Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

Le livre du mois du n°516 – Comment refonder l’école primaire

Michel Develay m’était connu jusque-là comme un grand spécialiste de la didactique. Son grand ouvrage De l’apprentissage à l’enseignement (ESF éditeur, 1992) m’avait d’abord surpris sur cette orientation, puis m’avait convaincu sur la précision des concepts didactiques.

Ce qu’il nous apporte aujourd’hui avec ce tout nouveau livre est surprenant, tentant de répondre à la question suivante : la priorité de l’école est-elle d’instruire les élèves ou de les socialiser pour mieux apprendre ?

La réponse apportée par Michel ­Develay est à la fois originale et pertinente : si l’école est bien la seule institution capable de faire advenir l’humanité dans l’homme, elle est un espace d’éducation par l’instruction. La transmission des savoirs a une autre fonction que leur seule appropriation par les élèves. Elle est aussi au service de l’apprentissage de la civilité et de la citoyenneté. Ainsi, instruire et socialiser iraient de pair, l’action de l’un de ces verbes ne trouvant sens que dans la présence de l’autre. « L’école est davantage qu’un lieu d’instruction et d’éducation, c’est un lieu d’éducation par l’instruction. » (p. 194) Une dialectique imparable !

La visée de cet ouvrage est la présentation de repères pour penser l’actuelle refondation de l’école. Ces propositions sont nombreuses, précises et très pertinentes, mais n’attendez pas de moi ici que je vous les livre. De la frustration nait le désir… de lire ! (teaser) En revanche, il m’est possible de témoigner de tout ce qui précède, à savoir un balayage quasi exhaustif des problématiques éducatives en matière d’enseignement.

Aux enseignants, il accorde une nouvelle fonction : celle de « jardiner en intelligence humaine » (p. 59) pour que les élèves les plus fragiles puissent bénéficier par son intermédiaire des codes scolaires si utiles pour profiter de l’école. Il ne s’agit de rien d’autre que d’une invitation à la prise en compte du concept de secondarisation. (p. 104)

Aux parents, il demande à qui appartiennent les élèves : aux familles ou à l’école ? En fait, d’abord à eux-mêmes. Les enfants n’existent pas pour devenir des agents de liaison entre les parents, pour donner du sens à leur existence. (p. 197)

Aux formateurs d’enseignants, il invite à l’isomorphisme : faire en sorte que les méthodes de formation utilisées constituent, en plus que des vecteurs de transmission de savoirs professionnels, des expériences authentiques des approches pédagogiques et didactiques attendues. En somme, permettre aux étudiants et stagiaires d’éprouver personnellement par le vécu de la formation ce qu’ils pourront ensuite transférer avec leurs élèves. Michel Develay va même plus loin en valorisant une matrice globale d’ingénierie de la formation : « La transformation des pratiques advient en trois modes d’actions complémentaires : agir sur les représentations des personnes en formation, leur montrer des pratiques alternatives et théoriser des pratiques. » (p. 118)

Cet ouvrage enrichit les réflexions dans bien d’autres domaines : l’évaluation des élèves, celle des enseignants, les pédagogies, les didactiques, l’usage du numérique avec des élèves, le pilotage du système éducatif, etc. Mais je me garde bien d’en écrire davantage.

Laissons place plutôt aux réponses que Michel Develay a bien voulu apporter à nos questions.

Sylvain Connac


michel-develay.jpg
Quelles seraient les premières mesures que vous prendriez si vous deveniez ministre de l’Éducation nationale ?
Pour accepter d’être ministre de l’Éducation nationale, il faut être inconscient (considérant les oppositions de tous bords qui refusent toute évolution), ou être un bon soldat (pour appliquer la politique d’un autre), ou être kamikaze, ou… Serais-je de cette dernière catégorie en suggérant d’intervenir simultanément sur la pédagogie, la gouvernance et la formation ? En pédagogie, je conseillerais d’interroger le comment aider les élèves à trouver du sens dans les activités scolaires et le comment les aider à transférer leurs acquis dans des situations variées. Concernant la gouvernance, je chercherais à installer un pilotage régional en conservant le caractère national des examens, et à transformer les établissements en organisations apprenantes. En formation, il s’agirait de penser une ingénierie formative analogue pour les formés à celle qu’on souhaiterait qu’ils développent dans leurs classes. Traversant ces trois domaines, un impératif catégorique au sens kantien : responsabiliser dans un esprit collaboratif.

Vous semblez déconseiller la différenciation pour les entrants dans le métier (p. 220) tout en reconnaissant son importance (p. 226). Que proposez-vous pour composer avec l’hétérogénéité des élèves ?
Si je ne me suis pas étendu sur la problématique de l’hétérogénéité, ce n’est pas par désintérêt, mais parce que je pense que beaucoup, sinon tout, a été écrit sur le comment elle pouvait s’incarner dans des pédagogies à dominante collective (en prenant en compte les représentations des élèves), ou à dominante plus individualisée, dans des modes d’organisation de la classe tel le système des ceintures, et encore comment elle pouvait, en formation, donner lieu à des pratiques différenciatrices.

Concernant le numérique, le format de l’école conventionnelle risque de devenir rapidement caduc dans le rapport au savoir qu’elle offre aux élèves. Que pensez-vous des pratiques de classe inversée ?
Il convient, comme vous le suggérez, d’attribuer au numérique toute l’attention nécessaire, car son usage conduit à développer des modalités d’apprentissage nouvelles telles les pédagogies inversées. Il conviendrait à ce propos d’approfondir les différences entre ces dernières et les pédagogies du type investigation-structuration, telles que les didactiques des disciplines ont pu les détailler avec ou sans usage du numérique, en insistant sur la problématique du transfert.

Vous semblez attribuer du crédit aux pratiques d’aide personnalisée (p. 219). Que dire des risques inhérents à ce type de démarche (développement du sentiment d’incompétence, stigmatisation sociale) ?
Je ne suis pas certain, quand les élèves prennent conscience de l’intérêt qu’ils peuvent y trouver, que les temps hors de la classe les stigmatisent. Il suffit qu’ils soient invités par le maitre de leur classe, en présence de l’aide extérieure qui les accompagne, à expliquer le pourquoi et le comment de ce qui se passe dans ces temps individualisés pour que le non-dit jusqu’alors devienne bénéfique à tous les élèves.

En fin de livre, vous présentez finement une organisation rénovée de l’école fondamentale. Mais il n’est plus question d’inspecteurs et d’inspection. Quid de l’évaluation professionnelle des enseignants ?
Dans le système actuel, c’est l’extériorité par rapport à un contexte qui est gage d’objectivité (c’est le cas de l’inspection). Il y a une autre manière de penser l’objectivité comme advenant de l’intériorité dans un contexte et s’accompagnant d’une solidarité critique. C’est ce qui se passerait au sein d’un établissement au projet partagé s’il existait des pratiques d’intervision et d’autoévaluation, chaque maitre se sentant responsable de ce qui se passe dans la classe qui le précède ou lui succède.