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Comment faire respecter les règles en classe ?

Se demander que faire en cas de désobéissance dans une classe, c’est déjà prendre le problème un peu à l’envers. On pourrait se demander plutôt ce que l’on aurait pu faire pour éviter que cela n’arrive. En effet, s’il y a transgression, c’est implicitement qu’il y a une règle, un cadre. L’enseignant est le garant de cette règle qui existe pour faciliter la vie ensemble en classe.

Les règles : prévenir les transgressions

Les principes basiques de l’élaboration d’une bonne règle nous semblent par conséquent primordiaux.

D’abord, la règle existe : elle est connue, concrète et claire. « Nul n’est censé ignorer la loi » : il importe que la règle soit connue tant pour ceux à qui elle s’applique que pour ceux chargés de la faire appliquer. Elle est écrite pour pouvoir être consultée par tous, pour éviter la désinformation et l’arbitraire. C’est de la responsabilité de l’adulte de porter à la connaissance de l’enfant des règles qui sont de mise dans la classe. En ce qui nous concerne, nous disposons d’une charte sur de grands panneaux A3, que nous affichons dans les locaux concernés. Les mots utilisés ne peuvent pas être interprétés de différentes façons. Nous utilisons des mots simples, voire des images lorsque le langage est susceptible de faire défaut, afin de nous assurer que la règle est bien comprise (notamment lorsque les élèves ne savent pas encore bien lire ou doivent s’accommoder d’une langue qui n’est pas leur langue natale).

Ensuite, la règle est juste et constante, c’est-à-dire que son application ne variera pas en fonction du jeune concerné et de l’humeur de l’adulte. Elle est également congruente, c’est-à-dire qu’elle s’applique à tous sans exception, jeune comme adulte. Sanctionner un jeune qui coupe la parole à ses camarades alors que l’adulte les coupe régulièrement n’est pas congruent.

La règle est par ailleurs pertinente. La légitimité de la règle est expliquée. Elle se fonde sur des justifications objectives comme l’impératif de protection de la personne, du groupe, de l’institution ou encore celui d’efficacité dans l’accomplissement de la tâche. Les règles posent souvent problème parce que l’on ne prend pas la peine d’en expliquer la raison d’être. Un jeune qui ne comprend pas la pertinence de la règle peut alors la considérer comme persécutrice.

Dans le même ordre d’idées, les règles sont évolutives, et de préférence participatives. Les règles participatives sont préférables aux règles imposées d’autorité. Nous y reviendrons, car c’est justement le fondement d’une intervention en cas de transgressions groupales : si les règles sont élaborées et réfléchies ensemble, elles sont dignes du respect de tous. La participation des enfants à l’établissement du règlement, par exemple dans le cadre de conseils de classe ou de coopération, favorise le respect de ce qui a été discuté et décidé. C’est le pari des écoles « démocratiques/institutionnelles », notamment de Jean-Luc Tilmant. Il constate d’ailleurs que des valeurs comme le respect sont des constantes communes aux élèves et aux enseignants, quel que soit leur milieu social.

Enfin, toute règle doit être assortie de sanction en cas de transgression. Toute infraction entraine réparation : il y a une conséquence à l’action de désobéissance.

Ajoutons à ces principes que les règles de base doivent être peu nombreuses. Cela n’a pas de sens de submerger les élèves de nombreux interdits et règlements. Cela nuit à la connaissance des règles et à leur légitimité, leur pertinence. Il convient de les hiérarchiser : dans le cadre du vivre ensemble dans un groupe-classe, nous ne nous référons en ce qui nous concerne qu’à quatre ou cinq règles. Nous appliquons quatre règles avec les enfants :
— Je lève le doigt pour demander la parole et je parle quand je reçois l’autorisation.
— Si je prends mon STOP, je reste assis silencieusement (le STOP correspond au droit de ne pas faire une activité).
— Je ne fais pas mal, ni avec les gestes, ni avec les mots.
— Quand j’ai la parole, je parle en mon nom et je dis la vérité (les faits) [[Cette règle est propre à la résolution de conflits : il s’agit de parler en termes de comportements observables.]]

Sanctionner les transgressions individuelles

La transgression individuelle demeure le cas le plus fréquent. Comme le constate Béatrice Mabilon-Bonfils [[L’invention de la violence scolaire, Erès, 2005]], ce qui est généralement ressenti ou appréhendé comme de la violence de tout un groupe n’est en fait qu’un comportement d’indiscipline individuel. Il existe une image sociale type « meute de loups » qui fait que l’on étiquète parfois négativement une classe, à tort.

En cas d’infraction à la règle, l’adulte va expliquer ou rappeler la conséquence du comportement. La sanction est souvent précédée de sommations, d’avertissements. Nommer la sanction et rappeler la règle est déjà une sanction en soi, qui peut suffire dans bien des cas.

S’il est en colère ou déstabilisé, il peut différer la sanction et se donner un temps de réflexion pour la trouver, éventuellement en discutant avec d’autres adultes afin de s’assurer que sa position n’est pas un abus de pouvoir, mais bien l’application d’une règle garantissant la sécurité et le respect de chacun. Quand il s’agit de sanctionner, c’est important d’être ferme, mais inutile de s’énerver. Ce doit être est un acte de justice plutôt qu’un coup de sang vengeur.

Si l’adulte n’est pas submergé par ses émotions, il sanctionne immédiatement. S’il attend trop longtemps avant de sanctionner, la règle perdra de son sens, et la sanction aussi. L’absence de règle ou de sanction en cas de transgression est source de confusion et d’incertitude [[Théo Comiernolle et al., Gérer les adolescents difficiles, De Boeck, 2000]]. D’où la question de réfléchir « à froid » et si possible à l’avance à la question de la transgression. Prenons une règle comme « ne pas faire mal avec les mots (insultes) ». En cas d’infraction, il peut être demandé à un enfant d’écrire une lettre d’excuse à la personne blessée, par exemple.

Toute transgression à une règle doit s’accompagner d’une sanction qui indique que la limite a été franchie. Mais si certains actes exigent une sanction immédiate, celle-ci n’est jamais une conclusion de l’action. Elle n’interdit pas d’essayer de comprendre la transgression dans ses mobiles et sa signification (comprendre ne signifie pas ni excuser ni tolérer). Sanctionner la transgression est une chose, en comprendre la motivation en est une autre. Il est parfois important de comprendre la nature du problème et des sentiments en jeu.

Exemple : un enfant, à qui un autre cherche querelle depuis un moment, s’apprête à frapper. L’éducateur peut intervenir de deux manières : « Tu n’as pas honte de vouloir taper ton copain, ce n’est pas bien d’être fâché sur lui ». Ici, l’éducateur culpabilise le désir de frapper et juge l’émotion. « Je vois que tu es en colère, je peux comprendre qu’après ce qu’il t’a fait tu aies envie de le frapper, mais je ne t’autorise pas à le faire ». Ici, l’éducateur écoute le vécu subjectif, mais interdit l’acte.

Donner si possible des sanctions réparatrices, c’est-à-dire en lien avec le comportement problématique. Faire réparation, c’est compenser les conséquences d’une erreur. Pour faire réparation, on peut donner de son temps, de son travail, de son argent. Une réparation créative dédommage la victime autant qu’elle restaure l’estime de soi du fautif : elle permet à l’enfant de prendre conscience du dommage causé et d’assumer la responsabilité du préjudice : « Tu as cassé une chaise, tu répares ». « Tu as fait mal à Paul, tu lui mets un pansement. »

Il est d’ailleurs intéressant de rendre l’enfant acteur de la réparation, notamment en lui proposant de trouver une solution lui-même, en s’assurant qu’elle convienne à la victime : « que pourrais-tu faire pour arranger les choses ? » Si l’adulte ne trouve pas au final de sanction réparatrice qui convienne, qu’il donne au moins une sanction en lien avec la nature de l’acte, proportionnelle et pertinente par rapport au fait reproché. Concrètement, à négligence pédagogique, sanction pédagogique : « tu n’as pas remis ton travail dans les délais fixés et sans motif valable, ce sera mentionné dans ton évaluation finale ». À transgression comportementale, sanction disciplinaire : « tu as fumé dans l’atelier malgré l’interdit formel, je ne puis prendre le risque de t’emmener en voyage scolaire ».

Les sanctions éducatives doivent être dissuasives, décourager la récidive. En ce sens, elles doivent générer de l’inconfort ou demander un effort qui fait sens (et qui est donc expliqué). Si la sanction consiste à mettre en dehors de la classe un jeune qui la perturbe, mieux vaut s’assurer que ce n’est pas ce qu’il désire, auquel cas il ne changera sans doute pas d’attitude. À l’école, prononcer une exclusion de trois jours à l’encontre d’un élève démotivé ou en situation de décrochage scolaire est absurde. Elles impliquent donc la frustration, mais pas l’humiliation et portent sur des actes et non sur les personnes (éviter la culpabilisation et les reproches). Elles s’accompagnent d’une procédure réparatrice et sont orientées vers l’avenir (la préservation du vivre ensemble). Une sanction est reliée à une valeur (par exemple le respect), de sorte que l’enfant ne la voit pas comme un évènement isolé, mais comme un élément constitutif des relations : lorsque l’on coupe la parole à quelqu’un ou qu’on l’insulte, cela nuit aux relations ensemble.

Il est enfin possible également de proposer au jeune de choisir la suite donner à son comportement. Il n’est pas interdit pour l’adulte de discuter, voire même de changer d’avis, mais tout en ne donnant pas l’impression au jeune que c’est lui qui décide en définitive.

Réagir face aux transgressions groupales

Nous avons effleuré un point fondamental par rapport aux sanctions : elles s’appliquent à un sujet, et non à un groupe. Nous insistons : il est inutile à notre sens d’envisager des punitions collectives et des moyens de coercition spectaculaires, si ce n’est dans des cas purement exceptionnels. La plupart des infractions sont individuelles. Lorsque celles-ci sont collectives, il faut chercher la source ailleurs que dans la sanction. En ce sens, la sanction ne perturbe pas le fonctionnement du groupe, au contraire : l’enseignant se contente d’appliquer la procédure (connue de tous à l’avance) : « tu as transgressé telle règle, tu feras ceci en conséquence ». La réparation se fait en dehors du temps de classe.

Que faire alors face à des chahuts généralisés, à des désobéissances massives voire à des comportements violents émanant d’une dynamique de groupe ? Cette question rejoint ce que nous avons évoqué plus haut. Rappelons la possibilité d’une dimension participative quant à l’élaboration des règles. Les constantes du vivre ensemble sont en effet toujours les mêmes : même dans des classes « difficiles », les élèves accordent de l’importance au respect – ils désirent être respectés –, à la sécurité, etc. Plusieurs « piliers » relationnels peuvent se dessiner, se construire ensemble. En cas de transgression, l’enseignant comme garant de la règle sanctionne. S’il s’agit d’une transgression ou d’une contestation de groupe, la règle peut être rediscutée.

Si la transgression est groupale, il est effectivement plus délicat de ne pas prendre un temps « démocratique » pour repenser les règles. Est-ce que telle règle a du sens pour l’enseignant lui-même ? Et pour les élèves ? Est-elle nécessaire à une bonne ambiance de classe ? N’est-elle pas superflue, ou accessoire par rapport à d’autres règles nombreuses ? A-t-elle été suffisamment définie ? Sinon, nous pouvons l’abandonner ou la retravailler. En général, aucun enfant n’estime que des règles fondamentales comme « ne pas faire mal » doivent être abandonnées.

La négociation peut porter sur l’établissement des règles, qui ont d’autant plus de chances d’être respectées qu’elles ont été construites avec le jeune lui-même, et donc comprises et approuvées par lui. Cette manière de le responsabiliser l’invite à s’impliquer davantage dans l’organisation de la vie familiale, groupale ou scolaire. Si l’enseignant est confronté à une transgression groupale, il peut s’avérer nécessaire de redéfinir démocratiquement les règles et d’en réexpliquer les enjeux. Attention qu’il existe des règles qui ne dépendent pas seulement du cadre fixé entre l’enseignant et ses élèves (règlement fixé par l’institution, l’école ou encore les lois, etc.). Dans ce cas, la sanction doit être institutionnelle (direction, éducateurs…). Autrement dit, pour certaines infractions, il n’est pas du ressort de l’enseignant de réhabiliter les règles : il est alors nécessaire de « passer le relai » à la direction ou à une autre instance publique garante du vivre-ensemble (cf. ce que Jacques Ardoino appelle les « niveaux d’intelligibilité » du social). Quoi qu’il en soit, la logique reste la même : si le garant de la règle n’applique pas la sanction prévue, il ne fait pas exister la règle.

Julien Lecomte
Chargé de communication à l’Université de Paix asbl