtir une théorie. Mais il peut être l’occasion de réfléchir sur certains aspects de ce qui se joue et peut se jouer à la rentrée. Car si la concertation, lancée le 5 juillet dernier à la Sorbonne, est le premier étage de la fusée de «la refondation», il ne faut pas que les autres étages ratent leur mise en orbite. Et les enjeux sont importants, car ils concernent l’avenir de l’école et un dossier majeur du quinquennat. En écoutant les craintes de mes collègues, il me revenait en tête, une expression utilisée par Vincent Peillon dans son discours à la Sorbonne. En appelant à rejeter le pessimisme et le scepticisme qui se transforment trop souvent en cynisme il affirmait : «Il faut fatiguer le doute». Il y a du boulot…

«Pourquoi, ils font ça pendant les vacances ?»
Parce que le calendrier l’impose. Bien avant l’élection de François Hollande, le pôle éducation de son équipe de campagne, animé par Vincent Peillon, avait annoncé une grande négociation pendant les vacances de façon à pouvoir proposer une loi de programmation (qui deviendra aussi ensuite une loi d’orientation) à l’automne. Il ne faut pas rater «le véhicule législatif» pour que cette loi soit discutée, votée et avoir des effets dès la rentrée 2013, qui sera la première rentrée dont le gouvernement sera vraiment responsable. Certes, si le principe était évoqué depuis longtemps, les modalités de cette concertation ont été arbitrées plus récemment, ce qui a pu donner l’impression d’une certaine précipitation. Si les responsables syndicaux savaient depuis longtemps que leurs vacances allaient être très écourtées, les représentants des associations et autres mouvements du monde éducatif l’ont appris plus tardivement. La plupart n’ont été formellement invités que le vendredi 29 juin à participer au lancement de la concertation le jeudi 5 juillet. Mais la réponse positive de la très grande majorité de ces associations montre bien à quel point l’attente était forte et combien celles ci (comme ce fut le cas du CRAP-Cahiers pédagogiques) étaient honorées de participer à un tel dispositif.

«Ils veulent nous cacher des trucs.»
Au contraire, le choix qui a été fait est celui de la médiatisation. Même si, coincé entre le Tour de France et l’annonce des licenciements chez PSA, le lancement n’a pas eu forcément l’impact médiatique escompté. L’enjeu reste de sensibiliser l’opinion sur la nécessité de faire évoluer l’école. Le site refondonslecole.gouv.fr donne de nombreuses informations sur la concertation et une masse de données pour comprendre la situation de l’école. On peut aussi déposer des contributions sur une page destinée à les recueillir. Nul doute que le rapport final sera lui aussi abondamment diffusé.
Mais si la question du secret se pose dans les termes que j’évoque, c’est parce que la période précédente nous a malheureusement habitué à cette pratique. Qui a élaboré les programmes du primaire de 2008 ? Comment sont décidés les programmes du secondaire ? Pourquoi de nombreux rapports de la DEPP n’ont-ils pas été publiés ? Les exemples sont nombreux de cette pratique du secret. Le nouveau ministre a déjà montré sa volonté de transparence notamment en publiant les rapports cachés et en affirmant sa volonté de modifier la manière d’élaborer les programmes. Mais le traumatisme est profond et il faudra en tenir compte dans la suite de la refondation.

«Et les vrais enseignants de terrain, ils seront pas consultés ?»
Cela en dit long sur la méfiance qui est à l’œuvre. Mais on peut aussi l’interpréter comme un signe positif d’une envie d’être partie prenante. Méfiance tout d’abord, car en effet, ce sont leurs représentants qui sont parties prenantes de cette concertation. La remise en cause des corps intermédiaires, qui a été une constante de l’ère Sarkozy, a fait des dégâts. Et cela interroge aussi sur la relation que peuvent avoir les syndicats avec leurs adhérents. Pour prévenir cette critique, des concertations seront organisées en province à la rentrée. Mais là aussi il faudra veiller à l’implication de l’ensemble des personnels.On peut penser aussi qu’il y aura de toutes façons une sorte de «2ème tour social» à la rentrée ou au moment de la présentation du projet de loi.
Concertation et négociation ne sont pas synonymes. Certaines organisations voudront certainement poursuivre la construction d’un rapport de forces au moment de la négociation syndicale qui constituera le deuxième et quatrième acte de la refondation, avant et après la discussion parlementaire. «ça va être bloqué par les syndicats» est donc un risque mais c’est un risque évitable. Et cela dépend des moyens qui seront mis dans cette refondation, mais aussi de la prise de conscience de l’urgence à réformer. On peut aussi inverser la proposition et y voir des motifs d’espérer. Malgré le scepticisme, il peut y avoir une revendication de discussions au sein des établissements qui dépassent les clivages syndicaux. Comme cela a été (un peu, beaucoup, pas assez, rayez les mentions inutiles…) le cas avec les consultations Legrand, Meirieu ou Thélot, qui ont permis, malgré tout, aux personnels de s’emparer des problèmes de l’école et de faire évoluer la réflexion collective.
Mais la question qui se pose alors est celle de la meilleure place pour cette dimension collective. Est-ce avant le projet de loi pour alimenter la réflexion ? Ce qui suppose un dispositif assez lourd et peu propice à des évolutions rapides. Ou bien dans une phase d’appropriation et d’opérationnalisation après l’énoncé des principes généraux de la loi ? Au risque de voir se confirmer une certaine méfiance sur l’origine du projet et donc de l’inertie dans sa mise en œuvre.

«De toutes façons c’est déjà écrit.»
C’est en effet une question centrale. Soyons clairs. La concertation se fait dans un cadre qui est défini par la Lettre de mission, qui est assez précise et oriente la discussion. Celle-ci repose sur l’implicite d’un constat partagé sur l’état de l’école. Mais, dans ce cadre, des marges de manœuvre existent et ouvrent des espaces de discussion. Ce qui est intéressant, c’est que celles-ci ne sont pas limitées à l’espace habituel des négociations syndicales ni même au périmètre du Conseil Supérieur de l’Éducation (CSE) supposé rassembler les différentes composantes de la communauté éducative puisque on a jugé utile et intéressant de l’ouvrir à d’autres acteurs, dont les associations complémentaires.
Au passage, on peut souligner que cela devrait inciter le gouvernement à revoir la composition du CSE pour y intégrer durablement ces nouvelles composantes comme les mouvements pédagogiques…
L’idée qu’une telle loi de programmation et surtout d’orientation puisse être entièrement élaborée par la magie de la concertation relève du fantasme. Il y a bien sûr les grandes lignes d’un projet. Il est connu et figure dans les engagements du candidat. Mais cette concertation a pour intérêt de repérer les déplacements des blocages et les ouvertures nées de la discussion et des confrontations d’arguments. Elle permet donc de prendre la température des rapports de force, des consensus et des dissensus. Elle peut permettre aussi de faire émerger des idées nouvelles. A condition que l’on puisse sortir des déclarations convenues et des postures pour aboutir à une réelle discussion.

Cette première phase de la concertation qui se termine le 20 juillet (on reprend à partir du 20 aout) n’a pas tout à fait permis cela dans les quatre ateliers. Dans la plupart, on a eu droit d’abord à l’exposé des positions initiales des uns et des autres. Le nombre important de participants (contrepartie de l’ouverture) a donc conduit souvent à des successions de déclarations. Mais les animateurs d’ateliers ont pu dégager des points plus précis de discussions sur lesquels on peut espérer qu’il y ait un réel débat. Le comité de pilotage de la concertation devrait alors pouvoir tirer des éléments utiles pour la rédaction du rapport final. Le fait que tout ne soit pas «déjà écrit» dépend alors de la vigilance et de la bonne volonté des uns et des autres.

«Sur quoi ça va déboucher ?»
Une loi… Et comme on nous le rappelle souvent dans le cadre de cette concertation, une loi ne dit pas tout. Elle énonce des grands principes mais ne peut pas, ne doit pas, rentrer dans les détails. Au risque de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel. Comme cela avait été le cas avec la loi d’orientation de 2005 (dite «loi Fillon»). On en vient à espérer que cela soit l’occasion pour que l’on se saisisse de ces objectifs, de ces valeurs énoncées dans la loi pour les mettre en œuvre dans les établissements et dans sa classe, et qu’on fasse enfin confiance aux acteurs…
Le système éducatif crève de l’accumulation de procédures qui tombent d’en haut (on parle de système top-down) et qui veulent tout réglementer. Quand nous disions dans les Assises de la pédagogie, organisées par le CRAP en octobre 2011, que nous souhaitions une école plus efficace, c’est parce que l’efficacité se définit d’abord comme la «capacité d’une personne, d’un groupe ou d’un système de parvenir à ses fins, à ses objectifs (ou à ceux qu’on lui a fixés)». L’efficacité n’est donc pas un gros mot libéral.
La première condition de l’efficacité, c’est l’existence d’objectifs clairs. Être efficace, c’est ensuite se donner les moyens les plus appropriés de parvenir à ses fins. Or, l’analyse que nous faisions, c’est que ces deux conditions ne semblaient pas remplies. L’école a un problème de gouvernance et n’est pas dotée d’un véritable projet motivant et légitime. Une école plus efficace, c’est peut-être une école qui est plus claire sur les finalités et plus souple localement sur les procédures et les dispositifs à mettre en œuvre pour y parvenir. Une école qui donne plus d’autonomie aux équipes c’est aussi redonner de l’attractivité à ce métier qui peine à recruter.

On notera qu’avec habileté, le ministre ne parle pas de réforme, mais de refondation. Le problème avec le mot de réforme est qu’il sous entend implicitement qu’il faut tout changer et mettre «à la réforme» en quelque sorte. Et c’est souvent mal vécu par les enseignants qui vivent cela comme une remise en cause personnelle de leur propre travail.
Or, le changement de l’école est déjà à l’œuvre. Il est dans les initiatives et les pratiques innovantes des équipes qui se saisissent des dispositifs actuels et qu’il faut promouvoir et développer. Il est dans les pratiques, sinon dans les discours, d’un grand nombre d’enseignants. Même si ceux ci sont méfiants et un peu désabusés. La tâche essentielle est donc de redonner confiance aux enseignants. Confiance en la parole de l’État, confiance dans l’action collective et confiance en eux-mêmes, en leur expertise et leur capacité à apporter ensemble des solutions aux problèmes de l’école d’aujourd’hui. Des solutions qui ne sont sûrement pas dans la référence mythifiée à l’école d’hier.
Refondation n’est pas restauration…

Une collègue dans une discussion autour de la refondation disait qu’un des enjeux allait être de réenchanter l’école en faisant référence au climat désenchanté et désabusé qui y règne. Pour cela, il faut un projet fort et des personnels, des équipes qui mettent leurs expertises et de l’enthousiasme au service de ces valeurs. Sacré défi qui suppose en effet de «fatiguer le doute». Pour éviter de dire «encore une réforme qui ne servira à rien», la réponse appartient d’abord aux enseignants.
Sauront-ils se saisir collectivement de cette demande de changement ? Sauront-ils retrouver la motivation nécessaire pour (re)fonder une école démocratique qui mette au cœur de ses valeurs la lutte contre l’échec et les inégalités et la réussite de tous ? Parce que je suis un activiste pédagogique (je préfère ce mot à celui de militant), je crois comme le disaient Romain Rolland et Antonio Gramsci qu’on peut dépasser «le pessimisme de la raison avec l’optimisme de l’action».

Philippe Watrelot

Président du CRAP-Cahiers pédagogiques.