Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Construire son autorité par l’analyse de pratiques

« Monsieur, vous vous habillez chez Emmaüs ? » Cette phrase d’accueil laconique a été restituée par un professeur stagiaire, un peu déstabilisé, dans le cadre du module « Construire son autorité par l’analyse de sa pratique ».
Depuis 1995, l’IUFM de Bourgogne a mis en place une formation à l’analyse de pratiques à destination des stagiaires de deuxième année (PLC2) ouverte aussi bien aux enseignants, qu’aux conseillers principaux d’éducation (CPE) et documentalistes. Cette formation transversale est de deux jours continus au premier trimestre et suivie d’une journée optionnelle le trimestre suivant. L’évolution des missions assignées au système éducatif, l’arrivée d’un public d’élèves en collège et en lycée aux comportements nouveaux, la mise en place de nouveaux enseignements (ECJS) ou de dispositifs pédagogiques innovants (IDD, TPE), les attentes des familles et de la société par rapport à l’école ont considérablement modifié le métier d’enseignant et d’éducateur. Nous appuyant sur ces constats et sur le fait que les jeunes enseignants eux-mêmes ne reconnaissaient plus le métier qu’ils avaient choisi, nous avons souhaité mettre en place un dispositif d’aide à la construction de l’identité professionnelle à partir d’un développement réflexif centré sur la notion d’autorité et la gestion des groupes. Les objectifs de cette formation sont de trois ordres.

Tout d’abord de permettre aux enseignants de réfléchir à la notion même d’autorité et à ce qu’elle engage de leur part, à titre individuel et professionnel. D’autre part, de repérer les différents niveaux sur lesquels elle s’appuie : autorité de statut, autorité de compétence, autorité de sanction. Ensuite, nous conduisons les stagiaires à prendre du recul et à distinguer les actes professionnels qui entrent en jeu dans la mise en place et la permanence de cette relation d’autorité ; d’en dégager ensuite les éléments qui s’y réfèrent, les points d’appui ou les obstacles. Nous allons ainsi prendre en compte non seulement l’enseignant, le CPE ou le documentaliste mais aussi le système dans lequel il exerce et qui crée les interactions qui y sont liées (politique d’établissement, environnement, public d’élèves, partenariat…). Il existe de nombreuses méthodes et outils d’analyse de pratiques, nous avons fait le choix de la verbalisation orale avec des techniques de questionnement ou « d’aide à l’explicitation de l’action » [[Vermersch Pierre, L’entretien d’explicitation, Paris, ESF, 1996.]] (cf. Pierre Vermersch), d’analyse d’études de cas vécus, de passage par des supports tels que le photolangage [[De Peretti André, Techniques pour communiquer, Hachette Éducation, 1994.]] ou la projection de film ou la mise en jeu par des simulations qui permettent au stagiaire par un questionnement de prendre de la distance et d’analyser ce qui est intervenu dans la gestion et la prise de ses décisions.

La prise de conscience

Il s’agit tout d’abord pour des jeunes gens, encore étudiants à l’université quelques mois auparavant, de prendre le temps de réfléchir à ce qu’est pour eux la notion d’autorité, les valeurs sur lesquelles elle s’appuie, ses composantes, ses effets, ses limites et aussi la subjectivité qui s’y rattache. Notre dispositif, à l’aide d’un photolangage, vise à faire verbaliser les représentations, positives ou non, qui ont été construites au fil du temps et où l’expérience scolaire est souvent sollicitée. « J’ai comme on dit une autorité naturelle et ne suis pas trop autoritaire », nous affirme une jeune enseignante de musique ne sachant trop sur quoi repose le modus vivendi qui existe dans ses cours. Elle jongle comme beaucoup de ses collègues entre l’usage indifférencié du terme autorité et autoritarisme sur lesquels nous reviendront régulièrement pendant le module.

Cette démarche engage la personne entière et pas seulement l’enseignant. Devenus en quelques jours, dans le regard de leurs élèves des adultes référents, garants de leur dignité et de leur apprentissage, ces jeunes stagiaires n’ont pas toujours eu le temps de cette prise de recul et sont quelquefois étonnés de la place que leur accordent les élèves. Cette démarche de réflexion plus personnelle nous permet d’enchaîner sur-le-champ professionnel et à l’aide d’un questionnement (de type Philipps 6X6), les éléments qui fondent l’autorité du métier d’enseignant et d’éducateur sont abordés. Réduisant à nouveau le champ de la réflexion, nous amenons les enseignants à repérer à travers leur pratique, les éléments limitant cette autorité et ceux au contraire qui la facilitent. C’est un moment très dense d’écoute et de partage d’expériences où tout le groupe s’investit. Premier temps d’une prise de recul sur son propre fonctionnement et découverte également de points communs d’appui ou de difficultés avec d’autres collègues. Notre démarche est donc une démarche de groupe. Le panorama qui est ensuite dressé permet de croiser des éléments très différents. Les stagiaires insistent d’entrée de jeu, sur les qualités relationnelles et les valeurs sur lesquelles repose le métier d’enseignant en mettant en avant « le charisme », « la nécessité d’une constance de comportement », « l’intérêt porté aux élèves », « la capacité d’écoute », « l’équité », mais aussi « l’apparence ». L’autorité liée au statut n’est pas suffisante. Viennent ensuite tous les éléments qui renvoient à la compétence scientifique, didactique et pédagogique de chaque discipline ainsi qu’à son organisation propre : « savoir adapté », « travaux de groupes appropriés », « des consignes claires », « organisation irréprochable », « variété des supports », « gestion du temps ». Tous ces points sont relayés en formation disciplinaire. Enfin, les stagiaires mettent en évidence leur rôle d’éducateur quelles que soient leur fonction et leur discipline en insistant sur la capacité à « poser un cadre et le respecter », à « sanctionner » mais aussi à « encourager et envoyer des signes de reconnaissance aux élèves ». Sont ainsi évoquées les questions d’évaluation, de punition et de sanction et de récompense. La relation aux élèves est une démarche permanente qui se construit mais aussi peut se « déconstruire » très vite.

Une socialisation des problèmes posés

Le groupe est pour nous un élément d’appui très important. C’est pourquoi sa composition souhaitée est de préférence inter-catégorielle (enseignants, CPE et documentalistes) afin de multiplier les situations et les points de vue. Par ailleurs, pour que les échanges soient possibles et riches, le nombre de participants doit être compris entre 15 et 20 personnes, au delà, l’expression de chacun est difficile et ne permet pas de prendre en compte ceux qui ont besoin de temps et d’attention vigilante avant de se lancer en confiance dans un récit. Nous souhaitons également une représentation large des disciplines d’enseignement de collège et de lycée ce qui permet d’enrichir les apports et les points d’identification malgré les différences de types d’apprentissages. Dans l’esprit des GAP (Groupe d’Approfondissement professionnel) des groupes Balint [[De Peretti André, « Le GAP : Groupe d’Approfondissement Professionnel », in Outils d’évaluation formative, 1997.]] mais avec une adaptation appropriée, nous mettons en place des espaces d’expression où un stagiaire expose une situation vécue, résolue ou non. Il accède à cette « histoire » vécue de manière évocative. Après avoir contextualisé et détaillé le problème, ses collègues le questionnent afin de mieux connaître les composantes du cas. La recherche mutuelle de solutions, de pistes de travail permet une ré- appropriation par le groupe d’un cas isolé. On note une très grande écoute lors de ces moments, témoin d’un partage et d’une aide à la meilleure compréhension d’une expérience vécue. Il s’agit bien là d’un moyen de mettre en mots des actes ou des actions souvent accomplis dans l’urgence. Le groupe est un élément de médiation qui fournit une analyse compréhensive de la pratique exposée mais il est également le lieu d’une capitalisation de ressources.

Donner des repères

Notre objectif est également de donner des repères et d’apporter des connaissances en rapport avec le thème ou le problème posés. Les explicitations d’une situation sont multiples. Dans les cas traités, le stagiaire est conduit dans une démarche systémique à s’interroger sur les niveaux qui entrent en jeu et à les dégager ; nous utilisons pour cela une grille de lecture [[Maurice Lamy, rectorat de Poitiers.]] qui regroupe cinq points de repères différents :
– Le repère pédagogique
– Le repère didactique
– Le repère institutionnel
– Le repère psychologique
– Le repère sociologique
– Le repère éducatif

Ce décryptage permet de situer d’une part le niveau d’incidence et donc d’autre part de réfléchir aux réponses possibles. Dans de nombreux cas, les enseignants découvrent ainsi que seuls, ils ne pourront traiter la situation ou éviter qu’elle ne se reproduise. Ce processus met en évidence avec force la nécessité d’un travail en équipe (cohérence des attitudes autour d’un élève ou d’une classe), d’une meilleure connaissance des rouages d’un établissement afin d’en cerner les règles et habitudes mais aussi des personnes ressources et des partenaires habilités. « Je n’ai pas encore les informations mais je sais maintenant qu’il faut que j’aille les chercher ».

Une démarche accompagnée

Ce travail est d’abord une démarche d’accompagnement qui demande au formateur de mettre en retrait sa pratique modélisante d’enseignant, de chef d’établissement ou de CPE, catégories professionnelles des formateurs du module. Si l’intérêt est de ne pas dire à la place de l’autre, nous avons choisi de croiser ces fonctions afin d’apporter des sensibilités, des points de vue professionnels différents et complémentaires sachant que les explications d’une situation peuvent être multiples. C’est ainsi que chaque groupe dans la mesure du possible est co-animé par un enseignant et un membre de la vie scolaire. Par ailleurs, outre le fonctionnement méthodologique rigoureux, un cadre déontologique doit permettre la mise en sécurité des stagiaires par un respect des personnes et une confidentialité assurée. Confiance et respect entre stagiaires et formateurs et stagiaires eux-mêmes demandent du temps pour s’installer ; c’est pourquoi un minimum de deux jours consécutifs est nécessaire afin « favoriser la mise en mots et déployer librement la parole » [[Pierre Vermersch.]]. Des règles de questionnement, d’écoute ont été mises en place afin de favoriser l’expression des stagiaires sur des situations qu’ils n’ont souvent évoquées dans leur établissement ni avec leur conseiller pédagogique ni avec leur responsable de formation disciplinaire à l’IUFM. Nous fonctionnons par hypothèses et conduisons l’enseignant à l’élaboration de ses propres solutions.. Nous reprenons à notre compte la phrase de Bachelard qui affirmait qu’il n’y a de conseil utile que celui que l’on se donne.

Un tel travail en deuxième année d’IUFM est une nécessité. Celle de la prise de conscience qu’il sera nécessaire tout au long de son parcours professionnel afin de s’adapter aux différentes situations rencontrées. « Ce module a placé l’autorité comme une nécessité du métier ». Mais c’est aussi, pour les stagiaires, le premier moment de prise de recul avec leur propre fonctionnement et donc souvent celui d’une dédramatisation. « Ces deux jours ont été pour moi déculpabilisants ». Il reste bien sûr, le moment du constat d’un long travail à poursuivre mais avec quelque fois des conclusions surprenantes : « je viens de comprendre que la relation professeur/élève se situe dans un rapport humain ».

Lydie Pfander-Meny, IUFM de Bourgogne
Lydie.pfander@u-bourgogne.fr