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Contourner le corps obstacle, oser le spectacle

« Tout ce que nous faisons est une danse structurale dans la chorégraphie de la coexistence »
H. R. Maturana et F. J. Varela[[Humberto R. Maturana et Francisco J. Varela, l’arbre de la connaissance, Addison-Wesley France, 1994.]]

Programmes et textes des examens témoignent de l’indécision du législateur quant aux activités reconnues comme APA et, parmi elles, celles qui peuvent être le support de la certification (voir encadré).

La fin du siècle dernier voit le métissage entre différents arts, l’emprunt de la danse contemporaine à d’autres pratiques (hip hop, escalade, cirque, etc.), l’évolution de certains cirques vers un art chorégraphique, le Cirque du Soleil et le Cirque Plume en sont les représentants les plus emblématiques. Les spectacles « grand public » comme l’ouverture des jeux d’Albertville par Philippe Decouflé, des championnats du monde de natation, par le Cirque du Soleil, la comédie musicale « Notre Dame de Paris » rendent compte de ces métissages. Les frontières entre domaines artistiques s’effacent en un contour élargi révélant les arts du spectacle vivant.
Soutenue en formation initiale et continue, donnant régulièrement lieu à publication, la danse contemporaine ne parvient guère à dépasser le cercle des initiés. En effet, à son abord, les élèves sont majoritairement saisis par le vertige de l’intime que leur corps résiste à révéler. Un appel exclusif au sensible engendre chez eux une réaction de défense, laquelle confine majoritairement au rejet lorsque s’ajoute, d’emblée, le mythe de l’injonction créatrice et/ou expressive. Tout comme le verbe aimer, créer ne se conjugue pas à l’impératif. S’éprouvant maladroit, plus que dans toute autre APSA[[Activité sportive, physique et artistique]], chacun, étranger à lui-même, se vit comme coupé de son appartenance identitaire et se détourne. En formation, les professeurs vivent des expériences similaires. En classe, leurs appréhensions se conjuguent aux gaucheries des élèves, d’autant que les contextes culturels, sociaux et familiaux, en parodiant Pierre Legendre[[Pierre Legendre, La passion d’être un autre, étude pour la danse, points, essais, Seuil Paris, 2000]], ont façonné les genres corps et âmes. A l’adolescence, l’expression du désir est expression corporelle par ses atours, permettant de se faire voir sans se sentir « à nu », par l’apparence socialement partagée, « au risque de la tyrannie »[[Dominique Pasquier, Cultures lycéennes, la tyrannie de la majorité, Autrement Paris, 2005]]. Dépassant les clivages entre garçons et filles, un obstacle culturel majeur est révélé : le corps obstacle !

Par le détour et le détournement

Comment aborder les APA ? Dire tout d’abord que l’EPS n’a pas pour fonction de produire des artistes, pas plus que des sportifs de haut niveau. Elle « tend vers » une formation physique artistique, par la grâce de révélateurs d’émotions renouvelant le désir des élèves et le leur : les professeurs et lorsque c’est possible, les artistes.
Une pédagogie du détour et du détournement des techniques usuelles et sportives nous paraît à même de lever les obstacles identifiés, pour un plaisir renouvelé d’enseigner.
Détour par des activités moins stigmatisées et « stigmatisantes » pour mieux révéler, à terme un art chorégraphique scolaire qui, loin de se réduire à de pâles imitations des œuvres s’en nourrirait en d’authentiques créations. Cette orientation a été engagée depuis quelques années par l’inspection pédagogique régionale d’Auvergne, relayée par l’IUFM. En avril 2005, trois journées de formation continue ont marqué les mémoires des 240 professeurs réunis à Vichy. Initialement dubitatifs voire réticents, certains, par les arts du cirque et un acrosport revisités ont donné le spectacle à leurs autres collègues. Ils en sont ressortis enthousiastes après avoir vécu un processus de création accompagné s’ancrant dans des motricités connues, celles de la gymnastique acrobatique et des arts du cirque, pour ne citer qu’elles. Un CD rom de ces journées, produit par l’IUFM, a été remis à chaque participant.

Détour par l’écoute des pairs, l’exploitation des solutions qu’ils offrent comme enrichissement réciproque.
Détour par un projet de spectacle qui irradie bien au-delà des cours d’EPS, interrogeant : durée des cycles, ventilation des heures d’enseignement, rapport à d’autres disciplines, fonction de l’association sportive, le tout par un engagement des différents acteurs dans et hors l’établissement.
Détournement[[Ce qualificatif prend une résonance particulière au moment du décès de A. P. Arman. Sa sculpture, basée sur l’empilement (pyramides…) et le détournement d’objets, est célébrée dans le monde entier]], par la fonction symbolique, du sens des activités sportives et des gestes convoqués, au service d’une intention créatrice.

Par la formation

« Les droits poétiques sont des droits à la vie, ni plus ni moins, le droit pour le corps de crier, de s’écrier, de s’écrire. »
P. Legendre[[ibidem]]

Dans une école cible de détracteurs qui trouvent en elle un bouc émissaire des problèmes de société, la fonction symbolique vaudra toujours mieux que les cocktails incendiaires, les bombes lacrymogènes et autres karchers. Faire accéder à une approche de l’art du mouvement par les APA, c’est engager les élèves, selon leur appartenance, à la dire et à s’en distancier. C’est ce cheminement qu’ont ouvert les arts et les artistes en portant un regard critique et précurseur des évolutions sociétales.
Pourtant, toute éducation, y compris par les APA, manie le paradoxe de la contrainte et de l’émancipation, les deux étant les faces de la même pièce de monnaie éducative. La « ruse pédagogique » a son entière place dans cette révélation de soi à soi et aux autres, dans ce rapport aux corps, dans une esthétique de l’exigence, dans une poétique enfin. Toute production artistique n’est pas l’émergence d’une seule expression spontanée, fut-elle corporelle, mais d’un travail au sens d’un accouchement. Géniteur et accoucheur, le professeur y joue un rôle essentiel en proposant des chemins qui peuvent être, comme dans Harry Potter, des chemins de traverse, la plus sûre manière de rater le but étant de prétendre l’atteindre directement.

Nous souhaitons que beaucoup d’enseignants fassent emprunter aux élèves ces chemins d’exigence et de liberté. Il en va d’un engagement, des élèves et de leurs professeurs, dans des projets dépassant largement le temps scolaire, dans le respect des genres et des différences, en une authentique coéducation. Alors partons des arts du cirque, des gymnastiques acrobatique, rythmique et artistique, du combat, pour ne citer qu’elles, pour mieux (re) trouver la danse contemporaine. Une invitation à « danser avec les arts »[[Tizou Perez, Annie Thomas, Danser les arts, à travers champs, CNDP des pays de la Loire Nantes, 2000.]], les œuvres et les artistes.

Bernard Boda, IA IPR EPS, Académie de Paris.

Quelles activités artistiques dans les programmes ?
Les programmes du collège identifient le groupe des APA. Ceux des lycées retiennent parmi les compétences attendues : « concevoir et réaliser des actions à visée artistique ou esthétique » et comme activité « la danse », en seconde. Cette dernière est rejointe par le cirque au cycle terminal. Pour les baccalauréats, à l’appellation « chorégraphie individuelle ou collective » de l’annexe 1 de la note de service du 12-06-2002, se substitue, dans 1’annexe 2, celle de « danse, chorégraphie individuelle ou collective ». Enfin un correctif, annoncé dans la note de service du 15-07-2004, classe parmi les APA « les arts du cirque » et « chorégraphie collective ». Ces textes, de plus en plus colorés par la danse et plus précisément la danse contemporaine ne la retiennent pas expressément pour la validation au baccalauréat. Cependant, pour les CAP et BEP revient l’épreuve spécifiée « danse, chorégraphie collective. » Quels que soient les lycées, l’acrosport et la gymnastique appartiennent, en tant qu’« activités gymniques », aux « activités à visée artistique ou esthétique. »