Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Compléments à l’article « Une question de focale », de Daniel Gaonac’h

Document 1 – Connaissance sans mise en œuvre

Annette Dufresne et Akira Kobasigawa ont fait apprendre à des enfants âgés de 6 à 12 ans l’association entre des mots présentés par paires, certaines de ces paires pouvant être considérées comme faciles (chien-chat, par exemple), d’autres comme difficiles (habit-maison, par exemple). Ils présentent au préalable l’ensemble de ces paires, demandent à chaque enfant de dire, pour chaque paire, s’il la considère comme facile ou difficile, et montrent ainsi que, dès 6-8 ans, les enfants peuvent émettre des jugements de difficulté pertinents. L’apprentissage est ensuite réalisé par chaque enfant en temps libre : l’enfant déclenche librement l’affichage des paires successives. Les auteurs montrent que le temps d’affichage de chaque paire est lié à son degré de difficulté subjectif, mais uniquement pour les plus âgés (10-12 ans) : cette propriété n’a aucune conséquence sur la durée d’affichage pour les plus jeunes.

Annette Dufresne, Akira Kobasigawa, « Children’s spontaneous allocation of study time: Differential and sufficient aspects », Journal of Experimental Child Psychology, 47, 1989.

Et pour une brève synthèse, voir Michel Fayol et Daniel Gaonac’h, « Le développement de la mémoire », dans Agnès Blaye, Patrick Lemaire
(éds.), Psychologie du développement cognitif de l’enfant, De Boeck, 2007.

Document 2 – Mise en œuvre sans connaissance

DeLoache, Cassidy et Brown ont observé les stratégies de mémorisation chez des enfants de 18 mois à 2 ans. Ils cachaient un jouet sous un objet, en présence de l’enfant, et demandaient à celui-ci de bien se souvenir de l’endroit où l’objet avait été caché : il devait désigner cet endroit, après avoir mené pendant quelques minutes une autre activité. On observe alors chez beaucoup d’enfants, avant et pendant cette tâche intermédiaire, des comportements de pointage de l’endroit concerné, ou de répétition du nom de l’objet caché et du nom de l’endroit correspondant. De plus, ces auteurs montraient que ces comportements étaient plus fréquents lorsque l’expérience se déroulait dans une situation inhabituelle : le laboratoire de recherche, aménagé avec des meubles et des objets courants, au lieu du domicile de l’enfant, ce qui indique que la mise en œuvre de telles stratégies de mémorisation peut être sensible aux contraintes de la situation.

Markus Paulus, Joëlle Proust et Beate Sodian ont exploité la possibilité de recueillir en temps réel des indices susceptibles d’être interprétés comme des traces d’une régulation des apprentissages. Ils ont fait apprendre par des enfants de 3 ans et demi des paires d’images associées. Un test de reconnaissance (on présente une image et l’enfant doit choisir, parmi plusieurs autres, laquelle était associée à la première) permet de séparer les paires correctement mémorisées (R+) ou non (R-).

Dans chaque cas, on demande à l’enfant d’estimer dans quelle mesure il a confiance dans sa réponse : on constate que ces jugements ne font apparaitre aucune différence entre les paires R+ et les paires R-, ce qui peut donc laisser supposer l’absence d’un « sentiment de savoir » relevant d’une compétence métacognitive. Cependant, deux indices comportementaux recueillis pendant le test de reconnaissance peuvent constituer des traces implicites d’un tel sentiment : lorsque la réponse donnée est correcte (R+), on note en effet un allongement de la durée des fixations du regard sur les valeurs élevées de l’échelle de confiance, ainsi qu’une augmentation de la dilatation pupillaire durant la phase de test. Les auteurs interprètent ces données en considérant que ces jeunes enfants disposent de « connaissances » métacognitive implicites, qui peuvent se traduire dans des comportements avant qu’elles ne soient susceptibles de se traduire de manière explicite, à travers une verbalisation.

Judy DeLoache, Deborah Cassidy, Ann Brown, « Precursors of mnemonic strategies in very young children’s memory », Child Development, 56, 1985.

Markus Paulus, Joëlle Proust, Beate Sodian, « Examining implicit metacognition in 3.5-year-old children: An eye-tracking and pupillometric study », Frontiers in Psychology, 4, 2013.

Document 3 – Du dauphin au rat : la métacognition chez l’animal

On dispose de recherches qui analysent des traces de métacognition chez plusieurs espèces animales (dauphins, singes, pigeons), par exemple en réaction à des situations d’incertitude. Une situation simple pour étudier ces traces utilise des temps de réaction de choix (appuyer sur un bouton ou sur un autre, en fonction de la nature d’un signal lumineux) : lorsque se produit une erreur, la réponse à l’essai qui suit cette erreur est plus lente, et souvent aussi moins susceptible de provoquer une nouvelle erreur. Il a été montré que ce phénomène est associé à une activité accrue dans les zones corticales impliquées dans le contrôle cognitif (Claudia Danielmeier et Markus Ullsperger).

Nandakumar Narayanan et ses collègues ont montré la présence de ce phénomène chez le rat dans une situation un peu plus complexe. Il s’agit d’un conditionnement classique, mais suffisamment complexe pour qu’il ne soit réussi que dans une proportion relative (40 %) : l’animal doit appuyer sur une pédale à l’apparition d’un signal visuel (une croix), et ne la relâcher qu’à la suite d’un délai de 1 000 msec (milliseconde), et dans les 600 msec suivant ce délai (l’entrainement est réalisé en faisant entendre, à certains essais, un bip sonore à l’issue du délai de 1 000 msec). Chaque réponse correcte lui permet de s’abreuver. Lorsque, à un essai donné, le rat se comporte de manière erronée (il relâche la pédale trop tôt ou trop tard), on observe que la réponse, même réalisée dans un délai conforme, est ralentie à l’essai suivant par rapport aux essais qui succèdent à un essai réussi. De plus, on observe en ce cas un accroissement de l’activité corticale préfrontale, évaluée grâce à des microélectrodes implantées. Les auteurs considèrent ainsi qu’à la suite d’une réponse erronée, un mécanisme de contrôle cognitif se trouve renforcé, qui se traduit par une activité frontale plus intense et un ralentissement de la réponse.

L’étude de Narayanan et ses collègues montre un profil de résultats identique chez l’humain, à travers une tâche très proche mais un peu plus complexe : le délai est porté à 1 400 msec (pour éviter la référence à un décompte des secondes), mais les sujets arrivent néanmoins à un taux d’erreur de 5 % seulement (donc bien mieux que les rats !). L’activité préfrontale, mesurée à l’aide d’un dispositif EEG (électroencéphalogramme), est également plus forte à l’essai qui suit une réponse erronée.

La présence de comportements qu’on peut interpréter en invoquant des mécanismes de régulation cognitive, y compris chez le rat, conduit à mettre l’accent sur la présence, chez l’humain, de mécanismes de régulation qui peuvent être considérés comme indépendants de connaissances explicites, ou même explicitables : cela n’exclut en rien, chez l’humain, l’effet potentiel de connaissances explicites, mais amène à s’interroger sur l’articulation entre ces deux types de processus, implicites et explicites.

Claudia Danielmeier, Markus Ullsperger, « Post-error adjustments », Frontiers in Psychology, 2, 2011.

Nandakumar S. Narayanan, James F. Cavanagh, Michael J. Frank, Mark Laubach, « Common medial frontal mechanisms of adaptive control in humans and rodents », Nature Neuroscience, 16, 1888-1895, 2013.

Document 4 – La distinction entre déclaratif et procédural en psychologie cognitive

Les connaissances déclaratives sont des connaissances explicites : elles s’actualisent dans le langage naturel ou sous forme d’images mentales. Elles peuvent constituer des connaissances générales (mémoire sémantique) ou spécifiques à une situation particulière (mémoire épisodique). Elles peuvent être acquises à travers une explication verbale, et peuvent être utilisées pour la mise en œuvre d’une activité (cognitive ou physique). Mais cette utilisation est couteuse, car les connaissances ainsi constituées nécessitent pour être mises en œuvre une traduction pas à pas, qui peut cependant être automatisée à travers un entrainement : c’est ce qu’on appelle la « procéduralisation des connaissances déclaratives ».

Les connaissances procédurales constituent en quelque sorte une « mémoire-action » : il s’agit notamment de savoir-faire, qui n’ont nullement besoin d’être verbalisés pour être mis en œuvre. Les connaissances procédurales sont acquises à travers des apprentissages qui ne requièrent pas de la part de l’apprenant une référence à des connaissances verbalisables : on parle alors d’« apprentissages implicites ». Rien n’empêche cependant qu’elles puissent être, au moins partiellement, explicitées : la question est alors de déterminer dans quelle mesure cette explicitation peut en améliorer la mise en œuvre.

Document 5 – Les tâches réalisées par les élèves dans la recherche de Veenman et Spaans

Pour les mathématiques, il s’agit de six problèmes verbaux impliquant des durées, des distances, des fractions, des surfaces et des volumes. Durant leur résolution, on relève systématiquement la présence de comportements constituant des traces d’une activité métacognitive : lecture de l’ensemble du problème ; sélection de l’information pertinente ; reformulation des questions ; élaboration d’un schéma ; élaboration d’un plan avant de se lancer dans les calculs ; prise de notes du résultat des étapes, etc.

Pour la biologie, il s’agit de l’apprentissage d’une leçon de biologie sur la croissance des plantes, présentée sous forme d’expériences virtuelles issues des données fournies par une application informatique : l’élève doit déterminer les facteurs qui agissent sur la croissance des plantes (effet de l’arrosage, de l’usage d’insecticides, de l’emplacement, etc.). Les stratégies utilisées par chaque élève sont analysées à travers le recueil informatisé de ses actions successives.

M. V. J. Veenman, et M.A. Spaans, « Relation between Intellectual and Metacognitive Skills: Age and Task Differences », Learning and Individual Differences, 15, 2005.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1041608004000585?via%3Dihub

Daniel Gaonac’h
Professeur émérite, CeRCA, université de Poitiers, CNRS UMR 7295