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Comment former à l’enseignement des mathématiques en ZEP ? – L’accompagnement des nouveaux titulaires

Nous avons observé pendant plusieurs années consécutives les pratiques effectives de dix professeurs des écoles enseignant les mathématiques dans des écoles de ZEP scolarisant des élèves issus de milieux socialement très défavorisés. Nous inspirant, en l’adaptant à notre objet d’étude, de la notion de genre[[Notion élaborée par Yves Clot, voir bibliographie.]] , nous avons élaboré trois catégories de pratiques que nous avons appelées (instruction)-genres. Pour les construire nous avons pris en compte les dimensions cognitive, médiative, personnelle, institutionnelle et sociale du métier de professeur des écoles.

Un des trois i-genres est très majoritaire ; il regroupe en effet sept des dix professeurs observés (deux débutants et cinq confirmés). Il se caractérise par des scénarios d’enseignement faisant une part importante à la présentation collective des activités ; par des phases de recherche individuelle très courtes, voire inexistantes ; par une individualisation très forte des parcours cognitifs et des aides apportées par le professeur. Cette individualisation systématique des activités proposées comme du traitement des comportements se traduit par des activités algorithmisées, parcellisées, par un découpage des tâches en tâches élémentaires et s’accompagne au quotidien d’un abaissement des exigences de la part du maître. Les phases de synthèse, de bilan et d’institutionnalisation sont quasi inexistantes.

Un deuxième i-genre regroupant deux enseignants est proche du précédent, mais s’en distingue notamment sur les présentations collectives des activités qui sont quasi absentes.

Un troisième i-genre, très minoritaire (un professeur sur les dix observés) se distingue des deux autres par des scénarios basés sur des problèmes engageant les élèves dans une réelle recherche et comportant quasi systématiquement des phases de synthèse, de bilan et des institutionnalisations locales ou plus générales. Les apprentissages comme les comportements sont traités collectivement.

Gestes et routines associés

La cohérence des pratiques s’observe aussi bien dans les choix généraux effectués par le professeur que dans l’exercice quotidien de son métier. Elle se construit sur des représentations très générales sur les élèves de ZEP et sur l’enseignement des mathématiques mais aussi sur des choix plus contextualisés liés à la gestion quotidienne de la classe : itinéraires cognitifs proposés aux élèves, élaboration des scénarios, types d’aides apportées, etc.

Pour décrire et comprendre comment un i-genre se révèle dans l’activité du professeur, nous nous sommes intéressés aux gestes professionnels mobilisés[[Butlen D (2004). In Peltier M-L (Ed) Dur, dur,dur d’enseigner en ZEP, Grenoble, La Pensée Sauvage]] au cours de la mise en acte du projet d’enseignement.

Ces gestes sont en partie implicites et automatisés et se construisent avec l’expérience professionnelle. Leur maîtrise permet à un enseignant donné de mettre en actes en temps réel son projet, notamment d’interagir avec ses « vrais » élèves, d’adapter plus ou moins consciemment ses préparations en fonction de la conjoncture, de prendre des décisions… Ils permettent aux professeurs de gérer une classe de situations, d’adapter leurs réponses à des changements de surface. Les gestes permettent de décrire des régularités intrapersonnelles mais ils rendent également compte de régularités interpersonnelles. Ils sont en effet partagés par les membres d’un même i-genre. Pour être efficaces, ils doivent posséder un certain degré d’adaptation à des conditions locales, non déterminantes pour le fonctionnement du professeur et des élèves. Chaque individu se les approprie et les mobilise dans l’action en fonction de son histoire personnelle, de son expérience professionnelle et de ses propres représentations. Ils interviennent notamment dans la réalisation des processus de dévolution, de régulation et d’institutionnalisation[[Processus d’institutionnalisation : processus selon lequel les connaissances mathématiques abordées prennent un statut reconnu de savoir mathématique (Brousseau, 1986)
Processus de dévolution : processus selon lequel l’enseignant fait accepter à l’élève la responsabilité d’une situation d’apprentissage et accepte lui-même les conséquences de ce transfert. Brousseau G (1986)]].

Ces gestes ne sont pas indépendants les uns des autres, ils s’organisent et s’articulent entre eux. Ils déterminent alors des stratégies conformes à la logique du genre : des pratiques différentes correspondent à des gestes et des routines différents.

Questions de formation

Les résultats que nous venons de rappeler brièvement ont trait aux pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathématiques dans des écoles signalées comme très difficiles, se caractérisant par public socialement très défavorisé, par des élèves pouvant se révéler très violents ou au contraire très inhibés, par des difficultés d’apprentissage souvent très importantes et par des équipes d’enseignants peu stables. Notre recherche ne prétend donc pas caractériser l’enseignement des mathématiques en ZEP et a fortiori dans les classes en général. Ces travaux révèlent toutefois les grandes difficultés rencontrées par les professeurs affectés dans ces écoles.
Les analyses que nous avons menées mettent en évidence des manques importants en formation initiale. Celle-ci ne semble pas les préparer à enseigner dans ces classes. Plusieurs éléments peuvent expliquer ce constat.

La formation initiale, certainement par manque de temps, est essentiellement centrée sur l’enseignement des mathématiques à des élèves de « classes standard » ; elle n’aborde que très partiellement l’enseignement en ZEP. Les exemples de scénarios, de situations ou de programmations qui sont proposées à l’IUFM sont souvent inspirés de recherches ou d’innovations qui ont été testées dans des classes ordinaires, voire expérimentales ; la question de leur adaptation à un public de ZEP est le plus souvent laissée à la charge du professeur. Quand les spécificités de l’enseignement en ZEP sont abordées, elles ne sont pas toujours bien comprises par les professeurs stagiaires, faute d’expérience.

La formation initiale semble souffrir d’un paradoxe difficile à surmonter : reproche lui est fait de ne pas assez préparer les futurs professeurs des écoles à enseigner en milieu difficile. Mais, quand elle essaie de combler ces manques, les contenus développés ne semblent pas facilement accessibles à des professeurs novices. Il nous semble donc que cette formation spécifique ne prendra tout son sens que lors d’un accompagnement dans les premières années d’exercice en ZEP.

Nous avons constaté que les pratiques des professeurs débutants en ZEP ressemblaient très rapidement aux pratiques de leurs aînés, comme si les contraintes auxquelles sont assujettis tous les professeurs enseignants en ZEP uniformisaient leurs pratiques dans les toutes premières années d’exercice du métier, voire dans les premiers mois, en réduisant les marges de manœuvre et donc les possibilités de réponses individuelles. Toutefois, les pratiques des professeurs débutants n’étant pas encore stabilisées, nous faisons l’hypothèse qu’il sera plus aisé d’intervenir sur elles pour les enrichir. Il s’agit pour nous d’élargir le champ des possibles, de diversifier les modalités d’investissement des marges de manœuvre qui restent à l’enseignant. En présentant la diversité des stratégies d’enseignement possibles, en précisant les différents types d’activités à proposer aux élèves, on peut aider à enrichir les contenus mathématiques abordés. Cela devrait amener le professeur des écoles à adapter des situations d’apprentissage (trop souvent construites pour un public élève standard) à l’enseignement en ZEP, en prenant en compte les difficultés spécifiques de ce public tout en assurant les apprentissages visés par la scolarité obligatoire.

L’état des recherches sur l’enseignement des mathématiques en ZEP ne permet pas actuellement de dire les « bonnes pratiques », mais permet de signaler des dérives : algorithmisation trop grande des tâches, individualisation non contrôlée, défaut de savoirs institutionnalisés lors de moments collectifs, quasi-disparition des phases de synthèse collective, etc. Ces dérives pourraient contribuer à aggraver les différences existantes entre élèves issus de divers milieux socioculturels.

Entrer en résonance avec les conceptions des professeurs débutants

Il est indispensable de prendre en compte la logique des pratiques effectives de chaque enseignant pour pouvoir intervenir sur ces pratiques. En particulier, nous retenons l’idée que pour avoir un effet, une formation doit rencontrer la logique de fonctionnement du professeur formé ou bien répondre à des préoccupations personnelles et professionnelles. Ainsi, nous nous proposons de construire des situations de formation qui permettront d’entrer en résonance, même de manière limitée, avec les représentations des formés sur les mathématiques, leur enseignement et le public auquel ils s’adressent.

Il nous paraît indispensable dans ce but de montrer la diversité des réponses apportées par les enseignants (y compris débutants) aux contraintes auxquelles les professeurs des écoles sont soumis ; notamment en comparant les stratégies d’enseignement liées aux différents i-genres et leurs effets, et en précisant les gestes et routines professionnels associés à ces types de pratiques. Les recherches que nous avons menées sur les élèves en difficulté en mathématiques montrent qu’une réponse possible pour l’enseignant est de jouer sur la diversité des situations proposées aux élèves, sur la diversité des leviers mobilisés : calcul mental, recours à l’écrit, débat collectif, changement de cadres, sur les différentes formes de travail possibles, etc. L’enrichissement des pratiques tel que nous l’envisageons devrait favoriser la mise en œuvre au quotidien d’une telle diversité.

Nous avons élaboré un dispositif de formation qui s’organise autour de quatre dialectiques.

La première dialectique concerne les deux stratégies de formation principalement mises en œuvre : une démarche de compagnonnage et une démarche réflexive. Le compagnonnage fait intervenir des acteurs de catégories différentes. Le professeur débutant rentre en relation avec ses pairs (débutants ou plus anciens) mais aussi avec des formateurs de différentes catégories (professeurs spécialisés dans l’enseignement d’une discipline particulière, psychologues, professeurs des écoles exerçant comme conseillers pédagogiques). Il s’agit en même temps de développer une attitude réflexive chez les enseignants débutants. En situation problématique, comme c’est le cas en ZEP, il y a nécessité de réfléchir sur tous les éléments qui sont convoqués, souvent de manière imbriquée et implicite dans toute pratique d’enseignement : identifier la tâche à réaliser par l’élève, le contexte de la réalisation de cette tâche, les techniques et connaissances mobilisées pour la résoudre, les limites de cette réalisation, les adaptations possibles dans une nouvelle tâche, etc.

La deuxième dialectique concerne les modalités de formation. Certaines situations ciblent un professeur particulier et relèvent d’un accompagnement individuel alors que d’autres s’adressent à l’ensemble des professeurs concernés par la recherche.
La troisième dialectique vise à mettre en relation les expériences personnelles de chaque professeur débutant, considérées dans leur contexte particulier, et une expérience relevant d’un collectif enseignant, reformulé, reconstitué, recomposé par un formateur engagé dans des recherches sur les pratiques enseignantes et sur les pratiques de formation.

Ce jeu sur les stratégies et les modalités de formation comme sur l’expérience professionnelle acquise personnellement ou collectivement devraient permettre à l’enseignant de prendre conscience des marges de manœuvre possibles et d’explorer diverses manières de les investir, de repenser ses expériences à l’aune de ce que l’on sait sur les contraintes spécifiques aux ZEP, sur les contradictions à gérer, sur les différents modes de réponses possibles.

La quatrième dialectique joue sur le niveau (local ou global) d’intervention sur les pratiques. Nous faisons l’hypothèse qu’il est possible d’interroger la logique d’un enseignant de ZEP et d’initialiser des changements dans sa pratique, pourvu que ces derniers soient suffisamment locaux et ne remettent pas trop en cause cette logique. Il s’agit d’éviter des rejets qui pourraient s’avérer violents.

Le dispositif de formation

Le scénario proposé prend en compte les résultats de différentes recherches et les travaux de Philippe Perrenoud sur la « pratique réflexive ». Il s’agit de permettre aux professeurs de prendre conscience des difficultés rencontrées grâce à un retour réflexif sur leur propre pratique, pour qu’ils s’approprient des savoirs qui fonctionnent dans l’action mais qui ne sont pas forcément explicitables pas ceux qui les maîtrisent. Notre dispositif comporte trois types de situations de formation.

Situation d’information et de questionnement (SIQ)

Première entrée : adaptation de situations d’apprentissage et de programmations en vue d’un enseignement en ZEP, en prenant en compte un double point de vue cognitif et médiatif. Il nous semble en effet que ces deux aspects doivent sans cesse être liés car l’action sur la composante cognitive seule ne suffit pas : il faut aider le futur enseignant à gérer la mise en actes de son projet et donc prendre en compte la composante médiative. La question de l’adaptation des scénarios standard à un public de ZEP doit être particulièrement travaillée, notamment par un jeu sur les variables didactiques. Nous pouvons définir plusieurs critères susceptibles de guider cette adaptation.
Degré de complexité et durée des situations : les situations d’apprentissage qui ont été proposées en formation initiale ou qui sont décrites dans certains manuels sont souvent issues ou inspirées par des ingénieries didactiques construites à l’occasion de recherches testées dans des classes « ordinaires »[[Il s’agit de classes ne présentant pas de complexité particulière : effectif raisonnable, un seul niveau, non classement en ZEP … ]]. Il s’agit de repenser ces situations avec les professeurs débutants en vue d’un enseignement prenant en compte les spécificités de leur public, afin qu’ils puissent proposer des situations suffisamment complexes pour que la notion abordée puisse prendre du sens mais suffisamment simples pour que les élèves puissent mobiliser les connaissances nécessaires pour s’engager dans l’activité. De plus, nous avons observé une usure rapide des situations devant des élèves en difficulté. Les professeurs doivent en tenir compte sans pour autant oublier que tout apprentissage demande du temps.
Découpage de la tâche : dans les pratiques dominantes du genre majoritaire observé, nous avons souvent relevé un découpage quasi systématique de la tâche de l’élève en tâches élémentaires le plus simplifiées possible. Si les activités algorithmisées se justifient dans les phases d’entraînement, les situations d’apprentissage, notamment de notions nouvelles, doivent laisser à l’élève une part d’initiative, en particulier un temps de recherche réel.
Contexte des situations : elles peuvent être choisies dans des contextes variés non nécessairement proches du vécu des élèves, contrairement à une pratique assez répandue, notamment en ZEP. Cette pratique se fonde sur l’idée que le choix d’un contexte proche du vécu des élèves va faciliter la dévolution du problème et montrer l’utilité des mathématiques dans la vie courante. Or nous avons pu constater à plusieurs reprises des effets pervers de cette pratique : les élèves se situent dans un domaine de rationalité autre que les mathématiques et l’enseignant se trouve alors confronté à une difficulté supplémentaire. Souvent il ne peut résister aux malentendus ainsi créés et à défaut d’anticipation, il ne réussit pas à revenir au problème mathématique initial.
Ancrage du nouveau dans l’ancien : les élèves de ZEP présentent souvent un manque de confiance en leurs capacités et un manque d’assurance dans leurs compétences déjà acquises. Des phases de rappels plus nombreuses et plus régulières permettent alors de rassurer les élèves, de leur donner des repères et de les aider à prendre du recul par rapport à leurs connaissances. Il s’agit de mettre en relation les différentes activités et d’ancrer les connaissances nouvelles dans les connaissances anciennes.
Les scénarios étudiés en formation doivent être facilement réinvestissables par les enseignants débutants. Cette étude peut se faire à partir de certains contenus qui nous semblent emblématiques à la fois pour l’apprentissage des élèves et pour l’enseignement des mathématiques. Pour notre part, nous avons choisi le calcul mental, la géométrie et la résolution de problèmes classiques.
Calcul mental : c’est en général une activité motivante pour les élèves qui les incite à prendre des initiatives, à expliciter et comparer des procédures. Côté enseignant, le calcul mental demande une gestion particulière de la classe : organisation rituelle, nécessité de moments collectifs d’explicitation des procédures, moment de négociation du contrat didactique… Enfin, en ZEP, les élèves rencontrent souvent des difficultés de lecture. La résolution de problèmes formulés oralement peut alors être l’occasion d’éliminer ces difficultés et de travailler directement des notions mathématiques. Nous avons proposé aux professeurs un document ressource présentant différentes activités de calcul mental à différents niveaux.
La géométrie est un domaine mathématique souvent mal maîtrisé par les professeurs des écoles qui ont en majorité une formation universitaire antérieure peu scientifique. De plus beaucoup de fichiers présentent des activités géométriques assez pauvres. Il y a pourtant là matière à « revaloriser » certains élèves de ZEP et mettre en évidence de réelles capacités. Comme pour le calcul mental, nous avons fourni aux enseignants débutants un document ressource présentant différents types d’activités géométriques empruntées à différents manuels de l’élève : mise en évidence des variables didactiques ou autres dans des activités de reconnaissance, description, reproduction et construction de figures planes, évocation de la variété des supports et de diverses modalités de gestion de la classe. Le domaine de la géométrie est un lieu privilégié pour montrer l’intérêt d’une analyse a priori notamment celui de l’anticipation des aides à proposer.
La résolution de problèmes occupe une place importante dans l’apprentissage des mathématiques à l’école primaire. Les élèves de ZEP ont beaucoup de difficultés dans ce domaine et les enseignants se sentent souvent démunis face à ces difficultés mais aussi face à la variété des types de problèmes et des formes d’activités associées. Nous privilégions les problèmes classiques ne présentant pas de difficulté particulière, mettant en jeu une (ou éventuellement plusieurs) opérations et pour lesquels une automatisation est visée. Un des objectifs principaux d’un professeur de ZEP doit être que ses élèves sachent résoudre ces problèmes standards. Comme pour les autres thèmes, un document ressource est fourni. Nous insistons sur la nécessité de construire le sens, sans en faire un préalable à une automatisation : sens et techniques sont pour nous dialectiquement liées (Butlen, 2005). Avant d’utiliser et de maîtriser la procédure experte, l’élève peut passer par des procédures personnelles de plus en plus élaborées.
À partir des documents fournis, mais aussi à partir d’autres ressources disponibles en mathématiques (livres de l’élève et du maître, documents pédagogiques sur papier ou informatiques (sites internet), matériels divers pour la numération, la géométrie, les jeux…), chaque enseignant débutant peut ainsi se constituer des éléments de programmation contextualisés par rapport à ses propres élèves.

Seconde entrée : les gestes professionnels. Si la notion de geste professionnel est utile au chercheur pour analyser l’activité du professeur, pour décrire et catégoriser les pratiques existantes, elle permet également au formateur d’intervenir sur la formation des pratiques des professeurs des écoles débutants. À partir de protocoles, de vidéos témoignant de pratiques effectives « externes » (mises en œuvre par d’autres professeurs de ZEP que les professeurs accompagnés), il s’agit de s’interroger sur des gestes et routines professionnels, en liaison avec différents genres de pratiques. On pourra en particulier expliciter certains gestes mis en évidence lors de notre recherche précédente et supposés « efficaces » pour l’enseignement en milieu difficile. C’est aussi l’occasion d’une information sur les pratiques existantes en ZEP et sur certaines dérives possibles (individualisation trop importante, absence de phases collectives, notamment d’institutionnalisation, réduction des exigences…). Cette information s’appuie sur un questionnement en direction des formés.

Troisième entrée : une information sur les contraintes spécifiques aux ZEP, sur les contradictions vécues quotidiennement par les professeurs de ces classes. L’accent peut être mis sur la contradiction entre logique de socialisation et logique d’apprentissage dont le dépassement est un enjeu décisif pour l’enseignement en ZEP. Cette troisième entrée vise à enrichir les représentations des enseignants sur les élèves de ZEP ; elle permet d’apporter une information sur les spécificités des élèves de ces classes en particulier pour éviter de les identifier systématiquement avec des élèves en difficulté.

Situation de Compagnonnage (SC)

Contrairement à la situation précédente, les interventions sont ici strictement individuelles et s’adressent à la personne de l’enseignant. Après observation de la classe de l’enseignant accompagné, on répond individuellement aux questions effectives qu’il se pose. Pendant cette phase de compagnonnage, le chercheur est une personne « ressource ». Les réponses apportées sont alors complètement contextualisées et prennent en compte l’interlocuteur. Nous essayons de répondre sans être trop précis, de manière à laisser une marge de manœuvre et de choix. Par exemple, pour l’apprentissage de certaines notions, nous donnons des lignes directrices et fournissons plusieurs exemples de situations d’apprentissage qui nous paraissent suffisamment « riches ».

Situation d’échanges et de mutualisation des pratiques (SEM)

Organisée au sein de groupes restreints, elle facilite un passage de l’individuel au collectif. Sur la base de témoignages des enseignants débutants se met en place une pratique réflexive à partir d’échanges entre pairs et avec les chercheurs. Ces échanges sur les pratiques effectives, sur leur efficacité et leurs limites, permettent aux enseignants de mettre en commun leurs expériences, et aux chercheurs de replacer les observations dans la continuité de la classe. Ils amènent les enseignants à passer d’une simple description de leur pratique à une analyse de leurs projets et de leurs mises en actes. La mixité entre chercheurs et enseignants permet à ces derniers d’enrichir leur lexique dans leur discours sur les pratiques. Ce retour réflexif sur sa propre pratique, imposé dans un premier temps dans le cadre de la formation, se construit par la suite dans la durée, à partir de nombreuses situations d’échanges sur des sujets variés.
De façon générale, le dispositif d’accompagnement doit prendre en compte l’institution. Les situations du premier type (SIC) sont proposées lors du stage de prise de fonction des nouveaux professeurs des écoles qui se déroule soit sur trois semaines en début d’année soit sur trois fois une semaine au cours du premier et du second trimestre. Les situations de compagnonnage, d’échanges et de mutualisation des pratiques (SC et SEM) supposent des observations de classes et des regroupements réguliers entre enseignants accompagnés et chercheurs.

Effets de la formation

Un premier effet concerne l’extension des marges de manœuvre du professeur débutant : celui-ci acquiert une certaine liberté par rapport aux ressources existantes et aux contraintes liées à l’équipe pédagogique. Il en est ainsi de l’utilisation des manuels et notamment des fichiers. Certains professeurs débutants considèrent à juste titre le fichier comme contraignant (non adapté, trop formel…), mais ils ont du mal à s’en libérer car il est utilisé par les autres collègues de l’école. Dans ce cas, notre intervention semble avoir contribué à faire disparaître leurs hésitations puisque des débutants observés ont finalement pris de la distance par rapport à cet outil, l’intégrant dans un ensemble plus vaste de ressources pédagogiques et élargissant ainsi le champ des possibles dans le domaine du choix des situations.

Notre dispositif semble avoir aussi des effets sur les choix et les grandes stratégies mises en œuvre par les professeurs concernés qui ont à voir avec les i-genres décrits au début de cet article. Cette évolution des pratiques semble dépendre de plusieurs facteurs. Le premier concerne les ressources pédagogiques mises à la disposition des professeurs : il semble que les manuels utilisés en mathématiques lors des deux premières années jouent un rôle important dans la construction des pratiques des débutants. De plus, si la maîtrise par le professeur des contenus mathématiques enseignés intervient de manière significative, c’est surtout l’installation dans une « posture enseignante » par rapport à cette discipline et à son enseignement qui semble déterminant. Le niveau scolaire de la première classe dans laquelle le débutant enseigne marque aussi sa pratique. Celle-ci ne se construit pas forcément de la même manière si le professeur débutant exerce en CP ou CM2. Enfin, le contexte social et institutionnel de l’école intervient ; la direction de l’école peut jouer un rôle important dans l’impulsion de tel ou tel type de pratique.

Denis Butlen, IUFM de Créteil, équipe DIDIREM, université de Paris 7, denis.butlen@creteil.iufm.fr
Monique Pézard, IUFM de Créteil, équipe DIDIREM, université de Paris 7, monique.charles@creteil.iufm.fr
Pascale Masselot, IUFM de Versailles, équipe DIDIREM , université de Paris 7,
PMasselot@aol.com


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